jeudi 4 octobre 2012

REVUE DE PRESSE «Il ne faut pas minimiser un chagrin d'amour»

«Il ne faut pas minimiser un chagrin d'amour»

INTERVIEW - Une déception amoureuse peut perturber profondément l'équilibre psychologique de l'adolescent au point de le conduire au suicide.
Didier Lauru, pédopsychiatre et psychanalyste, vient de codiriger (avec la psychiatre Annie Birraux) l'ouvrage L'Énigme du suicide à l'adolescence (Éd. Albin Michel, en librairie le 4 octobre) et fait partie du comité d'organisation du colloque éponyme*.
LE FIGARO.- Les parents ont-ils raison de s'inquiéter lorsqu'un chagrin d'amour bouleverse fortement leur ado?
Didier LAURU.- Oui, bien sûr. Car la banalité de la situation («une amourette qui s'achève», diraient certains) fait écran sur le vécu spécifique du jeune, un vécu réellement très éprouvant puisqu'il lui laisse penser que le monde est fini pour lui, qu'il ne sera plus jamais aimé par personne, etc. Être «largué» pour la première fois, alors qu'on pensait avoir trouvé celui qui nous était complémentaire, ce n'est pas rien! Cette perte de l'autre attaque les bases narcissiques de l'adolescent, fait vaciller son estime de soi… Surtout, les parents ne doivent pas minimiser ce qui se passe. Mais, en même temps, tous les adolescents ne plongent pas dans la dépression à cause d'un chagrin d'amour.
Quand cela doit-il devenir un motif de consultation?
Quand il y a persistance du mal-être dans la durée (plus de deux, trois mois), qu'une constellation de petits signes s'est mise en place (diminution de l'investissement scolaire, troubles du sommeil, désintérêt pour la vie sociale…), il peut être judicieux de proposer un accompagnement en quelques séances avec un pédopsychiatre. J'ai ainsi eu comme patient un jeune de 15 ans qui m'avait été envoyé parce qu'il refusait soudain de manger. Au bout de quelques semaines, ses parents ont jugé urgent d'intervenir. Et c'est en effet en séance, alors qu'il n'en avait parlé à personne, qu'il a pu dire qu'il agissait par dépit amoureux, sa petite copine ayant décidé d'arrêter leur relation… Mais dans ces cas, nous-mêmes, professionnels, sommes face à un diagnostic très difficile à poser: distinguer la dépressivité, ce mal-être quasi «normal» à l'adolescence, d'une réelle dépression qui pourrait mener à une tentative de suicide reste complexe. Quant aux antidépresseurs prescrits parfois légèrement à ces jeunes, c'est une catastrophe! On connaît leur effet désinhibiteur: ils peuvent favoriser le passage à l'acte chez un jeune désespéré.
Filles et garçons sont-ils égaux face à ce risque tant redouté?
La prévalence des tentatives de suicide au cours des douze derniers mois est la plus élevée chez les filles entre 15 et 19 ans, et surtout par absorption massive de médicaments. Pourtant, elles verbalisent plus leurs problèmes que les garçons, si taiseux, et cet usage de la parole est censé les protéger… Mais il faut savoir que, du point de vue psychanalytique, toute rupture amoureuse a un impact beaucoup plus fort sur le sexe féminin. Bien sûr ce ne sont que des lignes générales et, suivant chaque histoire, ce pôle sera nuancé. Mais on sait que, dans sa résolution de l'œdipe, la fille vit deux séparations successives, deux «trahisons» (la mère, puis le père), tandis que le garçon ne doit renoncer «qu'à» sa mère. Aussi, chez la fille, c'est le besoin d'être aimée qui colore particulièrement ses relations amoureuses, tandis qu'on pourrait dire que le fait d'aimer est plus important pour le garçon. Sans être simpliste, cela explique partiellement leur différence de réactivité au chagrin amoureux.
 * Colloque «L'énigme du suicide à l'adolescence» organisé à Paris par le Collège international de l'adolescence, le 6 octobre prochain. Infos: colloque-enigmedusuicide@laposte.net