« Le risque de passage à l'acte est multiplié par deux ou trois chez les proches endeuillés »
Gardier, Stéphany
Le Figaro, no. 24428
Le Figaro, lundi 6 mars 2023 650 mots, p. 13
PERDRE un proche est toujours une épreuve difficile. Et cela peut s'avérer plus particulièrement douloureux ou incompréhensible quand il s'agit d'un suicide. Le 20 mars prochain, une plateforme destinée à ces personnes sera mise en ligne. Cet outil, baptisé Espoir, est le fruit d'une recherche menée par des chercheurs et médecins de l'unité fonctionnelle urgences psychiatriques du centre hospitalier Le Vinatier (Lyon), du CHRU de Lille, du laboratoire de recherche Reshape (RESearch on HealthcAre PErformance) de l'université Claude-Bernard - Lyon 1 en collaboration avec l'agence de communication Interlude Santé. Le Dr Édouard Leaune, psychiatre au centre de prévention du suicide de l'hôpital du Vinatier et responsable de la consultation pour les personnes endeuillées par suicide, est l'investigateur principal de ce projet.
LE FIGARO.- En quoi ce deuil est-il particulier ?
Édouard LEAUNE.- Il existe toujours un débat pour savoir s'il s'agit d'un deuil différent. Mais une chose est sûre : perdre un proche par suicide a des conséquences particulières. La culpabilité est très présente après un suicide. Elle peut ronger les personnes des mois durant et, parfois, devenir obsessionnelle. Certains proches font et refont sans cesse les scénarios qui auraient pu éviter l'issue fatale. Le « pourquoi ? » est aussi très caractéristique de ce deuil : les proches veulent comprendre, ils cherchent l'élément qui serait responsable du geste suicidaire. Face à l'impensable, l'inacceptable, il peut être réconfortant de trouver une cause mais les passages à l'acte impulsifs, en réponse à un événement précis, sont très rares, même si ce sont les plus médiatisés. Le suicide est le plus souvent l'aboutissement d'une trajectoire de vie, dans lequel il existe une responsabilité collective. Je dis souvent aux personnes que je vois en consultation : « C ollectivement, nous n'avons pas été en capacité de voir la souffrance de votre proche et d'éviter son suicide . » Cela les apaise un peu.
Le risque de suicide est-il plus grand chez ces proches ?
Oui, et c'est un autre aspect spécifique de ce deuil. On estime que le risque est multiplié par deux ou trois chez les personnes endeuillées par suicide. C'est comme si une porte s'était ouverte : « S'il l'a fait, pourquoi pas moi ? » Beaucoup de personnes expliquent « refermer cette porte » pour ne pas infliger à d'autres la souffrance qu'ils sont en train de subir. Mais au-delà des idées suicidaires, le suicide d'un proche peut entraîner des complications psychiques chez 30 à 50 % des proches. Un suicide a une large onde de choc : on estime qu'en moyenne un décès par suicide plonge 6 à 14 personnes dans le deuil et touche jusqu'à 135 personnes. C'est un paradoxe : les personnes qui se suicident se sentent très isolées, mais il y a souvent beaucoup de monde à leurs funérailles.
Quelles ressources offrira la plateforme Espoir ?
Pour concevoir Espoir, nous avons travaillé avec des proches endeuillés afin de développer un outil qui réponde à leurs besoins et leurs attentes. Le stigmate et le tabou qui entourent encore le suicide peuvent conduire à un isolement des proches. La littérature et ce que nous observons au quotidien sur le terrain montrent que le soutien est très important. La plateforme référencera donc l'ensemble des associations et professionnels qui accompagnent des personnes endeuillées par suicide. En entrant leur code postal, elles seront orientées vers les professionnels de santé et associations qui exercent près de chez elles. Il sera aussi possible de poser des questions sur le deuil et d'obtenir sous soixante-douze heures une réponse de la part d'un professionnel de santé de notre équipe. Nous avons également essayé de centraliser un maximum d'informations et de ressources validées scientifiquement et nous proposerons un espace d'informations destiné aux professionnels de santé et aux associations. En parallèle, ces personnes peuvent appeler le 3114, numéro national prévention suicide, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 si elles en ressentent le besoin. -