Bouchra Ouatik
Un phénomène viral qui circule sur Internet depuis l'été 2018,
sous le nom de « Momo Challenge », est réputé inciter les jeunes à
s'enlever la vie. Des experts en prévention du suicide affirment plutôt
qu'il s'agit d'une légende urbaine et qu'aucun décès ne peut être
attribué à ce phénomène.
Le
« Momo Challenge », ou défi Momo, consisterait en un message propagé
sur les réseaux sociaux dans lequel une femme à l’air lugubre menacerait ses cibles et leur ordonnerait de se suicider. La personne à l'origine du message est représentée par une sculpture de l’artiste japonaise Keisuke Aisawa.
Selon des captures d’écran de conversation sur la
messagerie WhatsApp, les participants seraient invités à composer un
numéro de téléphone pour participer au défi Momo. Dans les derniers
jours, des parents ont affirmé que l’image associée au défi Momo se
retrouverait maintenant dans des vidéos YouTube pour enfants. Depuis,
des parents inquiets, des corps de police et des directions d’école ont multiplié les avertissements à ce sujet sur les réseaux sociaux.
La compagnie YouTube a démenti que des vidéos faisant la
promotion du défi Momo se retrouvaient sur sa plateforme et a assuré
qu’elle les supprimerait immédiatement si c’était le cas.
Aucun suicide directement lié au défi Momo
Lorsque le phénomène a commencé à circuler, des médias
argentins avaient rapporté qu’une fillette de 12 ans s’était enlevé la
vie après avoir joué au défi Momo. Cependant, après enquête, la police
argentine soupçonnait plutôt un jeune homme de 18 ans de l’avoir incitée
à passer à l’acte.
D’autres cas de suicides survenus en Colombie et en Inde
ont été attribués au défi Momo, selon les autorités locales. Cependant,
il est très difficile de tirer de telles conclusions, selon
Louis-Philippe Côté, membre du Centre de recherche et d'intervention sur
le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie, à l’Université
du Québec à Montréal.
« Pour que la police ou le coroner dise : "Ce jeune-là
s’est suicidé parce qu’il a fait tel jeu", il faudrait que les preuves
soient très élevées, et ce n’est pas nécessairement des preuves faciles à
recueillir par rapport à un cas de suicide », explique le chercheur,
qui rappelle que le suicide est un phénomène complexe dont les causes
sont multiples.
En 2017, un défi semblable, le « Blue Whale Challenge », avait été accusé d’avoir mené à 130 suicides en Russie. Cependant, une enquête de Radio Free Europe (Nouvelle fenêtre) avait conclu que ces allégations étaient non fondées et qu’aucun décès ne pouvait être lié au « Blue Whale Challenge ».
Il n’y a aucun jeu, logiciel ou application qui a le pouvoir de rendre suicidaire, ou de pousser cette personne-là à passer à l’acte.
Louis-Philippe Côté est catégorique : aucun suicide ne
peut être directement attribué à de tels phénomènes web. Il qualifie la
situation de « paranoïa collective ».
« On alimente l’espèce de légende urbaine, l’espèce de
conte de joueur de pipeau de l’an 2020, dans lequel il y aurait un jeu
qui pourrait séduire nos enfants ou les hypnotiser au point que ça les
rendrait suicidaires. Donc, tout ça, c’est faux. »
Gare à la cyberintimidation
Selon M. Côté, même si le défi Momo n’a pas causé de
suicide, il n’est pas inoffensif pour autant. Des cyberprédateurs
peuvent créer des profils avec l’avatar du personnage de Momo, puis s’en
servir pour intimider des jeunes ou tenter d’obtenir leurs informations
personnelles.
Le phénomène, ce n’est pas le Momo Challenge ou le Blue Whale Challenge. Le phénomène, c’est un adulte qui est un prédateur et qui rentre en contact avec un jeune et qui le fait chanter. Ça peut être de la sextorsion, ça peut être des menaces ou des trucs comme ça, et c’est ça, le réel phénomène. On parle de cybercriminalité.
À ce sujet, Louis-Philippe Côté a trois conseils à
l’intention des jeunes : ne pas entrer en contact avec des inconnus sur
Internet, ne pas partager d’informations personnelles en ligne et ne pas
hésiter à demander de l’aide si l’on est victime de cyberintimidation.
Des bandes dessinées à Donjons & Dragons
La crainte que des phénomènes populaires mènent à des
suicides existait avant même l’avènement d’Internet. Le directeur du
centre de recherche sur les crimes contre les jeunes de l’Université du
New Hampshire, David Finkelhor, a publié en 2011 un rapport sur ce qu’il appelle la "juvénoïa" (Nouvelle fenêtre),
un néologisme composé des mots « juvénile » et « paranoïa ». Selon lui,
chaque nouvelle technologie s’accompagne d’une « peur exagérée » de son
influence sociale sur les enfants et les adolescents.
Dans son rapport, l’auteur explique que de telles
craintes se manifestaient déjà dans les années 1950, alors que certains
reprochaient aux bandes dessinées de mener à de la délinquance juvénile.
Dans les années 1980, des parents accusaient le jeu de rôle Donjons & Dragons (Nouvelle fenêtre) d’être responsables de suicides d’adolescents.
L’arrivée d’Internet a exacerbé ce genre de craintes chez
les parents, selon David Finkelhor. Le chercheur souligne que cette
peur est non fondée, puisque les statistiques démontrent que le taux de
suicide chez les jeunes aux États-Unis est en forte baisse depuis le
début des années 1990.
Besoin d'aide pour vous ou un proche?
Ligne québécoise de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (277-3553).
Ce service est disponible partout au Québec, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
Ailleurs au Canada : 1 833 456-4566
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1155877/momo-challenge-blue-whale-suicide-faux-cyberintimidation
Ce service est disponible partout au Québec, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
Ailleurs au Canada : 1 833 456-4566
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1155877/momo-challenge-blue-whale-suicide-faux-cyberintimidation