lundi 6 mars 2023

PRESSE Mieux comprendre le suicide pour mieux le prévenir

Mieux comprendre le suicide pour mieux le prévenir

Avec 25 personnes qui s'ôtent la vie chaque jour, le taux de suicide en France reste parmi les plus élevés d'Europe. La situation s'améliore néanmoins peu à peu depuis 2010.

Gardier, Stéphany
5 mars 2023 - https://www.lefigaro.fr*

ÉPIDÉMIOLOGIE Chaque année, un million de personnes se suicident dans le monde. En France, ce sont quotidiennement près de 25 personnes qui mettent fin à leurs jours. Le suicide reste la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans (après les accidents de la route). Si la pandémie n'a pas conduit à une augmentation des décès par suicide, Santé publique France souligne que le contexte (inflation, crise énergétique, risque climatique, conflits...) continue de mettre à mal la santé mentale des Français et peut contribuer à augmenter le risque suicidaire. Si des progrès ont été réalisés en France depuis 2010 pour réduire le taux de suicide, il reste parmi les plus élevés en Europe. À l'occasion de la Journée nationale de lutte contre le suicide, en février dernier, le ministère de la Santé a ainsi rappelé que la prévention du suicide restait une priorité. Elle se heurte néanmoins souvent à une mauvaise connaissance de la crise suicidaire tant chez le grand public que parmi les soignants.

Le suicide est un phénomène complexe et multifactoriel sur lequel beaucoup reste encore à comprendre. « On cherche souvent à associer le suicide à un événement marquant qui a précédé le geste, comme s'il y avait une suite logique. Mais, en réalité, le passage à l'acte est l'issue, fatale, d'un long processus, rappelle le Pr Michel Debout, professeur émérite de médecine légale, coauteur de Suicide, un cri silencieux (Éditions Le Cavalier bleu). Les personnes qui se suicident sont dans une sorte d'impasse à vivre. Et, un jour, elles ne peuvent plus s'imaginer vivantes le lendemain. » Parmi les facteurs connus pour augmenter le risque suicidaire figurent les troubles psychiques, dont le plus fréquent est la dépression. Selon la littérature, 40 % à 80 % des tentatives de suicide sont directement liées à un épisode dépressif et le risque de suicide est 13 à 30 fois plus élevé chez les patients déprimés qu'en population générale.

Bien que chaque existence soit singulière, de grandes trajectoires de vie se retrouvent parmi les histoires des ceux et celles qui attentent à leurs jours. « Certaines personnes ont été confrontées précocement à l'adversité et doivent faire face à des difficultés de longue date, mais il y a surtout beaucoup de personnes qui ont une vie stable et qui se retrouvent face à des événements en série » , souligne Monique Séguin, professeur au département de psychologie et psychoéducation de l'Université du Québec en Outaouais et chercheuse au sein du groupe McGill d'études sur le suicide à l'Institut Douglas. « Leurs capacités d'adaptation peuvent alors s'épuiser et c'est le début de la vulnérabilité qui peut mener aux troubles psychiques puis parfois à la crise suicidaire. » La spécialiste souligne le côté insidieux de la souffrance dont beaucoup de personnes ont du mal à parler et que certaines n'objectivent même pas. « Une partie de la prévention passe par une éducation à l'identification de nos propres émotions ainsi que par l'information des personnes dont on perçoit qu'elles sont en difficulté pour qu'elles mesurent l'importance de leurs symptômes » , estime-t-elle. Encore trop de personnes concernées par un épisode dépressif n'osent pas consulter ou n'arrivent malheureusement pas à trouver une prise en charge.

Depuis 2021, la France s'est dotée d'un numéro vert, le 31 14, accessible 7 j/7 et 24 h/24. « C'est un outil important, près de 800 appels sont traités chaque jour » , commente Nathalie Pauwels, aujourd'hui chargée du déploiement national du programme Papageno et qui a participé à la mise en place du dispositif. Elle reconnaît cependant que ni les réseaux sociaux ni les campagnes d'affichage ne sont efficaces pour faire connaître le 31 14 : « Le suicide est un des tabous qui persistent dans notre société. On passe devant les affiches en se disant qu'on n'est pas concerné et rares sont ceux qui osent liker ou partager des messages de prévention sur le suicide. »

Pourtant, tout le monde peut un jour ou l'autre être amené à accompagner un proche en souffrance. « Les amis, collègues ou conjoints n'ont pas à se substituer aux soins, mais dire « Je peux appeler le 31 14 avec toi » ou « Je peux t'accompagner aux urgences » peut se révéler d'une grande aide » , insiste Nathalie Pauwels. Si vous doutez de l'état psychique d'un proche, ne craignez pas d'être franc. Demander « As-tu des idées suicidaires ? » n'est pas néfaste, au contraire. Cela montre à votre interlocuteur que vous êtes ouvert pour aborder le sujet. « Il est aussi mieux de dire « Je te sens mal » que « Tu vas mal » , à quoi il est facile de répondre un simple « Non, je vais bien » , ajoute le Pr Michel Debout. Et si vous êtes pris par le temps, évitez de dire « Et tu m'appelles si ça ne va pas » , mais fixez un rendez-vous, proche évidemment. Montrer que l'on s'implique et exprimer sa disponibilité est important. »

Proximité et présence sont au coeur de l'initiative Sentinelle, gérée par les agences régionales de santé, qui propose gratuitement un programme de formation aux personnes non soignantes (professeurs, coiffeurs, secrétaires...) à même de déceler des signes de souffrance chez les personnes qu'elles côtoient professionnellement. L'association Premiers secours en santé mentale (PSSM) propose également des stages pour apprendre à reconnaître le mal-être d'un proche, à communiquer d'une manière soutenante tout en se protégeant soi-même. Mais bien qu'elle soit mise en avant par le ministère de la Santé et de la Prévention dans un récent communiqué sur la politique de prévention du suicide, cette formation est payante et ne peut être financée par le CPF. Dans une volonté de prévention efficace, « Prendre soin les uns des autres » , comme l'écrit le ministère, ne devrait pourtant pas être une question de moyens. -

Il est mieux de dire « Je te sens mal » que « Tu vas mal » , à quoi il est facile de répondre un simple « Non, je vais bien »

PR MICHEL DEBOUT, AUTEUR

DE « SUICIDE, UN CRI SILENCIEUX » 

https://www.lefigaro.fr/sciences/suicide-le-risque-de-passage-a-l-acte-est-multiplie-par-deux-ou-trois-chez-les-proches-endeuilles-20230305