Suicide des agriculteurs : la MSA s'attaque au tabou
Par Jean-Marc Faure sur larepubliquedespyrenees.fr
Publié le 20/07/2012 à 06h00
Au cours des six derniers mois, deux agriculteurs ont mis fin à leurs
jours dans le département. Trois autres ont été sauvés in extremis. Si
le phénomène n'est pas nouveau en Pyrénées-Atlantiques (comme ailleurs)
ni dans le monde agricole en général, la façon de l'aborder est en train
de changer.
Pour preuve, la mutualité sociale agricole a constitué voilà 18 mois une cellule de prévention du suicide.
Ce thème était à l'affiche de sa dernière assemblée générale à Orthez
où la caisse Sud-Aquitaine avait invité un médecin franc-comtois,
spécialiste de la question, à lever ce tabou. Ce dernier, Jean-Jacques
Laplante, croit à la vertu de la parole : "Parler du suicide, c'est parler de la vie, c'est aussi se préoccuper de ceux qui sont vivants, la famille, les amis".
Constituée de dix personnes, la cellule de prévention pluridisciplinaire
de la MSA, qui inclut un responsable de la chambre d'agriculture, a
pour mission de libérer la parole. "Notre travail, c'est d'abord de pouvoir en parler pour lever les tabous", indique Marie-Claude Fillatre, chargée de mission en ingénierie sociale à la Mutualité qui coordonne l'équipe.
Le premier travail de la cellule a été de se former notamment avec
Pierre Girardet, médecin psychiatre à l'hôpital de Bayonne. "L'idée
était de voir comment fonctionne un service d'urgences psychiatriques,
de mieux connaître le réseau et de constituer un carnet d'adresses",
témoigne Florence Guerci, médecin du travail également membre de la
cellule.
En plus d'un numéro d'écoute qui sera mis en place d'ici à quelques mois, le groupe de prévention va s'attacher à tisser un maillage cantonal de prévention avec les délégués locaux de la MSA, les assistantes sociales et les conseillers agricoles.
Ce groupe de prévention va également s'appuyer sur un fichier de
personnes fragilisées recensées dans le cadre du dispositif "Ensemble
pour la relance des agriculteurs fragilisés" (ERAF).
Sensibilisés aussi au suicide des agriculteurs, les Jeunes Agriculteurs
(JA) ont le souci d'orienter leur communication vers le positif. "On
souhaite donner aux agriculteurs en détresse les moyens de s'accrocher",
indique Jean-Marc Couturejuzon, leur secrétaire général dans le
département.
Il pointe le contexte économique et la rigueur des contrôles, comme
facteurs de risque. Reste qu'il est aussi démuni que tout un chacun
devant les passages à l'acte. "On est un milieu très humble où on a
l'habitude de souffrir en silence. On a bien une cellule de soutien en
cas d'abattages massifs de troupeaux, mais les gens n'y vont pas".
>> Les risques du métier
Une évaluation nationale fait état de 400 cas de suicides d'agriculteurs chaque année.
Selon le docteur Jean-Jacques Laplante, intervenant à l'assemblée
générale de la MSA Sud-Aquitaine, on se suicide deux fois et demie plus
dans les petites communes qu'à Paris, trois fois plus si l'on est un
homme qu'une femme et trois fois plus si l'on est célibataire.
Selon une étude datant de 2005, le risque de suicide en agriculture est
1,46 fois plus élevé que pour l'ensemble des hommes et de 2 pour les
femmes.
Il a pointé quelques caractéristiques du métier pouvant fatiguer :
angoisse de la transmission familiale, le déni du risque, la complexité
du métier (de gestionnaire à mécanicien), la paperasse, les contrôles,
le sentiment d'image dégradée (traité de pollueur, stigmatisé pour les
aides PAC), coopérations compliquées (GAEC), difficulté de déclarer une
faillite, absence de loisirs et de vacances... Pour ce médecin, il est
important pour les proches de nommer le suicide : "Il faut, devant une
personne en détresse, toujours poser la question du suicide."