Article "Ce que nous apprend l'accompagnement bénévole des chômeurs" par Jean Simonet - 18 Septembre 2016 sur metiseurope.eu*
"Dans la foulée de l'interview que nous ont accordée deux accompagnatrices de Solidarités Nouvelles face au Chômage SNC, et du Dossier consacré par Metis à l'accompagnement, voici l'analyse que porte Jean Simonet sur son engagement dans l'accompagnement bénévole des chômeurs et plus généralement sur le chômage et la situation des chômeurs.
Depuis huit ans, au sein de SNC (Solidarités Nouvelles face au
Chômage), j'accompagne à titre bénévole des personnes qui cherchent un
emploi. J'ai abordé cette activité avec une expérience de consultant en
management et en ressources humaines, acquise chez IDRH, Bernard Brunhes
Consultants, BPI, et à titre individuel. J'ai beaucoup appris en tant
qu'accompagnateur vers l'emploi. L'accompagnement permet de mieux
connaître et de mieux comprendre l'expérience vécue du chômage, qui, en
retour, oriente, structure et enrichit l'accompagnement.
C'est ce que je vais développer en m'appuyant à la fois sur ma
pratique, sur ce que j'ai entendu, observé et compris auprès des
personnes que j'ai rencontrées en situation d'accompagnement classique
(à SNC un binôme d'accompagnateurs avec une personne accompagnée) et
dans le cadre d'un atelier sur le projet professionnel que j'ai mis en
place et que j'anime, avec d'autres. Je m'appuierai aussi sur diverses
études réalisées auprès de chômeurs.
Même si à SNC nous préférons le terme jugé plus positif de «
chercheurs d'emploi », j'utiliserai le plus souvent le terme courant
plus largement répandu de « chômeurs ».
Bien entendu, même si je me sens solidaire des objectifs, des
valeurs et des démarches de SNC, dont je suis imprégné, ce texte
n'engage que moi.
Une épreuve, un traumatisme
Le contact avec les chômeurs fait apparaître un certain nombre de
constantes dans leur expérience vécue de l'absence d'emploi, même si on
ne les retrouve pas chez chacun. Ces constantes sont connues des
spécialistes et identifiées par des études dont les premières remontent
aux années trente, mais ne sont pas toujours reconnues ou intégrées dans
les représentations les plus répandues du chômage et des chômeurs.
Elles révèlent que pour ceux qui le vivent, le chômage est une épreuve,
souvent un traumatisme.
La perte d'emploi est souvent le premier choc, source de stress
post-traumatique. « Tout s'effondre », « un univers s'écroule ».
Quelques années plus tard, certains évoquent avec une émotion encore
intacte et des sanglots dans la voix le moment de leur licenciement.
D'autres ont vécu une situation qui s'est dégradée progressivement et
s'est étalée sur une période plus longue, mais qui n'en a pas moins été
traumatisante et a laissé des traces.
Après le choc de la perte d'emploi, le fait de se retrouver sans
emploi est une dégradation des conditions de vie, matérielles et
morales. C'est d'abord une perte de revenus, souvent partiellement
indemnisée avec la menace de la forte diminution de l'indemnité si l'on
n'a pas retrouvé du travail au bout d'un certain nombre de mois.
Rappelons aussi que 40% des chômeurs ne sont pas indemnisés et que le
chômage est aujourd'hui un des principaux facteurs de risque d'entrée
dans la pauvreté. Un moindre revenu va de pair avec des incertitudes
quant à l'avenir, la peur d'une spirale négative, d'une dégringolade
sociale, ce qui fait que beaucoup ressentent le chômage comme «
l'absence d'avenir » à leurs propres yeux comme aux yeux d'autrui. Par
ailleurs, la perte de son statut, social et professionnel, et de sa
position sociale, c'est-à-dire de son identité sociale, engendre un
sentiment de dévalorisation, une diminution de la confiance en soi, de
l'estime de soi.
Vivant une situation difficile, ressentie comme une souffrance et
une humiliation, beaucoup de chômeurs s'isolent et se tiennent à
distance de leurs relations habituelles, amicales, voire familiales. Cet
isolement est accentué par le fait que le plus souvent ces relations
elles-mêmes s'écartent d'eux, qui ne vivent plus au rythme de ceux qui
travaillent et sont désormais perçus négativement.
La perte d'emploi est une perte des repères de vie habituels.
L'emploi structurait le temps et l'espace. Le chômeur se retrouve tout
d'un coup sans horaires, sans emploi du temps, avec une impression de
« vacances » et de « temps libre » qui n'en sont pas vraiment, car son
esprit n'est pas libéré de tout souci et le rythme de vie est décalé par
rapport à celui des autres. Il n'y a plus de raisons de sortir
quotidiennement de chez soi pour se rendre au lieu de son activité et y
rencontrer d'autres personnes.
La recherche d'emploi est aussi une épreuve, source de
découragement et d'éventuels traumatismes. Elle est souvent longue et
consiste en une accumulation de refus et donc d'échecs avant de réussir à
obtenir un emploi éventuel. Elle laisse par ailleurs le chercheur
d'emploi sans véritable information en retour quant à la valeur de sa
candidature : il ne reçoit de la part des recruteurs que des
informations convenues, avec des formules toutes faites sans grand
intérêt ...quand il reçoit une réponse. Le chercheur d'emploi travaille
donc dans le brouillard, à l'aveuglette, comme le constate Didier
Demazière, sociologue, dans son étude sur l'expérience du chômage, pour
SNC et Pôle emploi (2015). D'anciens chômeurs ayant retrouvé un emploi
pensent que les techniques de recherche d'emploi sont utiles, mais sans
qu'ils parviennent à identifier en quoi précisément dans chaque
recherche et finalement ils estiment qu'ils ont retrouvé un emploi « par
hasard », sans repérer les causes de cette réussite.
Tous les chômeurs ne connaissent pas toutes ces difficultés,
matérielles ou morales et quand ils en rencontrent certaines, elles
peuvent être vécues avec des intensités, des significations ou des
retombées diversifiées en fonction de chacun. Certains traversent même
l'épreuve du chômage sans traumatisme ni séquelles apparents. Néanmoins,
le mal-être et les difficultés psychologiques sont suffisamment
fréquents pour que beaucoup d'accompagnateurs, et aussi des
non-accompagnateurs, côtoyant des chômeurs, s'interrogent : est-ce parce
qu'ils ne sont « pas bien dans leur peau » que beaucoup ont du mal à
trouver un emploi, ou est-ce le chômage qui fait qu'ils ne sont « pas
bien dans leur peau » ?
Pour David Bourguignon, maître de conférences à l'Université de
Lorraine, les études de terrain ont montré que la deuxième hypothèse,
dite d'exposition (à la situation de chômage), l'emporte de très loin
par rapport à la première, dite de sélection (par le chômage). Autrement
dit, c'est avant tout le chômage qui détériore la santé, physique ou
mentale, de ceux qu'il touche.
Stigmatisation, culpabilisation
Beaucoup de chercheurs d'emploi ressentent, ou constatent qu'ils ont
une mauvaise image. On les évite, ou on les plaint, comme s'ils étaient
porteurs d'une maladie socialement transmissible, et honteuse, « une
sorte de lèpre de l'époque moderne ».
Trois éléments caractérisent, selon David Bourguignon, cette
image négative et la stigmatisation des chômeurs : on pense qu'ils sont
(ou doivent être) incompétents, paresseux et profiteurs. 60% de leurs
contemporains estiment qu'ils pourraient trouver un emploi s'ils le
voulaient vraiment (enquêtes CREDOC).
Cette stigmatisation se traduit concrètement par des
discriminations, vérifiées expérimentalement : à compétences égales, les
recruteurs préfèrent les gens en activité. Le paradoxe, du côté du
chercheur d'emploi, c'est qu'il doit « se mobiliser » et faire preuve de
dynamisme et de confiance en soi alors qu'il se trouve dans une
situation qui le déstabilise, lui ôte une partie de ses moyens.
L'échange régulier avec la personne qui cherche un emploi permet
de connaître en profondeur les modalités et le poids de cette
stigmatisation, ainsi que de constater sa fausseté, c'est-à-dire l'écart
entre la représentation stéréotypée et la réalité de chaque personne en
situation de chômage.
On constate que s'applique le mécanisme identifié dans les années
soixante-dix aux États-Unis : la victime se voit reprocher ce qui lui
arrive (« blame the victim »). Trois causes expliquent le
phénomène. D'abord, c'est un moyen pour ceux qui ont un emploi de
vaincre leur peur, de se rassurer et de tenir la situation de chômage à
distance : « les chômeurs sont différents de nous, je ne suis pas comme
eux, car je ne suis ni incompétent, ni paresseux ni profiteur ».
Ensuite, c'est la manifestation d'un biais cognitif repéré par
des psychologues, l'erreur fondamentale d'attribution, qui consiste à
expliquer le comportement d'une personne par ses dispositions
individuelles ou sa personnalité en sous-estimant l'influence de la
situation, du contexte. Essentiellement parce que la personne est
visible et qu'il est tentant de la qualifier alors que la situation est
invisible, non perceptible dans toute sa réalité et sa complexité. Les
chômeurs ont perdu leur emploi, donc on postule qu'ils n'ont pas (ou
plus) les compétences requises. Ils ont du mal ou mettent du temps à
retrouver un emploi, donc on postule qu'ils sont fainéants ou se
complaisent dans une situation de non-emploi. Bon nombre d'entre eux
perçoivent des allocations ou des indemnités, donc on postule que ce
sont des profiteurs, des parasites ou des assistés. Évidemment, de tels
postulats apparaissent faux, en tous cas caricaturaux, dès qu'on échange
un tant soit peu avec des chômeurs.
La troisième cause de l'existence et du maintien des
stigmatisations envers les chômeurs est l'idée que, sous une forme ou
sous une autre, ils sont, au moins pour une part, responsables de ce qui
leur arrive. Soit pour les motifs précédemment évoqués (incompétence,
paresse, volonté de profiter du système), soit pour d'autres, à
découvrir : mauvaise orientation et mauvais choix de carrière,
particularités psychologiques ou de caractère, etc.
Cette croyance qu' « on a ce qu'on mérite », que « ce qui vous
arrive est mérité », est celle d'une morale des forts, qui se croient
invincibles, ou celle des naïfs, qui pensent que notre monde est un
monde juste, « le meilleur des mondes possibles » de Pangloss dans Candide de Voltaire.
Mais c'est aussi, une croyance que l'on s'applique à soi-même
quand un malheur vous frappe : « Pourquoi moi ? Qu'est-ce que j'ai fait
pour mériter cela ? ». Le malheur qui vous atteint est vu comme une
punition, en tout cas le résultat d'une faute ou d'une erreur. Pensée
archaïque, qui vient du fond des âges, mais toujours vivante aujourd'hui
et qui touche les chômeurs, comme bien d'autres personnes confrontées
aux accidents de la vie. Ces personnes en arrivent à se penser coupables
de s'être mises dans la situation où elles sont. Les politiques de
gestion des ressources humaines, désormais individualisées (« vous êtes
l'acteur de votre évolution professionnelle »), entretiennent à
l'occasion ce passage de la responsabilité à la culpabilité.
Comprendre la personne en situation
L'accompagnement dans la recherche d'emploi permet de dépasser les
stéréotypes et de prendre en compte l'expérience vécue du chômeur.
Dans l'accompagnement, en particulier l'accompagnement bénévole,
la nature de l'échange (dialogue de proximité, équilibré et non
institutionnel) et le fait de disposer de temps font que le chômeur est a priori
considéré comme une personne. Pas comme un numéro, une catégorie
statistique, économique ou sociologique, mais comme un individu
singulier qui rencontre des problèmes, mais ne se confond pas avec
ceux-ci. L'expérience montre qu'au contact des accompagnateurs, la
plupart des chômeurs ont beaucoup de choses à raconter, à exprimer. Des
choses qui ne peuvent en général se dire à la famille et aux amis, parce
que ceux-ci sont trop proches, dans une relation trop chargée
d'affectivité, mais qu'ils apprécient de ne pas garder pour eux et de
confier à des tiers bienveillants susceptibles de les écouter et de les
aider.
La connaissance de la personne passe par celle des situations
qu'elle a vécues : parcours professionnel, compétences acquises, moments
forts des activités développées, etc. Mais aussi par la connaissance du
vécu de la situation actuelle de chômage (quelles difficultés ? quels
points d'appui ? etc.) et par l'exploration des actions et scénarios à
envisager (quel projet professionnel ? quelle stratégie de recherche
d'emploi ? etc.).
La découverte de ces situations passées, présentes ou possibles
dans le futur et du sens que la personne donne à ces situations, permet
de comprendre comment chaque chômeur raisonne, agit et mène sa vie, en
évitant les a priori et les jugements ou les catégorisations sommaires.
L'expérience du chômage comme épreuve, source de difficultés,
mais aussi, pourquoi pas, d'opportunités (se remettre en question, se
réorienter), le poids des stigmatisations et des idées toutes faites,
mais aussi parfois d'heureuses surprises (des solidarités, des
rencontres) tissent chaque histoire de vie au pays du non-emploi. Au fil
de l'accompagnement, la personne se cherche, évolue et si les choses se
passent bien ne se fige pas dans une position de victime.
En mai 2016, le Conseil économique, social et environnemental
(CESE) a présenté un avis, sous forme de rapport sur « L'impact du
chômage sur les personnes et leur entourage : mieux prévenir et
accompagner ». Ce rapport constate les dégâts du chômage sur la santé et
les stigmatisations des chômeurs, qui rendent plus difficile le retour à
l'emploi. Il affirme que le chômage est désormais une question de santé
publique : 10 à 14 000 décès par an lui sont imputables (augmentation
de certaines pathologies, maladie cardio-vasculaire, cancer... ou
augmentation du taux de suicide), ainsi qu'une multiplication des
épisodes dépressifs. Le CESE juge que ce risque est insuffisamment
identifié par les politiques de santé publique, alors même qu'un actif
sur deux a connu ou connaîtra au moins une période de chômage dans son
parcours professionnel. Le chômage tue aujourd'hui trois fois plus que
les accidents de la route, qui causent désormais autour de 3 400 morts
par an contre plus de 16 000 morts par an en 1972, avant que la
sécurité routière ne devienne une cause nationale. Le rapport préconise
notamment de faire changer le regard sur les personnes au chômage et de
développer diverses formes d'accompagnement : un accompagnement
psychologique et un meilleur suivi médical devraient être ainsi proposés
aux personnes sans emploi.
Les analyses et les préconisations du rapport du CESE sont
pertinentes et fort utiles. Elles complètent nos modestes réflexions sur
un accompagnement qui n'est ni psychologique ni médical,
l'accompagnement bénévole à la recherche d'emploi ou vers l'emploi
(incluant aussi la création d'emploi).
Leçons pour l'accompagnement
Accompagner les chômeurs est un bon moyen de comprendre le chômage de
l'intérieur. Comprendre cette expérience, dans toute sa diversité,
permet en retour d'améliorer en permanence l'accompagnement vers
l'emploi. Cet article est fondé sur l'idée que peut s'enclencher ainsi
une dynamique positive continue. Je présenterai cinq voies de progrès
pour l'accompagnement.
1. Offrir au chercheur d'emploi des possibilités pour sortir de son isolement
L'accompagnement
en lui-même est une occasion de contact avec un accompagnateur ou,
comme à SNC, un binôme d'accompagnateurs, qui échange avec la personne
accompagnée, lui permet d'élargir ses perspectives, d'envisager des
pistes et des idées nouvelles. Mais on peut ne pas en rester là et
l'accompagnement, au sens le plus large, n'est pas que cet
accompagnement à deux ou à trois que nous venons d'évoquer. Il peut
aussi inclure l'information sur les diverses formules, ouvertes et
gratuites, dont peut bénéficier le chercheur d'emploi, selon ses besoins
et ses centres d'intérêt : séances ou ateliers sur les techniques de
recherche d'emploi, sur le projet professionnel, sur la préparation des
entretiens de recrutement, groupes ou réseaux d'échange et d'aide
mutuelle réunissant des chômeurs, centres ou personnes ressources sur
les métiers et les secteurs professionnels, aide (financière, juridique,
psychologique ...), etc. Les accompagnateurs, ainsi, n'interviennent
plus seulement de façon directe, en face à face, mais aussi comme
intermédiaires, comme passeurs.
2. Déculpabiliser, dédramatiser
L'accompagnement
peut aider le chômeur à sortir d'un discours intérieur négatif, sans
nier la réalité de ses difficultés. Comme l'affirme Claude Halmos,
psychanalyste, à propos des chômeurs, « dire à quelqu'un : « ce n'est
pas vous qui êtes malade, c'est le monde qui l'est. Si vous ne supportez
pas ce que vous avez à vivre, ce n'est pas parce que vous êtes fragile,
c'est parce c'est invivable », c'est lui dire qu'il ne doit pas se
laisser abattre, qu'il doit se battre ». Elle fait aussi remarquer
qu'avant de se raconter les chômeurs pensent qu'ils sont les seuls à
éprouver leur mal-être et qu'ils pensent être anormaux, mais qu'une fois
qu'ils en ont parlé avec d'autres, chômeurs ou accompagnateurs, ils se
rendent compte que ce mal-être est largement répandu et lié à la
situation, pas à eux-mêmes.
Dédramatiser, ce peut-être aussi indiquer comment régler un
problème avec Pôle emploi. Un litige ou une incompréhension avec cet
organisme peut miner le moral du chercheur d'emploi : « pourquoi me
refuse-t-on la formation dont j'aurais besoin ? », « pourquoi n'ai-je
pas reçu le montant d'allocation auquel je pense avoir droit ? », etc.
Après avoir obtenu un rendez-vous avec un responsable de l'agence Pôle
emploi concernée et une réponse argumentée et claire, la tension retombe
et le moral remonte en général. Même si la demande n'a pas été
entièrement satisfaite, le fait d'avoir été entendu atténue la rancœur,
souvent forte a priori.
Dernier exemple : le succès de « l'exercice des talents », qui
consiste à faire émerger des compétences dont on n'avait pas toujours
conscience à partir du récit d'une expérience professionnelle vécue
comme réussie. « Enfin je reçois des remarques positives ! » est une
expression fréquemment entendue après cet exercice.
3. Aider à construire son projet professionnel
Première
idée : oublier le passé et ses causes, envisager le présent et
l'avenir, et les actions à entreprendre, ou déjà entreprises. Connaître
ses compétences, ses ambitions et explorer le marché du travail. On peut
utiliser le terme de « projet » ou non, utiliser d'autres termes : «
objectifs », « métier », etc. La construction du projet comprend la préparation (construction intellectuelle, mentale) autant que la mise en œuvre (construction pratique).
Deuxième idée : l'accompagnement vers l'emploi se
professionnalise de plus en plus en intégrant des pratiques assez
nouvelles en France telles que l'orientation professionnelle pour
adultes ou le conseil en évolution professionnelle. L'orientation est,
dans notre pays, traditionnellement centrée sur les jeunes et
l'orientation tout au long de la vie est une approche récente, à
laquelle, par exemple, viennent de se former les conseillers de Pôle
emploi. Le conseil en évolution professionnelle est une prestation
gratuite, aussi toute nouvelle (loi du 5 mars 2014), délivrée par
certains opérateurs (Pôle emploi, l'Apec, etc.) et dont peuvent
désormais bénéficier aussi bien ceux qui ont un emploi que ceux qui en
cherchent un. Ces nouveaux champs impliquent d'abord des professionnels,
mais aussi, par extension et dans le rôle qui est le leur, des
bénévoles qui sont ainsi amenés à développer leurs compétences.
Troisième idée : ces nouveaux domaines de professionnalisation
confirment l'accompagnement comme une démarche d'aide à la décision.
L'accompagnateur ne décide pas pour l'accompagné, ne force pas ses
choix, doit être un « architecte des choix ». Traditionnellement, les
jeunes qui n'ont pas eu le choix disent : « j'ai été orienté » (vers une
filière technique). Désormais, il s'agit d'aider des adultes à s'orienter,
en toute autonomie, tout au long de leur vie. Les accompagnateurs
devront plus que jamais éviter les attitudes que leur reprochent parfois
les chômeurs : paternalisme, discours moralisateur, injonctions ou
conseils parachutés (« si j'étais à votre place » ...), etc.
4. Soutenir pendant l'épreuve de la recherche d'emploi
L'étude
de Didier Demazière, déjà citée, est très éclairante sur la recherche
d'emploi. Elle montre qu'en dernier ressort, l'essentiel est moins une
affaire de techniques (CV, lettre de motivation, comportement en
entretien, réseaux...), qu'il faut savoir pratiquer, bien sûr, qu'une
affaire d'endurance, de persévérance pour tenir le coup, résister, sur
la durée sans céder définitivement au découragement. La recherche
d'emploi est une course d'obstacles et une traversée des paradoxes, qui
sont en général difficiles à vivre et sources de tension.
La recherche d'emploi dure en général trop longtemps et consiste
en une accumulation de refus (« on prend baffe sur baffe »). Le premier
paradoxe est qu'on échoue plusieurs (voire de très nombreuses) fois, ce
qui laisse des traces, même quand, pour finir, on réussit. Chaque emploi
visé est source d'espoirs, le plus souvent déçus. Deuxième paradoxe :
on s'engage, on y croit, et il faut ensuite résister au découragement,
prendre du recul, retrouver de l'énergie pour continuer. Pour tenir la
distance, il faut intégrer la recherche d'emploi dans l'organisation de
son temps et de sa vie, se construire une vie sociale où le « travail »
de recherche d'emploi tient la place du travail classique. D'où le
troisième paradoxe : on s'organise pour mener une vie sociale « normale »
dans une situation « anormale » qu'on souhaite quitter au plus tôt.
L'accompagnement peut faciliter cette traversée des paradoxes,
que chacun vivra à sa façon. Il peut prendre des formes techniques ou
des formes plus psychologiques, selon les moments. L'essentiel pour le
chercheur d'emploi passe par la relation avec le (ou les) tiers
bienveillants, ces personnes de confiance qui apportent un soutien
distancié, mais plein d'intérêt, à qui on sent qu'on peut tout raconter
parce que cela n'aura pas de conséquences sur la relation.
5. Évaluer, faire régulièrement le point pour avancer
L'accompagnement,
ou telle ou telle modalité d'accompagnement, ne sont pas des fins en
soi, mais des moyens au service de la progression de la personne
accompagnée. C'est pourquoi des évaluations régulières, quantitatives et
qualitatives, sont nécessaires.
On enregistrera ce que deviennent, par la suite, les personnes
accompagnées : retour à l'emploi, sous des formes diverses, formations,
etc. Ça ne saurait être la seule évaluation, mais elle est
incontournable.
A la base, dans le cadre de chaque accompagnement, différentes
évaluations, différentes synthèses ou différents bilans sont, sauf
exception, souhaitables et utiles pour la conduite de cet accompagnement
: « où en sommes-nous ? », « quels sont les points forts et les points à
améliorer à partir de ce qui a été fait ? », « quelles priorités nous
donnons-nous pour la suite ? », etc. Solliciter les avis de la personne
accompagnée, les confronter avec les perceptions de l'accompagnateur,
dégager des synthèses opérationnelles pour construire en commun la suite
de la démarche d'accompagnement, voici les moyens pour faire pleinement
intervenir cette personne dans le processus et développer son
engagement et sa satisfaction.
Enfin, des confrontations de pratiques et des échanges
d'expériences réguliers entre accompagnateurs sont, au-delà de leur
formation initiale, le moyen de maintenir et de développer les
compétences de ces accompagnateurs, qui, même bénévoles, ne sauraient
cesser de se professionnaliser (encore un paradoxe, qui, celui-ci, ne
doit plus étonner et se révèle très positif).
Je conclus en laissant le dernier mot à deux auteurs, déjà cités, qui
m'ont pour une large part inspiré cet article : Claude Halmos et Didier
Demazière.
À Claude Halmos, j'emprunte l'idée qu'il faut briser le silence.
Elle dit que les chômeurs sont les blessés de la guerre économique et
qu'on n'a aucune considération pour eux, qu'on ne les soigne pas. Elle
écrit que perdre son travail ou craindre de le perdre n'est pas
seulement une atteinte à un « avoir », mais une blessure à notre « être
», que « la crise économique a enfanté une autre crise, une crise
psychologique qui érode, corrode, lamine les cœurs, les corps et les
têtes. Or, de cette crise, nul ne parle : ni les politiques, ni les
médias, ni les « psy ». Ce silence a de graves conséquences sur les
individus ; il renforce leur angoisse et les enferme dans une honte qui
n'a pas lieu d'être. »
À Didier Demazière, pour cette conclusion, j'emprunte l'idée sur
laquelle il conclut son étude : « l'expérience du chômage est une
socialisation », c'est-à-dire un ensemble d'apprentissages,
d'expérimentations lié à la société et qui touchent la personne au plus
profond d'elle-même. Je retiens pour ma part que cette socialisation est
brutale et souvent douloureuse, mais que les effets en sont différents
selon les personnes, et que les éléments qui la composent s'assimilent à
des compétences à acquérir. En effet, selon lui, elle « peut se
décliner en : apprentissage de routines pratiques (rédiger un CV) ;
organisation de la vie quotidienne (gestion du temps) ; confrontation à
des jugements (rencontres avec autrui) ; estimation de sa propre valeur
(réflexivité) ; réactions aux urgences (capacités à survivre) ;
formulation de l'avenir (issues acceptables), etc. (...) L'enjeu n'est
rien moins que : que devient-on ? ».
Pour en savoir plus :
- Bourguignon D., « Le chômage analysé à la lumière de la stigmatisation », in Herman G. (Ed.), Travail, chômage et stigmatisation, De Boeck, 2007.
- Cord M., « Qu'en est-il de la souffrance psychique des chômeurs ? », Psychologues et Psychologies, n° 237, février 2015, téléchargeable sur le site www.snc.asso.fr
- Debout M., Le traumatisme du chômage, Les Editions de l'Atelier, 2015.
-
Demazière D. et al., « Vivre le chômage, construire ses résistances,
Synthèse de l'étude « Affronter le chômage. Parcours, expériences,
significations. », 2015, téléchargeable sur le site www.snc.asso.fr
-
Farache J., L'impact du chômage sur les personnes et leur entourage :
mieux prévenir et accompagner, Conseil économique, social et
environnemental, Journal officiel de la République Française, 2016.
- Halmos C., Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Faire face à la crise et résister, Fayard, 2014 (Le livre de poche, 2015).
- Loriaux F. (Ed.), Le chômeur suspect, Histoire d'une stigmatisation, CARHOP-CRISP, 2015.
- Ross L., Nisbett R.E., The Person and the Situation, Perspectives of Social Psychology, Pinter & Martin, 2011.
- Schnapper D., L'épreuve du chômage, Folio - Gallimard, 1994.
http://www.metiseurope.eu/ce-que-nous-apprend-l-accompagnement-benevole-des-chomeurs_fr_70_art_30415.html