Deux nouveaux cas de suicide sur
les rails ont été enregistrés en Alsace début janvier. En France, 450
personnes se suicident chaque année sur la voie ferrée, signale la SNCF
qui a pris une série de mesures pour apporter un soutien psychologique
aux conducteurs de train confrontés à un « accident de personne ».
Vendredi 2 janvier, une femme s’est jetée sous un TER à
Ingwiller sur la ligne Sarreguemines-Strasbourg. Deux jours plus tard,
dimanche 4, un homme a mis fin à ses jours et à ceux de son fils, âgé
d’un an et demi, en se précipitant devant un train en gare de
Mundolsheim, près de Strasbourg.
Ces deux drames ne sont pas des
cas isolés. Le 14 décembre dernier, une femme est décédée après s’être
jetée sur les rails à Saverne. Chaque année en France, près de 450
personnes se suicident sur la voie ferrée, dévoile la direction
régionale de la SNCF à Strasbourg. Combien en Alsace ? La SNCF préfère
taire ce chiffre, même si la région « n’est ni plus, ni moins touchée
qu’une autre », lâche l’une de ses porte-parole.
Durant longtemps,
« pour ne pas donner de mauvaises idées », l’entreprise publique ne
communiquait pas du tout sur ces actes. Si elle le fait désormais, le
sujet reste en partie tabou. Pour preuve : elle ne parle pas de suicides
mais d’accidents de personnes, terme englobant les accidents classiques
et les gestes désespérés.
Impossible de « ne pas la taper »
«
Les suicides font partie des risques du métier. Nous essayons de ne pas
y penser, sinon nous ne pourrions plus aller travailler. Parfois, c’est
dur », explique un conducteur, en précisant n’avoir jamais été
concerné.
« C’est un truc présent dans nos esprits, surtout quand
il y a du monde près des voies », ajoute l’un de ses confrères, lui
aussi épargné jusque-là. « Il y a les images, le bruit et tout ce qui
suit », confie un autre agent ayant, lui, vécu un tel drame mais
préférant ne pas en dire plus, par pudeur autant que par crainte de sa
hiérarchie. « Des collègues m’ont raconté avoir vu des personnes leur
faire un signe, un salut, juste avant de les toucher », témoigne encore
un cheminot.
« En voiture, vous voyez une souris traverser la
route… Dans un train, c’est pareil. On voit tout. Il est donc important
que nos conducteurs comprennent qu’ils n’y sont pour rien, raison pour
laquelle nous les sensibilisons dès leur formation initiale. Ils sont
d’une certaine façon victimes du choix fait par la personne qui a mis
fin à ses jours », estime Olivier Nicklaus. Cadre transport traction,
l’homme a entre autres missions d’assister les 120 conducteurs TGV
rattachés à la direction régionale de la SNCF lors des interruptions de
circulation. « À 120 km/h, c’est-à-dire à sa vitesse de croisière, il
faut 600 à 900 m pour stopper un TER , martèle l’agent. Il faut 3 km
pour arrêter un TGV lancé à 320 km/h. Il est donc impossible d’éviter
une personne, de ne pas la taper. »
Arrêt maladie et soutien psychologique
«
Certains conducteurs n’ont aucun accident de personne durant toute leur
carrière, d’autres en ont jusqu’à sept ou huit, comme c’est le cas pour
l’un de nos agents strasbourgeois , poursuit Olivier Nicklaus. Chaque
expérience est différente, comme le sont les réactions. Il y a des
accidents de personnes plus faciles à vivre, entre guillemets, que
d’autres. Même si cela reste un décès, quand cela implique un enfant, un
jeune, c’est toujours plus compliqué que lorsqu’il s’agit d’une
personne âgée. Nous avons des conducteurs qui font rapidement la part
des choses, d’autres qui sont choqués plus profondément. »
La
procédure interne en place depuis de longues années prévoit que tout
cheminot est immédiatement relevé après un tel incident et reçoit
l’assistance, psychologique et technique, d’un cadre d’astreinte.
« Nous ne voulons pas qu’ils se sentent seuls »
Outre
recevoir ses premières impressions, il l’assiste notamment lors des
auditions des forces de l’ordre. « Nous proposons aussi au conducteur
une déclaration d’accident du travail. En revanche, quitte à eux
d’aller, ou non, voir un médecin pour être arrêté. Ils n’ont aucune
obligation. Certains ne le demandent pas. D’autres sont arrêtés deux ou
trois jours en moyenne, plus longtemps si nécessaire , précise Olivier
Nicklaus. Ils bénéficient également d’une aide psychologique via une
cellule téléphonique, disponible 24 heures sur 24 et sept jours sur
sept, et peuvent être reçus par un psychologue. Enfin, la première fois
qu’ils remontent dans un train, ils sont accompagnés par un cadre afin
de leur apporter un soutien. Nous ne voulons pas qu’ils se sentent
seuls. »
« Pas assez de moyens », selon la CGT
Benlazeri
Mazouz, le secrétaire général de la CGT Cheminots secteur Strasbourg,
reconnaît que des aides sont bien mises en place, mais les choses ne
seraient pas aussi simples. « Le souci est qu’au regard du manque de
personnels, on encourage de plus en plus les conducteurs à ne pas
déclarer d’accident de tr avail » , avance le syndicaliste. « On va leur
faire com-prendre qu’avant de pouvoir reprendre la conduite, il faudra
suivre toute une procédure, comme l’obtention d’un certificat d’aptitude
de sécurité. Cela les oblige à aller à Paris pour passer une visite de
contrôle qui, avant la restructuration de l’entreprise opérée ces
dernières années, pouvait se passer sur le plan local » , explique-t-il.
La
cellule psychologique est également centralisée à Paris et ne se
déplace que lorsque les problèmes s’avèrent plus sérieux. Autrement, «
l’aide n’est que téléphonique » , ajoute-t-il.
« Avec la
centralisation des services, même les cabinets médicaux internes à
l’entreprise disparaissent » , déplore le syndicaliste. C’est déjà le
cas, à Belfort et à Mulhouse : « Après avoir déposé un préavis de grève,
nous avons obtenu le maintien de celui de Strasbourg, mais uniquement à
titre temporaire. »