Le suicide des vieux : écoutez l'indifférence... Dimanche 14 Octobre 2012 | Elodie Emery - Marianne Journaliste à Marianne, entre société et culture En savoir plus sur cet auteur
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Près d'un tiers des quelque 10 000 personnes qui se donnent la mort chaque année ont plus de 65 ans. Une hécatombe silencieuse qui se poursuit dans l'indifférence générale.
A la mi-septembre, près d'Orléans, un homme a tiré sur son épouse
gravement atteinte d'un cancer, avant de retourner l'arme contre lui.
Quoi de plus bouleversant que le geste désespéré d'un être fou d'amour,
incapable de supporter plus longtemps les souffrances de sa femme ? «Quel drame terrible»,
soupire-t-on. Et puis on apprend que l'homme avait 85 ans et son
épouse, 79. Evanouis, les Roméo et Juliette modernes. La mort des vieux,
même par suicide, ça ne choque personne, c'est «dans l'ordre des choses» - c'est parfois presque un soulagement. «Après tout, leur vie est derrière eux, et ils coûtent cher à la collectivité !» lançait, provocateur, le sociologue Serge Guérin, lors du colloque sur le suicide organisé au Sénat en février dernier.
Par un réflexe culturel profondément ancré, sous nos latitudes, la disparition d'une personne âgée semble toujours moins grave que celle d'un jeune. Alors qu'en Afrique on dit que, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. «C'est révélateur d'une société qui ne sait pas prendre soin de ses personnes âgées», déplore le sociologue spécialiste des questions liées au vieillissement de la population. Au point que 3 000 individus de plus de 65 ans mettent fin à leurs jours chaque année en France, soit près d'un tiers des suicidés. Et plus l'âge avance, plus le bilan est lourd : le taux de suicides chez les 85-94 ans est six fois plus élevé que chez les 15-24 ans. Encore les statistiques ne prennent-elles pas en compte ceux qui arrêtent de prendre leurs médicaments ou qui traversent la rue sans regarder, et que l'on préfère qualifier d'accidents. Les causes ? Chez les jeunes seniors, c'est la perte de repères, de statut social, liée au départ à la retraite. Chez les octogénaires et au-delà, l'isolement, la précarité, la maladie ou la décrépitude physique, et surtout un sentiment de ne plus faire partie de la société.
«Il y a plusieurs types de suicides des personnes âgées, explique Michel Debout, professeur de médecine légale et fondateur de l'Union nationale pour la prévention du suicide. Le suicide que j'appelle "euthanasique" des personnes qui se sentent menacées par la maladie et qui craignent de perdre leurs capacités. Hélas, elles se font parfois une fausse idée de leur état véritable. Le second type de suicide est lié à l'impression d'être une charge : ces personnes se sentent déjà parties sur un plan social et émotionnel. Le troisième type de suicide est la conséquence de la dépression des personnes âgées. Le problème, c'est le regard que la société porte sur le vieillissement. On a le sentiment que c'est normal, à un certain âge, de se replier sur soi. Il faut que l'on apprenne à repérer ces états dépressifs.»
Pour l'heure, rares sont les études fiables et chiffrées qui permettraient de prévenir le suicide des personnes âgées. Avec Jean-Claude Delgènes, directeur du cabinet Technologia, spécialisé dans l'évaluation et la prévention des risques professionnels, Michel Debout a lancé l'hiver dernier une pétition pour la création d'un observatoire des suicides : les discussions avec le gouvernement sont «en cours», mais les actions concrètes tardent à se mettre en place. C'est que la thématique n'est pas glamour. «Il est certain qu'il y a un blocage, poursuit Serge Guérin. On n'a pas très envie de s'atteler à ce sujet. C'est beaucoup plus valorisant de parler d'éducation ou de l'avenir des jeunes. Depuis les Trente Glorieuses et l'avènement de la société de consommation, seules les valeurs associées à la jeunesse sont mises en avant : la modernité, la nouveauté...»
Par un réflexe culturel profondément ancré, sous nos latitudes, la disparition d'une personne âgée semble toujours moins grave que celle d'un jeune. Alors qu'en Afrique on dit que, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. «C'est révélateur d'une société qui ne sait pas prendre soin de ses personnes âgées», déplore le sociologue spécialiste des questions liées au vieillissement de la population. Au point que 3 000 individus de plus de 65 ans mettent fin à leurs jours chaque année en France, soit près d'un tiers des suicidés. Et plus l'âge avance, plus le bilan est lourd : le taux de suicides chez les 85-94 ans est six fois plus élevé que chez les 15-24 ans. Encore les statistiques ne prennent-elles pas en compte ceux qui arrêtent de prendre leurs médicaments ou qui traversent la rue sans regarder, et que l'on préfère qualifier d'accidents. Les causes ? Chez les jeunes seniors, c'est la perte de repères, de statut social, liée au départ à la retraite. Chez les octogénaires et au-delà, l'isolement, la précarité, la maladie ou la décrépitude physique, et surtout un sentiment de ne plus faire partie de la société.
«Il y a plusieurs types de suicides des personnes âgées, explique Michel Debout, professeur de médecine légale et fondateur de l'Union nationale pour la prévention du suicide. Le suicide que j'appelle "euthanasique" des personnes qui se sentent menacées par la maladie et qui craignent de perdre leurs capacités. Hélas, elles se font parfois une fausse idée de leur état véritable. Le second type de suicide est lié à l'impression d'être une charge : ces personnes se sentent déjà parties sur un plan social et émotionnel. Le troisième type de suicide est la conséquence de la dépression des personnes âgées. Le problème, c'est le regard que la société porte sur le vieillissement. On a le sentiment que c'est normal, à un certain âge, de se replier sur soi. Il faut que l'on apprenne à repérer ces états dépressifs.»
Pour l'heure, rares sont les études fiables et chiffrées qui permettraient de prévenir le suicide des personnes âgées. Avec Jean-Claude Delgènes, directeur du cabinet Technologia, spécialisé dans l'évaluation et la prévention des risques professionnels, Michel Debout a lancé l'hiver dernier une pétition pour la création d'un observatoire des suicides : les discussions avec le gouvernement sont «en cours», mais les actions concrètes tardent à se mettre en place. C'est que la thématique n'est pas glamour. «Il est certain qu'il y a un blocage, poursuit Serge Guérin. On n'a pas très envie de s'atteler à ce sujet. C'est beaucoup plus valorisant de parler d'éducation ou de l'avenir des jeunes. Depuis les Trente Glorieuses et l'avènement de la société de consommation, seules les valeurs associées à la jeunesse sont mises en avant : la modernité, la nouveauté...»
Un pays vieillissant...
Sommes-nous à ce point incapables de regarder la vieillesse et la
mort en face ? En réalité, le phénomène n'a rien d'inédit. Les
spécialistes récusent en effet l'idée d'un «âge d'or» durant lequel la société aurait mieux traité ses anciens. «Il y a toujours eu des histoires affreuses de petits vieux qu'on poussait dans le puits pour s'en débarrasser», soupire le sociologue. La nouveauté serait plutôt d'ordre démographique. «Les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses, rappelle Michel Debout. Nous sommes passés d'une société à trois générations à une société à quatre générations.»
D'après les prévisions de l'Insee, un Français sur trois sera âgé de 60 ans ou plus en 2050. Au-delà de toute ambition humaniste, c'est l'égocentrisme le plus pur qui devrait inciter à nous organiser : autant on peut espérer échapper à la maladie et au handicap, mais la vieillesse et la mort nous guettent avec certitude ! «Il y aurait beaucoup de choses à imaginer pour lutter contre le sentiment de relégation, affirme Jean-Claude Delgènes. Quand on met des personnes âgées au contact d'enfants par exemple, on obtient des améliorations très sensibles.»
Restaurer le lien, d'une manière ou d'une autre, voilà l'objectif que se fixent les spécialistes. Une priorité qui, selon eux, est bien plus urgente qu'une possible nouvelle loi sur l'«assistance au suicide» ou l'euthanasie. Plus que le droit à mourir dans la dignité, c'est le droit de vivre dans la dignité que Michel Debout voudrait voir au centre des débats : «Il faut être prudent dans les messages que l'on fait passer : ce n'est pas parce qu'on perd en autonomie que l'on n'est plus digne de vivre. Cela engendre certes des besoins nouveaux, mais c'est à la société d'y répondre.» Mettre ces questions sur la table peut contribuer à briser le tabou et à faciliter la parole pour ceux qui ont la tentation d'en finir. «La majorité des anciens qui veulent se suicider sont des gens qui ont l'impression qu'ils partiraient dans l'indifférence générale», complète Jean-Claude Delgènes.
Triste miroir ultralibéral renvoyé à l'ensemble de la société : aujourd'hui, un individu inactif, qui n'est plus «performant», physiquement ou intellectuellement, a le sentiment qu'il ne lui reste plus qu'à mourir...
D'après les prévisions de l'Insee, un Français sur trois sera âgé de 60 ans ou plus en 2050. Au-delà de toute ambition humaniste, c'est l'égocentrisme le plus pur qui devrait inciter à nous organiser : autant on peut espérer échapper à la maladie et au handicap, mais la vieillesse et la mort nous guettent avec certitude ! «Il y aurait beaucoup de choses à imaginer pour lutter contre le sentiment de relégation, affirme Jean-Claude Delgènes. Quand on met des personnes âgées au contact d'enfants par exemple, on obtient des améliorations très sensibles.»
Restaurer le lien, d'une manière ou d'une autre, voilà l'objectif que se fixent les spécialistes. Une priorité qui, selon eux, est bien plus urgente qu'une possible nouvelle loi sur l'«assistance au suicide» ou l'euthanasie. Plus que le droit à mourir dans la dignité, c'est le droit de vivre dans la dignité que Michel Debout voudrait voir au centre des débats : «Il faut être prudent dans les messages que l'on fait passer : ce n'est pas parce qu'on perd en autonomie que l'on n'est plus digne de vivre. Cela engendre certes des besoins nouveaux, mais c'est à la société d'y répondre.» Mettre ces questions sur la table peut contribuer à briser le tabou et à faciliter la parole pour ceux qui ont la tentation d'en finir. «La majorité des anciens qui veulent se suicider sont des gens qui ont l'impression qu'ils partiraient dans l'indifférence générale», complète Jean-Claude Delgènes.
Triste miroir ultralibéral renvoyé à l'ensemble de la société : aujourd'hui, un individu inactif, qui n'est plus «performant», physiquement ou intellectuellement, a le sentiment qu'il ne lui reste plus qu'à mourir...
POLÉMIQUE AUTOUR D'UN FILM
Le problème avec le suicide, c'est qu'on ne sait pas sur quel ton en parler ! Le Magasin des suicides, film d'animation musical réalisé par Patrice Leconte, soulève l'indignation de l'association Phare Enfants-Parents. «Il est mal venu de faire la promotion d'un tel film auprès des enfants, alors que nombre d'entre eux se trouvent déjà très tôt confrontés à des actes d'autodestruction qui, pour certains, sont mortels», déplore la présidente, Thérèse Hannier. Le Pr Michel Debout se montre moins virulent. Auteur notamment d'une BD sur les situations de détresse à l'intérieur de l'entreprise, il considère qu'un «ton badin» est parfois bien plus efficace pour faire passer les messages : «Il ne faut pas seulement communiquer sur le désarroi de façon grave. Ce qui est important, c'est de libérer la parole et d'humaniser la situation.»
Le problème avec le suicide, c'est qu'on ne sait pas sur quel ton en parler ! Le Magasin des suicides, film d'animation musical réalisé par Patrice Leconte, soulève l'indignation de l'association Phare Enfants-Parents. «Il est mal venu de faire la promotion d'un tel film auprès des enfants, alors que nombre d'entre eux se trouvent déjà très tôt confrontés à des actes d'autodestruction qui, pour certains, sont mortels», déplore la présidente, Thérèse Hannier. Le Pr Michel Debout se montre moins virulent. Auteur notamment d'une BD sur les situations de détresse à l'intérieur de l'entreprise, il considère qu'un «ton badin» est parfois bien plus efficace pour faire passer les messages : «Il ne faut pas seulement communiquer sur le désarroi de façon grave. Ce qui est important, c'est de libérer la parole et d'humaniser la situation.»
• Article paru dans le n°808 de Marianne daté du 13 octobre 2012.