Grand angle de infomigrants.net*
L'impossible suivi psychologique des migrants
Crise d’angoisse,
maux de tête, cauchemars... La route de l’exil peut provoquer chez
certains migrants des traumatismes et entraîner des dépressions. Des
symptômes qui ne s'arrangent pas toujours dans le pays d'arrivée.
C’est un sujet dont on ne parle que très rarement voire
jamais : les souffrances psychologiques que connaissent les migrants sur la
route de l’exil mais aussi une fois arrivés à
destination. Pourtant, les traumatismes sont nombreux et souvent très
lourds : maux de tête, terreurs nocturnes, perte de repères
spatiaux-temporels, cauchemars, dépression,
crise d’angoisse, idées suicidaires… En janvier dernier, un jeune malien de 16 ans s'est suicidé en sautant du huitième étage de son foyer. Ce n'est malheureusement pas un cas isolé.
Tous les psychologues sont unanimes : la prise en charge est primordiale. "Le fait de mettre
des mots sur des traumatismes permet d’atténuer les souffrances", assure
Sophie Mothiron, psychologue clinicienne spécialisée dans l’interculturalité au
sein de l'association toulousaine Palabre, espace interculturel.
A Paris, depuis l’ouverture du centre humanitaire de La Chapelle
en novembre dernier, seulement 449 consultations psychologiques ont été
délivrées. Un chiffre bien faible au regard des 7 750 personnes qui y ont été hébergées depuis plus de six mois.
Vaincre le tabou
Plusieurs raisons peuvent expliquer l’absence de prise en
charge et/ou d’intérêt pour des consultations d’ordre psychologiques. Tout
d’abord, comme l’explique Sophie Mothiron,
"dans certains pays, la profession de psychologue n’existe pas ou est peu
connue". Dans d’autres, recevoir des soins
psychologiques est tabou voire honteux. Il faut alors se présenter,
expliquer son métier avant chaque entretien et mettre les patients en
confiance. La psychologue précise également
toujours qu’elle n’a aucun lien avec la justice ou l’OFPRA (Office français de
protection des réfugiés et apatrides) et qu’elle se doit de respecter le secret
médical.
Pour quelques-uns, le psychologue est un médecin et
délivre donc seulement des médicaments. "La dernière fois, un jeune homme
avait de terribles maux de tête, explique Sophie Mothiron. Il m’a demandé de
lui donner des médicaments pour ne plus souffrir, pour que ses difficultés
disparaissent. Il n’a pas compris tout de suite que sa guérison prendrait du
temps et qu’elle passerait par le dialogue".
Difficile de prendre le
temps d’un vrai travail
L’autre facteur qui ne facilite pas la prise en charge et
la guérison est l’absence de suivi. Les migrants sont très souvent en
mouvement, ils ne restent qu’un temps en CAO (centre d’accueil et
d’orientation) ou en CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile). Ainsi,
une séance avec un psychologue ou un psychiatre est rarement reconduite. Or,
"les traumatismes sont tellement grands qu’une séance ne suffit
pas", insiste Sophie Mothiron.
Hormis les souffrances vécues dans leur pays d’origine ou
sur la route de l’exil, l’isolement dans les pays
européens provoque chez les migrants un état dépressif qui peut engendrer un repli sur soi voire des
tentations suicidaires. "Pour beaucoup d’entre eux, la France est la patrie des
droits de l’Homme. Or, ils se rendent vite compte qu’il n’y a pas de véritable
accueil ici. Au contraire, on les met dans une position d’attente", analyse
Jean-Pierre Martin, psychiatre consultant pour Médecins du monde (MDM).
Cette situation est une
violence supplémentaire qui laisse réapparaître les précédents chocs traumatiques - ce
qu’on appelle aussi le syndrome post-traumatique. Dans ce genre de cas, la
thérapie nécessite donc du temps avec chacun d’eux.
Or, c’est là que le bât blesse. Pour Jean-Pierre Martin, le rôle qu’il peut avoir est de
fait limité : "Sans prendre le temps, nous ne pouvons pas faire un réel
travail de psychiatrie ou de psychologie mais seulement d’écoute".
Des structures peu adaptées
De plus, les structures d’accueil pour ce type de consultations et de suivi manquent. Celles qui existent déjà se disent saturées. Le
psychiatre de MDM qui reçoit chaque jeudi quatre à cinq migrants préconise de
créer des lieux d’accueil adéquat avec un psychologue ou psychiatre présent
dans la durée. "Même ceux qui ne présentent pas de troubles – ce qui est
très rare – ont besoin d’un suivi prolongé", assure-t-il. Sophie Mothiron est du même avis. Selon
elle, il faut développer des dispositifs spécifiques : des petites
structures mieux adaptées au public migrant.
D’autant que le personnel médical – médecin et psychologue
– n’est pas ou peu formé pour travailler avec cette population. "Toute la
politique d’accueil est à revoir, conclut Jean-Pierre Martin. Ce n’est pas une
crise migratoire mais une crise des dispositifs d’accueil", conclut-il.
>> Pour plus d'informations sur les pôles santé de Médecins du monde :
http://www.medecinsdumonde.org/fr/ville/parisautres articles >>- À lire sur InfoMigrants : La clinique mobile de MSF, soigner les corps et les esprits
et - Le repérage des signes de souffrance chez le/la jeune isolé-e étranger-e Publié le lundi 24 avril 2017 , mis à jour le mardi 25 avril 2017Source : www.infomie.net
Date : Novembre 2016 http://www.infomie.net/spip.php?article3542