lundi 27 novembre 2023

TEMOIGNAGE Sarthe. Crise suicidaire, le témoignage d'une cheffe d'entreprise

Sarthe. Crise suicidaire, le témoignage d'une cheffe d'entreprise

Confrontée à la liquidation judiciaire de son commerce au Mans (Sarthe), une jeune cheffe d'entreprise raconte ses difficultés et l'importance de l'APESA dans sa reconstruction. 

La jeune commerçante n’arrivait plus à faire face. Elle a été signalée à trois reprises à l’APESA par des « sentinelles » qui veillaient.

Magalie* fait partie des 36 entrepreneurs aidés par l’APESA** en 2023. La jeune femme est toujours suivie par la psychologue du réseau, mais va beaucoup mieux. 

La Sarthoise avait ouvert une boutique au début de l’année 2022. « Durant toute la première année, tout s’est bien passé, puis sont arrivées les augmentations d’électricité, de gaz, s’y est ajoutée la baisse de fréquentation du centre-ville. » Elle tente de faire face. 

« Je dormais dans ma boutique »

« J’étais baladée entre le comptable et les banques. J’ai fait des prêts pour renflouer la trésorerie. » La commerçante s’enfonce dans les difficultés.

Je ne me payais plus depuis huit mois. Je ne mangeais plus, je dormais dans ma boutique. » Les idées noires la gagnent. « Je touchais le fond.

Magalie

En septembre, perdue, elle appelle le tribunal de commerce du Mans. Elle s’y rend quelques jours plus tard pour déposer son dossier. « Il y avait de l’attente. J’ai commencé à lire les panneaux d’information et j’ai découvert l’APESA. »

« On ne se rend pas compte que l’on glisse »

Elle sort de la cité judiciaire et compose le numéro d’aide.

« J’étais au bout du rouleau. Il était 19 h, c’était un vendredi soir. J’ai expliqué que ça n’allait pas, je pleurais tout le temps. »

Le système d’accompagnement de l’association se met en place très vite.

« On m’a rappelé très vite et dès le lundi, on m’a donné un rendez-vous physique avec un psychologue. »

Magalie

Un pas qu’elle n’aurait pas passé seule. « Je n’avais jamais vu de psy de ma vie, j’avais de l’appréhension. » 

En mettant des « mots sur les maux« , elle prend de la distance. « On ne se rend pas compte que l’on glisse. C’est votre entreprise, on ne compte pas ses heures, je me suis fait bouffer par mon boulot. Ça avait pris des proportions énormes dans mon quotidien. Personne ne vous met en garde contre ça. » 

« Ces mots ont changé la donne »

La jeune femme est entourée, mais ce n’était pas suffisant.

Mes proches sont à 10 000 lieux de savoir comment ça se passe pour une entreprise. 

Magalie

Avec l’aide de la psychologue « des mots qui paraissent banals ont changé la donne, je me suis sentie apaisée, libérée ». 

Magalie a trouvé un double réconfort, psychologique, mais aussi professionnel.

« Il y a une écoute, une bienveillance, tout est très bien organisé. Ils nous prennent en compte dans toutes nos dimensions. Ils m’ont expliqué aussi comment allait se passer la liquidation judiciaire. » 

Les sentinelles veillent

Au cours de son parcours, elle croise deux autres « sentinelles » de l’association.  « Le jour où je suis passée devant le tribunal de commerce, je me suis mise à pleurer. Le juge m’a orienté vers l’association. » 

Quelque temps plus tard, le mandataire judiciaire fait de même. Elle craignait aussi cette étape.

On les voit comme des monstres, mais en fait ils nous accompagnent et ils sont aussi là pour nous aider

Magalie

Aujourd’hui, la jeune femme va mieux. Elle a changé de voie professionnelle et retrouvé un emploi. 

Elle poursuit ses rendez-vous avec la psychologue de l’association pour tourner complètement la page.

Son regret : ne pas avoir connu l’APESA plus tôt

Elle n’ose pas imaginer la tournure des évènements si  » je n’avais pas attendu au tribunal le jour de mon dépôt de dossier ». Elle souffle pudiquement : « La situation aurait pu se dégrader même si un emploi m’attendait. » 

Son regret, « n’avoir pas su plus tôt qu’ils existaient ».

Si mon comptable ou mon banquier m’en avaient parlé, j’aurais appréhendé les choses autrement.

Magalie

Elle regarde ces semaines passées et mesure le chemin parcouru. « J’avais un boulet au pied, c’est l’APESA qui me l’a retiré et m’a permis de me sentir apaisée et libérée. » 

* Prénom d’emprunt, la Sarthoise souhaitant rester anonyme ** APESA : Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aiguë
 
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Complement article 

Sarthe. Psychologue pour l'APESA, elle accompagne les chefs d'entreprises en crise suicidaire

La psychologue est au coeur du dispositif d'aide aux entrepreneurs suicidaires en Sarthe, l'APESA. Rencontre avec Marie Scholl psychologue installée au Mans.

Marie Scholl psychologue Le Mans APESA 72

Marie Scholl est psychologue pour l’APESA, elle forme les sentinelles et prend en charge les chefs d’entreprise suicidaires.  ©Julie HURISSE/Actu Le Mans

Au cœur du dispositif de l’APESA, la psychologue. Marie Scholl a son cabinet au Mans et est aussi psychologue pour l’association. Elle a un double rôle : former les sentinelles* et prendre en charge les chefs d’entreprise en difficulté. 

Quel est votre rôle auprès des sentinelles ?  

« Je les forme. Durant une demi-journée, je leur donne des clés pour reconnaître et accompagner la crise. Mon but n’est pas de les transformer en psychologues, mais de les aider à identifier des comportements qui pour nous évoquent une alerte rouge. » 

À quel moment intervenez-vous auprès des chefs d’entreprise ?

« Uniquement quand ils ont donné leur accord pour être pris en charge. On me donne quelques éléments cliniques et je les appelle pour un premier lien et un premier rendez-vous avec pour objectif de dégonfler la crise suicidaire. Il peut y avoir jusqu’à cinq rendez-vous. »

Comment procédez-vous ?

« On va appeler un chat, un chat. Je vais lui demander s’il a réfléchi à mourir, s’il a une arme cachée quelque part. C’est très rare pour la personne d’avoir l’occasion d’en parler. Il y a alors un soulagement extrême. On déconstruit tout ce qu’elle a mis en place. Dans ce cas de figure, avec une date et un mode opératoire, on écarte le risque suicidaire à 60%. »

Vous l’aidez aussi dans le processus psychologique de perte de son entreprise ?

« Les personnes sont souvent en redressement judiciaire ou juste avant la liquidation. Il y a un déni de la liquidation. Mon travail est de les accompagner à envisager l’idée de la fermeture. On ouvre les perspectives de ce qu’il se passe si l’entreprise ferme et on déconstruit un par un les éléments. » 

Quel est le profil des personnes que vous accompagnez via l’APESA ?

« Ce sont pour 70% des hommes. Beaucoup travaillent dans le commerce, le service, sont à la tête de petites entreprises, souvent des sociétés familiales. La plupart des personnes ont entre 40 et 60 ans avec une valeur travail très importante. Ce qui les portait est ce qui les tue aujourd’hui. On a besoin de le questionner. La valeur travail occulte tout le champ et la personne n’identifie pas les limites. Il faut mettre le bien-être au cœur de la réflexion. Ce sont souvent des personnes qui n’ont pas appris à dire leurs émotions ou à demander de l’aide, des personnes exigeantes, dévolues à leur travail, à leurs salariés. Ils n’identifient pas les alertes, leur seul objectif est la réussite de leur entreprise. Ils ne sont pas en capacité de demander de l’aide. » 

C’est là qu’intervient l’APESA via les sentinelles, puis vous ?

« C’est dans la rencontre que tout se joue, quand quelqu’un leur tend la main, car ils sont dans une grande solitude. C’est toute une chaine dynamique qui est à l’œuvre avec l’APESA. Le processus suicidaire est un chemin qui enferme et empêche d’ouvrir des perspectives. Nous ne sommes pas dans un processus logique. Nous sommes une pierre ou un garde-fou sur le chemin. » 

Vidéos : en ce moment sur Actu
* Dans le dispositif de l’Apesa, la sentinelle est le premier maillon. Il lui appartient de reconnaître un chef d’entreprise qui pourrait être suicidaire. 
 https://actu.fr/pays-de-la-loire/le-mans_72181/sarthe-psychologue-pour-lapesa-elle-accompagne-les-chefs-dentreprises-en-crise-suicidaire_60375957.html
 
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Sarthe. "Nous sommes le Samu de la crise suicidaire", l'APESA au secours des chefs d'entreprises

L'APESA fête ses 10 ans cette année. L'association d'Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aigüe existe depuis 7 ans en Sarthe et mène un vaste travail, dans l'ombre. 

En Sarthe, l’APESA est venu en aide à 36 chefs d’entreprises depuis le début de l’année 2023.

APESA pour Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aigüe. L’association est peu connue en Sarthe, pourtant elle mène un vaste travail, dans l’ombre, auprès des chefs d’entreprises, souvent en liquidation ou en redressement judiciaire, qui se débattent dans les difficultés psychologiques. Au niveau national, elle fête ses 10 ans.

En Sarthe, elle existe depuis 2016 et est présidée par Sylvie Casenave-Péré en Sarthe, PDG de Posson Packaging. Ce jeudi 23 novembre 2023, une réunion est organisée au Mans, en présence de son président fondateur, Marc Binnié.


« Le Samu de la crise suicidaire »

Hervé Rouvre, cofondateur, référent et cheville ouvrière de l’association, résume le rôle de l’APESA en une phrase.

Nous sommes le SAMU de la crise suicidaire, pour éviter que le pire n’arrive.

Hervé Rouvre

Lancée en 2016 en Sarthe, l’association est très organisée.

Le premier niveau : le « recrutement » et la formation de sentinelles. La cible : des personnes qui gravitent autour des chefs d’entreprises en difficulté. Ils sont experts-comptables, avocats d’affaires, employés de la CCI ou de la chambre de métiers, membres de clubs d’entreprises, juges, mandataires judiciaires, huissiers… La liste est longue.

241 sentinelles

« La Sarthe est le département où l’on compte le plus grand nombre de sentinelles », précise Hervé Rouvre.

241 personnes ont été formées depuis 2016.

Plus on a un maillage serré, plus on pourra faire de la détection et empêcher que des crises suicidaires se transforment en suicide. 

Hervé Rouvre

On ne s’improvise pas sentinelle. « Ce que l’on apprend à des sentinelles, c’est d’envoyer une alerte ».

Bénévoles, elles bénéficient de trois heures de formation auprès d’un psychologue.

« L’idée est qu’elles puissent avoir des clignotants qui s’allument et qu’elles commencent un dialogue avec le chef d’entreprise. »

Charge à elles d’inciter le chef d’entreprise à accepter un contact avec un psychologue.

Si la réponse est positive, « dans les 15 minutes, un psychologue d’une cellule nationale de l’APESA, formé aux procédures et à la crise suicidaire, appelle l’entrepreneur ».

Un diagnostic est posé. « Soit c’est une fausse alerte et c’est tant mieux, soit la personne a besoin de consultations. » Elle peut bénéficier de cinq rendez-vous gratuitement et anonymement. 

Hervé Rouvre, référent de l’APESA 72, présente le dispositif d’aide aux chefs d’entreprise confrontés aux crises suicidaires.  ©Julie HURISSE/Actu Le mans

36 alertes en 2023

En Sarthe, 17 psychologues sont formés et peuvent intervenir pour l’APESA. 

En 2022, 22 alertes avaient été émises. 2023 en compte déjà 36.

La moitié proviennent de professionnels qui sont les plus confrontés aux chefs d’entreprise en difficulté : les mandataires judiciaires.

Les chiffres montrent l’importance de ce signalement.

Deux tiers des alertes sont suivis d’entretien avec un psychologue. 

Hervé Rouvre

Autant de personnes aidées à sortir de la crise suicidaire.

Financièrement, l’APESA, qui rémunère les psychologues, fonctionne avec « 100% de dons, dont 95% proviennent des entreprises ou des organismes ». Avec l’augmentation du nombre de personnes détectées, l’association cherche des financements supplémentaires.

Un appel aux élus

Ange gardien du chef d’entreprise, l’APESA aimerait aussi accroitre son armée de sentinelles. Les élus font défaut. « Aujourd’hui, le maire a remplacé le curé comme confesseur, surtout dans les communes rurales », sourit Hervé Rouvre. Je sais qu’ils sont déjà très sollicités, mais on aimerait pouvoir compter des élus parmi nos sentinelles. » 

Comment est née l’APESA ? 

Dans le département, l’association a été créée en 2016, à l’initiative de Jean-Pierre Poirier, alors président du tribunal de commerce du Mans.

Comme tous les juges et présidents de tribunaux de commerce, il faisait face à des entrepreneurs en difficultés psychologiques. « Nous avions de la bienveillance, mais pas de réponse. » La création de l’APESA en était une.

Ne pouvant « cumuler la fonction de président de tribunal de commerce et de président de l’association », il propose la tête de l’APESA 72 à Sylvie Casenave-Péré, PDG de l’entreprise de cartonnage Posson à Louailles.

Une histoire  de rencontre

La cheffe d’entreprise avait d’abord été approchée pour devenir juge au tribunal de commerce.

« J’ai la formation pour faire ça, mais je n’ai pas l’âme d’un juge », estime-t-elle.

Prendre la présidence de l’APESA  faisait écho à sa vie professionnelle avant Posson Packaging.

Ça m’a touchée. Quand j’ai été stagiaire administrateur judiciaire, j’ai rencontré des chefs d’entreprise désespérés. Je me suis dit que cette association était une très bonne idée. 

Sylvie Casenave-Péré

Le bureau de l'APESA 72 aujourd'hui : De gauche à droite : Victor Geneste (secrétaire adjoint), Jean-Pierre Poirier (vice-président), Sylvie Casenave-Péré (présidente), Jean-Claude Briant (trésorier), Hervé Rouvre (référent).
Le bureau de l’APESA 72 : De gauche à droite : Victor Geneste (secrétaire adjoint), Jean-Pierre Poirier (vice-président), Sylvie Casenave-Péré (présidente), Jean-Claude Briant (trésorier), Hervé Rouvre (référent). ©Julie HURISSE/Actu Le Mans

Elle devient présidente de l’association, Jean-Pierre Poirier vice-président.

Se lancent aussi dans l’aventure Hervé Rouvre, Michel Crépin, alors patron de Maliterie, Victor Geneste, greffier au tribunal, Jean-Claude Briant, qui devient trésorier. 

Première action : lever des fonds. L’association trouve ensuite une psychologue en charge de « former des sentinelles, des personnes qui auraient en charge de détecter les entrepreneurs en difficulté ».

D’année en année, le nombre de « sentinelles » ne fait qu’augmenter tout comme le nombre de chefs d’entreprises aidés.

Une association indispensable. 

https://actu.fr/pays-de-la-loire/le-mans_72181/sarthe-nous-sommes-le-samu-de-la-crise-suicidaire-lapesa-au-secours-des-chefs-dentreprises_60368603.html