La Prévention en santé chez les adolescents 17 juin 2014 Rapport
La Prévention en santé chez les adolescents
Claude DREUX *
Résumé
Près de 90% des adolescents de 12 à 18 ans s’estiment en bonne santé, mais on observe chez certains d’entre eux des comportements à risque pouvant entraîner des troubles irréversibles pour leur devenir.
Il
s’agit en particulier de l’usage des drogues légales et illégales, de
troubles psycho comportementaux pouvant conduire au suicide, d’une
sexualité naissante mal contrôlée, d’habitudes alimentaires défavorables
associées à la sédentarisation, d’une consommation excessive et peu
contrôlée des technologies d’information et de communication (TICS) par
ailleurs indispensables aujourd’hui.
Pour tenter d’informer objectivement les adolescents, les méthodes de communication
ciblées sur les adultes sont impuissantes et il faut mettre en place
des actions spécifiques faisant appel, notamment, aux groupes de jeunes,
les pairs, ayant suivis une formation adaptée pour éviter la
stigmatisation des ados souvent victimes de groupes de pression ou du
sectarisme de certains « éducateurs ».
Le rôle de la famille, de l’école, de la médecine scolaire (à refondre) est capital surtout dans la préadolescence
(6-12ans). L’accent est mis sur l’importance des activités physiques et
sportives sur le plan de la santé mais aussi au niveau
psycho-comportemental.
Une attention particulière doit se porter sur les jeunes issus de milieux défavorisés qui, comme nous l’avons écrit dans le 1er
rapport (La culture de prévention : des questions fondamentales adopté à
l’unanimité par l’Académie de médecine le 15/10/2013), sont trop
souvent oubliés.
La prévention « humaniste » et le développement du lien social doivent constituer la base de nos actions.
Aux 10 recommandations prioritaires concluant le premier rapport nous en avons ajouté 8 plus spécifiques aux adolescents.
* Membre(s) de l'Académie de Médecine
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec le contenu de ce rapport.
Extraits : p18 à 20
6 –
Prévention du suicide chez l’adolescent (J.M. MANTZ)
Epidémiologie
Le suicide
de l’adolescent est un problème de santé publique dans notre pays, un des plus
touchés d’Europe : 40 000 adolescents au
moins tentent chaque année de se donner la mort, mais nombre de suicides ne
sont pas déclarés ou sont présenté comme des accidents. Première cause de
mortalité après les accidents de la route chez l’adolescent de 15 à 24 ans
(environ 1 000 morts par an) le suicide touche tous les milieux sociaux, brise
l’équilibre de nombreuses familles et comporte une morbidité non négligeable.
Les intoxications médicamenteuses viennent largement en tête des moyens
utilisés mais il en est d’autres, l’ivresse aigüe massive (enquêtes Escapad,
Espad) l’overdose, sans parler de la défénestration...
Pourquoi
donc cette fréquence du suicide chez l’adolescent ? Il ne faut pas oublier que physiologiquement
l’adolescence est une période de déstabilisation avec les risques
comportementaux qu’elle entraîne dont la violence envers les autreset envers
soi-même. L’échec scolaire, la dépression, les conflits éventuels avec les
pairs appellent le soutien de parents concernés. Or ce qui est signalé comme
indicateur principal dans les cas de suicide est la détérioration des relations
familiales. Ce problème est insuffisamment pris en compte dans notre pays. Le
taux de suicide est un marqueur du mal-être d’une société.
Difficultés de l’étude
La lutte contre ce fléau est extrêmement difficile pour plusieurs raisons : le
cadre conceptuel du suicide n’est pas univoque.
- L’approche
psychopathologique du phénomène, prônée par Esquirol et couramment défendue par
les psychiatres, considère le passage à l’acte comme une forme de pathologie
mentale tandis que - L’approche psychodynamique chère à Durkheim voit dans le
phénomène suicidaire la manifestation d’une « crise » liée à l’accumulation non
maîtrisée d’éléments traumatisants.
Les deux approches, qui impliquent des mesures préventives différentes, sont
l’une et l’autre valables mais dans notre expérience de 40 années d’activité
dans un service de réanimation l’approche Durkheimienne semble correspondre à
la majorité des faits.
- le
déséquilibre physiologique, endocrinien, affectif propre à l’adolescent le rend
particulièrement vulnérable aux agressions environnementales.
- le
polymorphisme des conduites suicidaires rend difficile l’identification de la
population en danger.
-
l’irréversibilité de l’acte suicidaire réussi lui confère un caractère
tragique.
- de
nombreuses idées fausses compromettent souvent les efforts de prévention.
La
prévention du suicide en pratique
Cerner la
bonne cible, hiérarchiser les facteurs déclenchants, agir à bon escient, au bon
moment auprès du candidat au suicide et de son entourage obligent à distinguer
plusieurs niveaux de prévention
- La
prévention primaire a pour but d’empêché la survenue de comportements suicidaires
en supprimant ou en allégeant les facteurs qui pourraient les induire.
- La
prévention secondaire consiste à identifier une situation à risque de passage à
l’acte suicidaire afin d’en empêcher la survenue. Elle englobe les démarches de
dépistage.
On ne peut
décrire un portrait-robot du suicidant mais la littérature fournit à ce sujet
quelques stéréotypes qu’il est utile de méditer ; chaque cas a sa cause
particulière et sa touche propre : le mal-être de Werther, la passion
contrariée de Roméo et Juliette, le désespoir d’Iseult.
La crise suicidaire éclate rarement dans un ciel serein.
Certaines
situations comportent un risque permanent : la présence de troubles mentaux, la
dépendance à l’alcool, à la drogue, les antécédents de tentatives de suicide,
les conflits environnementaux. La prévention consiste à voir, écouter, rassurer
lapersonne angoissée, à encourager l’adolescent déprimé, à entendre son
entourage, sans juger ni culpabiliser ni moraliser.
Le risque identifié, il faut évaluer le degré de dangerosité et d’urgence.
Certains signes ont valeur d’alarme (réaction de fuite, changement de comportement,
inversion brusque de l’humeur chez un déprimé, propos mortifères...). Cette
évaluation ne relève pas d’a priori ni d’échelles de cotation prédictive (les
échelles de Dieskstra, de Pokerny, de Motto se
sont avérées décevantes) mais d’une observation clinique attentive, prudente et
approfondie.
En cas de
danger immédiat, il faut gagner du temps, parlementer et alerter le psychiatre.
De toute façon toute action préventive
doit être sans délai relayée par une action collective impliquant un personnel
spécialisé et diverses structures associatives.
- La
prévention tertiaire
C’est
l’ensemble des mesures visant à éviter les récidives : un tiers environ des
suicidants récidivent, le plus souvent dans l’année qui suit la première
tentative. La mortalité est alors de 1 à2 %.
La
prévention de la récidive doit s’exercer à tous les stades de la prise en
charge de la première tentative.
- dès
l’accueil. Quelles que soient les apparences le comportement suicidaire traduit
le plus souvent une souffrance psychologique intense, un appel à l’aide. La
prise en charge hospitalière doit être immédiate ; attentive et rassurante,
elle est un gage d’adhésion de l’adolescent aux soins s’il est conscient.
L’efficacité
du traitement médical conditionne, de toute évidence, toute mesure ultérieure
de prévention...
- la période
de réveil est un moment privilégié, sous réserve d’un état de vigilance
suffisant. Après une tentative de suicide, médicamenteuse par exemple, le
patient désinhibé accepte le plus souvent le dialogue. La patience, la
discrétion, le respect de la confidentialité, l’empathie sont les meilleures clés
d’une adhésion de l’adolescent à des entretiens ultérieurs.
Dès lors une
triple évaluation somatique, psychiatrique et sociale s’impose. Le recours à
une consultation psychiatrique doit être systématique (dans 20% à 30% des cas
il existe une pathologie psychiatrique sous-jacente). Tout service d’urgence doit
disposer d’une antenne psychiatrique rapidement opérationnelle et, si possible
au sein de l’équipe, d’une assistante sociale. L’évaluation sociale en effet
doit éclairer le contexte familial, scolaire ou professionnel de l’adolescent
et susciter des interventions spécifiques à différents niveaux.
Le contact
avec les parents par exemple est fondamental. Ils sont presque toujours
concernés à des titres divers : désarroi en présence d’un drame qu’ils
n’avaient pas prévu, besoin d’aide pour surmonter l’épreuve, soutien lorsqu’ils
culpabilisent (Se sont-ils suffisamment intéressés à cet enfant, à son travail,
à son hygiène de vie, à ses distractions ? L’ont-ils aidé à surmonter ses difficultés,
à encadrer le temps passé devant l’écran de télévision ou des jeux vidéo ?
Ont-ils préservé des moments de conversation, de confidence, d’humour ?
L’ont-ils épaulé, rassuré, encouragé, stabilisé, ou se sont-ils contentés d’une
présence indifférente ou critique. C’est tout le problème de la vie familiale
et de l’éducation des enfants qui resurgit à l’occasion du drame.
La conduite
à tenir ne s’improvise pas. Tous les intervenants médecins, infirmiers,
étudiants, travailleurs sociaux doivent être formés à l’approche des jeunes
suicidants, à la relation avec leurs familles et informés des dispositifs
d’appui, de soutien et d’accompagnement existant.
Le grand
point faible de la plupart des services qui accueillent les suicidants est
l’absence de suivi ultérieur : au sortir du service d’urgence ou de l’unité
hospitalière de relais, l’adolescent retrouve en famille, à l’école, en
entreprise, dans la rue, les conditions qui ont amené la première tentative.
C’est dire l’importance de son insertion, pilotée si possible par un tuteur,
dans une des structures d’un vaste réseau extra-hospitalier comprenant des centres
d’accueil et de crise, des centres médico-psychologiques, des bouées
téléphoniques répondant à un numéro vert et assurant des relances hebdomadaires,
véritable maillage médico-social de solidarité.
Recommandations
Ces
réflexions permettent de formuler quelques recommandations en accord avec
celles de l’ANAES :
- Considérer
la prévention du suicide de l’adolescent comme une priorité de santé publique.
- Ne jamais banaliser, minimiser ou camoufler une tentative de suicide chez un
adolescent. Une tentative de suicide n’est jamais anodine, elle doit être
considérée comme un appel à l’aide et indique formellement l’hospitalisation en
service d’urgence.
- Prévenir
tout risque de « contagion » du suicide sur les lieux où il s’est produit,
- Ne
pas sacrifier le côté humain de la prise en charge du suicidant aux exigences
techniques d’une thérapeutique médicale efficace.
- Prévoir dans tout service d’urgence l’accès à un référent psychiatrique.
- Organiser
dans tout service accueillant des adolescents une cellule médico-sociale
spécialement dédiée à la prise en charge des suicidants à l’entretien avec
leurs familles et assurant par des contacts téléphoniques rapprochés, le suivi
ultérieur et l’observance thérapeutique.
- Relayer
toute initiative personnelle de prévention par une action collective utilisant
les structures du réseau extra-hospitalier existant dans de nombreuses régions
et qu’il convient de développer.
Bibliographie
1.
Recommandations de l’ANAES - nov 1998, 10 p
2. CREMNITER
D. et colle. Le risque suicidaire La presse médicale 27, n°40, 1998, 2151-2156
3. La crise
suicidaire : reconnaître et prendre en charge. Conférence de consensus Ministère
de l’emploi et de la Solidarité, Paris 1-20 oct 2000
4. JEAMMET
P. et BIROT E. Etude psychologique des tentatives de suicide chez l’adolescent
et le jeune adulte, Ed. PUF Paris 1994, 227 p
5. JULIEN M.
et LAVERDURE J. Avis scientifique sur la prévention du suicide chez les jeunes.
Institut National de Santé Publique du Québec, 2004, 49p
6. POMMEREAU
X - L’adolescent suicidaire. Ed. Dumond, Paris, 1996, 240 p
- Les
conduites suicidaires à l’adolescence. Communication à l’Académie nationale de
Médecine, 14 février 2012
7. SEPIA.
Suicide Ecoute Prévention auprès des adolescents
Association
Colmar. Mulhouse- www.sepia.asso.fr