Guingamp: Suicide. Des bénévoles veillent, conseillent
Un fléau. Dans le pays de Guingamp, la mortalité par suicide est supérieure de 32 % à la moyenne régionale (*), déjà supérieure à la moyenne nationale. Le suicide n'est pourtant pas une fatalité, selon le conseil régional. Il a incité le conseil de développement du pays de Guingamp à mettre en place en 2011 un groupe de prévention suicide sur le territoire de la Communauté de communes (CDC) de Belle-Isle-en-Terre. Il est constitué de représentants de la Mutualité sociale agricole, du centre médico-psychologique, de la gendarmerie, de la CDC et du Pays de Guingamp.
Lien social
[--------]Depuis septembre, ce groupe a recruté dans les communes de la CDC dix « vigilants veilleurs ». Il s'agit, selon la présidente de la CDC, Valérie Voisin-Lhuillier, de « gens impliqués dans la vie de leur commune », avec un bon sens du contact. Hommes ou femmes de tous âges, ils n'ont pas été récemment touchés par le suicide d'un proche. Ils sont discrets et à l'écoute.
Ces bénévoles ne sont pas forcément identifiés comme « vigilants veilleurs » au sein de la population, mais ils
sont attentifs aux signes avant-coureurs dans leur entourage : propos dévalorisants, isolement, etc.
Points d'alerte
« Le but est de recréer du lien social dans la commune », selon Valérie Voisin-Lhuillier. « Les vigilants veilleurs vont vers les gens, quand ils ont entendu parler de quelqu'un en difficulté par exemple. » Ils repèrent les facteurs de risque de passage à l'acte : quelqu'un a des difficultés financières, vient de se séparer, a un conjoint malade, etc.
Des suicides évités
Leur mission : « Libérer la parole pour sortir la personne de l'isolement psychique, en lui demandant : veux-tu me parler de ce qui ne va pas », détaille Charles Coquelin, infirmier en psychiatrie qui forme les vigilants veilleurs. Si la personne indique sa volonté de se suicider, explique la directrice de la CDC, « le bénévole lui demande : as-tu déjà pensé aux moyens, à l'échéance ? » Les objectifs sont de repérer les points d'alerte et d'orienter, si besoin, vers des professionnels, par exemple le centre médico-psychologique.
Depuis le début de l'expérimentation dans les communautés de communes de Belle-Isle-en-terre et La Roche-Derrien, « on a évité à coup sûr cinq suicides, estime Charles Coquelin. Notre but : que l'engagement des vigilants veilleurs devienne contagieux ! »
* Étude de l'Observatoire régional de santé Bretagne portant sur la période 1997-2006. Les personnes en détresse peuvent contacter la CDC au 02.96.43.35.08 ou Suicide Écoute au 01.45.39.40.00. Elles peuvent aussi se rendre dans un centre médico-psychologique, par exemple à Bégard, Callac ou Guingamp.
- Alix Froissart
Accompagner les proches c'est poursuivre la prévention
« Je voulais qu'elle s'en sorte, mais j'avais besoin que des professionnels prennent le relais. » Marie (prénom d'emprunt), âgée de 45 ans, a soutenu une de ses amies, qui a finalement mis fin a ses jours. « Même si on me dit que j'ai fait tout ce que je pouvais, j'ai de la culpabilité », confie-t-elle. « Chaque année, en France, on compte 10.000 morts par suicide et 60.000 endeuillés », souligne Gaël Thomas, cadre de santé. Pour Charles Coquelin, infirmier psychiatrique engagé dans le dispositif des « vigilants veilleurs », la prochaine étape, « c'est la "post-vention" : comment accueillir, écouter, soutenir les familles et les proches endeuillés par le suicide. Les aider à accomplir le deuil jusqu'au bout, comprendre les motivations et les souffrances de la personne qui s'est suicidée. C'est une manière de faire de la prévention. D'éviter le risque de reproduction en donnant aux survivants d'autres solutions, plus efficaces. »- A.F.
Idées reçues et non-dits, ennemis de la prévention
À la fondation Bon Sauveur de Bégard, on aide les personnes suicidaires, mais on informe aussi la population. Objectif : briser le tabou et les idées reçues.« Le suicide est héréditaire », « ceux qui en parlent ne le font pas »... Autant d'idées reçues qu'a déboulonnées Gaël Thomas, cadre de santé à la fondation Bon Sauveur de Bégard, lors d'une réunion publique organisée par la MSA. Dans le public, une dame demande : « Peut-on dire à un proche : "j'ai peur que tu te suicides" ? On n'ose pas aborder le problème car c'est un sujet tabou ». « Il faut le faire, répond Gaël Thomas. La personne a honte de sa souffrance, elle pense que sa souffrance emmerde le monde. Là, elle se dit : il y a au moins quelqu'un qui ose me regarder. » Autre idée reçue : « Le geste suicidaire résulte d'un choix. » « Les personnes qui se suicident ne veulent pas mourir, elles veulent arrêter de souffrir, précise Gaël Thomas. C'est le résultat d'une absence de choix. »
« Isolement psychique »
« On assimile le suicide avec l'élément déclencheur, indique Jacques Bernard, psychiatre responsable de la cellule suicidants à la fondation Bon Sauveur. On entend parfois : "Il s'est suicidé parce que sa femme l'a quitté". Or, ce n'est que le facteur précipitant qui agit sur un individu qui a tout une histoire. » Pourquoi tant de suicides dans notre secteur de Guingamp ? « C'est très difficile de répondre, selon Charles Coquelin, infirmier en psychiatrie. Le suicide a des origines biologiques, sociologiques, sociales, culturelles, psychologique. On est à la croisée de la honte, de l'isolement psychique et d'une situation (sociale ou économique). » La prévention du suicide est relativement récente selon l'infirmier, qui travaille depuis dix-sept ans sur cette problématique : « On s'est heurté à la question du non-dit autour du suicide. On n'en parlait pas, surtout quand ça arrivait dans la famille. Or, si on ne se repose pas sur la population, on ne peut accompagner qu'une partie des personnes suicidaires. »
- A.F.
« Le suicide était tabou. Mais on a le droit de dire qu'on ne va pas bien.Il faut oseren parler ! »
- Valérie Voisin-Lhuillier, directrice de la CDC de Belle-Isle-en-Terre.