Suicides forcés: les tâtonnements de la justice face à ces "féminicides de l'ombre"
En 2020, la France devenait l'un des premiers pays européens à faire entrer les "suicides forcés" dans son code pénal. Quatre ans plus tard, la justice tâtonne face à ces "féminicides de l'ombre".
La rédaction avec AFP Publié le 22/11/2024 https://www.nicematin.com/*
Issu du Grenelle de lutte contre les violences conjugales de 2019, ce nouveau délit punit de dix ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende le harcèlement par conjoint ou ex-conjoint ayant conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.
La création de cette circonstance aggravante au harcèlement moral a constitué une "avancée phénoménale", estime la juriste et militante féministe Yael Mellul.
Elle a gravé "dans le marbre le fait que le harcèlement moral, longtemps minimisé, tue lui aussi".
Depuis, toutefois, la justice en est encore au "stade des balbutiements" face à ces "féminicides de l'ombre", déplore auprès de l'AFP celle qui a co-dirigé le groupe de travail sur les "violences psychologiques et l'emprise" lors du Grenelle de 2019 et accompagné de nombreuses femmes et familles via son association "Femme et libre".
Des magistrats ont rendu des décisions, mais ils se heurtent à la complexité de la preuve dans ces affaires sensibles: comment prouver le lien de causalité entre du harcèlement moral et un suicide? Le harcèlement doit-il être l'unique cause du suicide, ou y avoir contribué?
En février 2023, un homme a été condamné à sept ans de prison par le tribunal correctionnel de Fontainebleau en Seine-et-Marne pour avoir harcelé son ex-compagne, en créant notamment un avatar sur les réseaux sociaux, avec lequel il lui proposait de faux emplois, la charmait puis la menaçait de publier des photos intimes d'elle. Celle-ci s'est suicidée en novembre 2020.
Devant la cour d'appel, il a vu sa peine diminuée à trois années, assortie d'un sursis probatoire de deux ans: il a été reconnu coupable de harcèlement, mais la cour n'a pas retenu la circonstance aggravante du suicide.
Avec son avatar, l'homme s'est "introduit dans la vie intime de son épouse à son insu et contre son gré", mais cette dernière s'était "libérée de son joug" quand elle s'est suicidée: elle "semblait avoir compris" que l'avatar était son mari, dont elle s'était séparée, a estimé la cour.
Son suicide ne peut donc être "relié de façon certaine, que ce soit exclusivement ou même partiellement, au harcèlement", d'après la décision de la cour consultée par l'AFP.