SOS Patrons en détresse, j'écoute...
Par Corinne Dillenseger, publié le 19/05/2016
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Pour répondre au mal-être des entrepreneurs souvent seuls face à leurs tracas, des cellules d'écoute se mettent en place en France.
Acculés par une surcharge de travail, un conflit avec un salarié, la perspective d'un dépôt de bilan, certains entrepreneurs craquent. Numéros verts et dispositifs psychologiques leur viennent en aide. Tour d'horizon.
"En décembre 2012, alors que je dirigeais une PME de 50 salariés, devant des difficultés économiques et des tensions avec un cadre de l'entreprise, je me suis senti complètement perdu, seul et épuisé. Je n'arrivais plus à faire face... au point de penser au pire. J'ai écouté un ami qui m'a conseille de rencontrer un professionnel de l'accompagnement", témoigne Gérard, sur le site de Rebond 35, une association d'aide aux dirigeants.
Des sentinelles capables de repérer le mal-être
Cette structure créée en octobre 2015 par les présidents de la Chambre de commerce de Rennes et de Saint-Malo et une poignée de dirigeants d'Ille-et-Vilaine, a mis en place un numéro d'urgence (06 68 50 36 32), doublée d'une action unique sur le département. "La permanence téléphonique gratuite et anonyme est tenue une à deux semaines par an et à tour de rôle par les dirigeants fondateurs, tous formés au risque suicidaire, précise Jean-Loup Peguin, à l'origine de l'initiative. Mais nous avons aussi un réseau de 75 "sentinelles" dans différentes institutions et corporations, capables de repérer les entrepreneurs en mal-être et prêtes à donner l'alerte."
Ces vigies, ce sont des juges, des greffiers, des membres de la CCI, de la Chambre des métiers, de l'Union des entreprises, de la Fédération du bâtiment, des experts comptables, des assureurs, des notaires, des avocats..., tous susceptibles d'être en contact direct avec un petit patron au bout du rouleau. Une fois sa détresse détectée, l'objectif est d'agir le plus vite possible avec l'accord de l'intéressé. "Nous savons que sur les 12 personnes accompagnées depuis la création de la structure, au moins 3 ou 4 auraient mis fin à leur jour si nous n'étions pas intervenus." Pris en charge par des psychologues de proximité, les entrepreneurs peuvent bénéficier de 5 à 10 séances de thérapie gratuites. Le nombre de "sentinelles" est appelé à doubler sur le département d'ici deux ans.
Des tribunaux de commerce en alerte
Une approche quasi identique a été mise en place dans 10 tribunaux de commerce. Il s'agit d'Apesa (Aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance psychologique aiguë), un dispositif initié il y a trois ans par Marc Binnié, greffier au tribunal de commerce de Saintes en Charente-Maritime et le psychologue clinicien Jean-Luc Douillard, coordinateur du programme régional de prévention du suicide en région Poitou-Charentes. A la différence de Rebond 35, les "sentinelles" d'Apesa, formées au risque suicidaire, sont uniquement des professionnels de la justice commerciale: juges, greffiers, mandataires judiciaires...
Là encore, le mot d'ordre est la réactivité. "Il se passe 24 heures entre le moment où la fragilité d'un artisan ou d'un commerçant est repérée par un membre du tribunal et sa première consultation gratuite (sur cinq) avec un psychologue proche de son domicile, explique Jean-Luc Douillard. Cette prise en charge de proximité, rapide et gracieuse est essentielle parce que certains n'ont plus ni l'énergie ni les moyens financiers suffisants pour se faire aider."
En 2015, 140 entrepreneurs ont accepté de se faire accompagner sur 200 procédures d'alerte. Apesa est en cours d'essaimage dans 15 autres juridictions commerciales.
Des bénévoles au bout du fil
Le service Ecoute Dirigeants en Détresse est un peu le pendant de "SOS Détresse Amitié" tiré du célèbre film "Le père Noël est une ordure". A la différence qu'il s'adresse aux chefs d'entreprise de Nantes et de Loire-Atlantique uniquement. Ouverte depuis octobre 2015, la ligne téléphonique gratuite et anonyme (06 73 52 47 84) fonctionne du lundi au vendredi, de 8h à 20h. Au bout du fil, sept bénévoles : une thérapeute, une psychologue du travail, plusieurs coachs et consultants en entreprise.
"Nous sommes tous formés au repérage de la crise suicidaire et suivons tout un processus de questionnement pour protéger le dirigeant en difficulté et nous assurer qu'il ne passe pas à l'acte" indique le co-fondateur Eric de Gentil-Baichis. Si cela s'avère nécessaire, l'écoutant oriente l'appelant vers un professionnel de l'accompagnement psychologique, médical voire psychiatrique, sélectionné par l'association et capable de fixer un rendez-vous en moins de 48 heures.
"Nous ne faisons partie d'aucun réseau de chefs d'entreprise, car nous avons remarqué qu'entre pairs, les dirigeants n'osent pas avouer leur fragilité ". Jusqu'ici, 15 patrons en détresse ont décroché leur téléphone pour s'épancher. Les bénévoles sont supervisés par un psychologue tous les trois mois et sont à la recherche de nouveaux membres.
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