lundi 13 janvier 2014

AUTOUR DE LA QUESTON : Un "kit d'urgence" en cas de viol

Un "kit d'urgence" en cas de viol : un premier pas important envers les victimes, mais...

LE PLUS. Le 10 janvier, le gouvernement a lancé des travaux pour simplifier le parcours des victimes de viol ou d'agression sexuelle. Un "kit d'urgence", contenant un test anti-VIH, un traitement contraceptif, un appareil photo pour matérialiser les preuves et une liste d'adresses de médecins, va être créé. Analyse de Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans la prise en charge des victimes. . Édité par Sébastien Billard  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux

Najat Vallaud-Belkacem a annoncé la création d'un kit d'urgence, le 10 janvier 2014 (AFP).

Améliorer la prise en charge des victimes de violences sexuelles est une urgence de santé publique reconnue comme telle en 2013 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et il est grand temps de s’y atteler en France.

Le 4e plan interministériel triennal de lutte contre les violences faites aux femmes, présenté par le gouvernement en novembre 2013, en a fait une priorité.

Et c’est dans ce cadre que le 10 janvier, la ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement Najat Vallaud Belkacem a lancé l’expérimentation d’un kit d’urgence pour les viols[1] par les services d’urgences hospitalières et les médecins hospitaliers et libéraux de deux départements pilotes.

C’est un premier pas important pour simplifier et protocoliser le parcours de prise en charge en urgence des victimes de viol.

Mais le chemin reste long pour leur offrir des soins coordonnés, spécialisés et accessibles à toutes et tous, avec des centres d’aide d’urgence en nombre suffisant, par des professionnels formés comme l’exige la Convention d’Istanbul, que la France a signée et va bientôt ratifier[2].

Un viol, une urgence pénale et médicale

Le viol n’est pas seulement une urgence pénale en tant que crime[3], c’est une urgence médicale qui nécessite des soins immédiats.

Il fait partie – avec la torture – des pires traumas que l’on puisse subir, et qui entraîne le plus d’états de stress post-traumatiques chez les victimes. Aussi, toute victime de viol, qu’elle veuille porter plainte ou non, doit pouvoir bénéficier d’un examen en urgence par un ou des professionnel formé-s. Pour être optimal, cet examen doit se faire dans les 72 heures.

Il s’agit en priorité, dans un climat de grande sécurité et de confidentialité, avec précaution et bienveillance, et en donnant toutes les explications et les informations médicales sur les examens, de prodiguer les soins chirurgicaux et médico-psychologiques nécessaires et de soulager la souffrance.

Mais il s'agit également de rechercher et prévenir un risque suicidaire et d’évaluer les dangers courus, de mettre en place si besoin une contraception d’urgence (dans les 5 jours qui suivent le viol), une prévention et un traitement des infections sexuellement transmissibles (dans les 72 heures pour le traitement post exposition pour le VIH), une prophylaxie du tétanos, et un arrêt de travail.

Il s'agit aussi de faire une prise en charge du choc psychotraumatique initial, de l’état de sidération, de dissociation traumatique et de de stress aigu, ce qui permet de prévenir la mise en place d’une mémoire traumatique avec son lot de conséquences psychotraumatiques et leurs impacts à long terme sur la santé des victimes.

Et dans le cadre médico-légal, il s’agit de recueillir des preuves en décrivant dans un certificat les lésions physiques et les atteintes neuro-psychiques observées, et de donner une ITT (interruption totale de travail), de rechercher des traces de sperme et des preuves ADN.

Lors de cet examen, la victime sera informée de ses droits, de l’évolution possible de ses symptômes, de la surveillance à mettre en place et elle sera orientée vers des consultations spécialisées.

Une offre de soins encore défaillante

Mais actuellement, la plus grande partie des victimes de viols ne reçoivent pas ces soins et restent isolées avec de lourds traumas. Seules 10% des victimes portent plainte et se retrouvent dans le circuit médico-légal (moins de 2% en cas de viols conjugaux).

Seules 29% des victimes consultent un médecin ou un psychologue qui ne sont le plus souvent pas formés à la psychotraumatologie[4], 13% rencontrent des membres d’une association d’aide aux victimes, et 9% appellent un numéro vert d’aide aux victimes (enquête CVS 2010-2012).

Et pour celles qui vont consulter un médecin en urgence, ou font appel à la police et sont orientées vers une unité médico-judiciaire, l’offre de soins n’est souvent pas à la hauteur, particulièrement pour la prise en charge de l’état de choc psychotraumatique.

En France, nous n’avons malheureusement pas d’étude sur le parcours de soin des victimes de violences sexuelles (malgré les préconisations du rapport Lebas en 2005), mais un audit effectué dans un hôpital public universitaire belge, concernant 356 femmes admises aux urgences entre janvier 2002 et décembre 2007 après une plainte pour viol, a montré que près de 90% d’entre elles n’ont pas reçu les soins optimaux. Ce chiffre est passé à 80% après avoir protocolisé les soins d’urgence !

La fréquence des viols, la gravité de leurs conséquences sur la santé des victimes font l'objet au mieux d'une méconnaissance, d’un manque de formation et d'une sous-estimation, au pire d'un déni.

Il est donc nécessaire d’informer et de sensibiliser sans relâche sur la réalité des viols et de leurs conséquences, et de donner le maximum d’informations pour qu’aucune victime ni aucun de leurs proches ne se retrouve sans ressources ni outils pour comprendre ce qui lui arrive, pour connaître ce qu’il faut faire ou ne pas faire, ses droits, les soins nécessaires, les traitements disponibles.

Un véritable scandale de santé publique

Alors pourquoi ne pas profiter de cette expérimentation sur ces kits d’urgence pour enfin mieux informer directement le grand public sur la conduite à tenir quand une personne vient d’être violée  ?

Par exemple : ne pas se laver, garder sans les laver les vêtements, les tissus et les objets en contact avec l’agresseur et les conserver dans un sac en papier et non en plastique (les traces ADN sur des tissus peuvent se conserver plus d’un mois dans ces conditions), voir en urgence un médecin pour être examiné-e et soigné-e.

Et pourquoi ne pas mieux informer sur les conséquences psychotraumatiques du viol, sur ce qu’il est normal de ressentir lors du viol (état de choc, sidération, dissociation) et à distance (état de stress post-traumatique), sur les mécanismes psychologiques et neuro-biologiques en jeu, et sur les possibilités de traitement ?

Trop de victimes de viol se débattent avec des symptômes qu’elles ne comprennent pas, qui les font souffrir sans fin et les obligent à mettre en place des stratégies de survie coûteuses, handicapantes et parfois dangereuses pour elles (comme les conduites addictives et les conduites à risque), qui sont également des facteurs d'exclusion, de pauvreté, et de vulnérabilité à de nouvelles violences.

Elles sont condamnées à errer et à s’épuiser dans des parcours de soins aux mieux inadaptés, au pire maltraitants, ce qui constitue un véritable scandale de santé publique que je dénonce dans mon ouvrage "Le livre noir des violences sexuelles", paru chez Dunod en 2013.

Des chiffres qui ne disent pas tout

Et pourquoi la communication médiatique lors de l’annonce se fait sur le chiffre de 75.000 femmes violées par an, alors qu’il ne représente que moins de 30% des victimes de viol ?

Ce chiffre, issu de l’enquête de victimisation nationale de 2000 sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), ne prend en compte que des femmes de 20 à 59 ans, en capacité de répondre en français à une enquête détaillée faite par téléphone[5].

Quid des éternel-le-s oublié-e-s, et des plus vulnérables ?

-   les femmes plus jeunes de 18 à 20 ans qui subissent plus de viols (enquête CSVF, 2007), et celles de plus de 60 ans qui en subissent encore,
-   les filles mineures qui sont plus nombreuses (60%) à subir des viols que les adultes,
-   les femmes handicapées qui subissent quatre fois plus de violences sexuelles,
-   les femmes migrantes étrangères ne parlant pas suffisamment le français pour répondre à une enquête,
-   les femmes sans abri dont on sait qu’elles sont très exposées aux violences sexuelles d’autant plus qu’elles présentes des troubles psychiatriques (étude Samanta, 2010),
-   les personnes marginalisées, toxicomanes, en situation prostitutionnelle qui sont très exposées (une étude rapporte que 63% des femmes prostituées subissent des viols),
-   les filles et des femmes hospitalisées en institution, en psychiatrie, en gériatrie et en EPAD qui sont nombreuses elles aussi à subir des viols,   
-   les hommes et les garçons violés,
-   les personnes en détention ? Etc…

Dans 80% des cas, l’agresseur est connu de la victime

Prendre en compte ces oubliés, et non uniquement les femmes sexuellement actives et "attractives", permet de bien mieux se confronter à la réalité des viols qui n’ont rien à voir avec un désir ou la sexualité.

Il s’agit d’un exercice de pouvoir et de domination sur autrui, d’une excitation à la haine, d’une volonté de nuire et de détruire qui s’exerce dans le cadre d’une mise en scène où l’autre, celui qui est violé n’a aucune valeur, ne s’appartient plus, est réduit à un objet, où sa dignité humaine est niée. Le viol s’exerce avant tout sur le lit des inégalités, des discriminations, des dépendances et des plus grandes vulnérabilités.

En France, 20,4% des femmes ont subi des violences sexuelles dans leur vie (pour 6,8% d’hommes), 16% des femmes ont subi des viols et des tentatives de viols (pour 5% d’hommes), et 59% d’entre elles étaient mineurs quand elles ont subi ces viols et tentatives de viols (67% pour les hommes) (enquête CSF INSERM, 2008).

Chaque année, les femmes de 18 à 75 ans subissent 83.000 viols ou tentatives de viol (enquête CVS 2010-2012) dont 26.000 au sein du couple (30%). Si on ajoute les filles de moins de 18 ans (puisque 59% étaient mineures au moment des faits), on obtient alors pour les mineures près de 120.000 viols et tentatives de viols par an, soit 203.000 viols en tout.

Il faut encore ajouter les viols commis sur les hommes (adultes et mineurs), soit un peu moins de 70.000 viols supplémentaires, ce qui donne un total de 270.000 viols et tentatives de viol par an.

Dans 80% des cas, l’agresseur est connu de la victime. Pour les chiffres, vous pouvez consulter la lettre n°1 de l’observatoire national des violences faites aux femmes de novembre 2013.


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[1] Le Kit d’urgence qui contient à la fois de quoi recueillir des preuves, prévenir et traiter des infections sexuellement transmissibles, prévenir une éventuelle grossesse par une contraception d’urgence, et une liste de professionnels pour orienter la victime vers une prise en charge du traumas
[2] La convention d’Istanbul recommande dans son rapport explicatif qu'un tel centre soit disponible pour 200 000 habitants et que le centres soient répartis géographiquement pour être accessibles aux victimes vivant en zone rurale ou en ville. Le terme « approprié » vise à garantir que les services offerts satisfont aux besoins des victimes.
[3] Le viol est défini par l'article 222-23 du code pénal comme : "Tout acte de pénétration de quelque nature que ce soit commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise", et il est puni de 15 ans de réclusion criminelle.
[4] Lors d’une enquête récente auprès des étudiants en médecine en 2013 plus de 80 % ont déclaré ne pas avoir reçu de formation sur les violences et 95% ont demandé une formation pour mieux prendre en charge les victimes de violences.  Cette enquête a été présentée lors d’un colloque sur la formation des professionnels de la santé le 20 novembre 2013 organisé par la MIPROF (mission inter-ministérielle de lutte contre les violences faites aux femmes et de lutte contre la traite des êtres humains) et son groupe de travail auquel je participe..
[5] La prochaine enquête VIRAGE (Violences et rapports de genre) projet d’enquête pour 2015 prévoit d’interroger un échantillon de 35 000 répondant-e-s (17 500 femmes et 17 500 hommes), âgés de 20 à 69 ans et de mieux connaître les violences infligées aux mineurs et en particulier les situations d’inceste, de mieux connaître les violences sexuelles subies par les hommes et de mieux évaluer le parcours des victimes. Mais resteront sur le carreau encore de très nombreuses victimes qui ne pourront pas être touchées par cette enquête.