lundi 3 mars 2025

« Avoir quelqu’un comme refuge » : les « Sentinelles étudiantes » formées pour repérer mal-être et risques suicidaires

« Avoir quelqu’un comme refuge » : les « Sentinelles étudiantes » formées pour repérer mal-être et risques suicidaires
Par Marie Fiachetti

Publié le www.nouvelobs.com

« Autour de moi, les gens vont mal », s’inquiète Lukas. Pour cet étudiant de 22 ans, le constat est général : « J’ai la chance d’avoir un groupe d’amis très hétérogène, notamment en termes d’études suivies. Mais c’est la même chose partout : mes amis en prépa n’allaient pas bien, mes amis en licence n’allaient pas bien, mes amis qui avaient arrêté les études après le bac n’allaient pas bien. Dans ma classe, pareil. Les études, le climat ambiant, la vie, tout simplement. C’est dur pour tout le monde. »


Soucieux d’agir, Lukas s’est tourné alors vers le dispositif « Sentinelles », qui forme à la détection de la détresse psychique et du risque suicidaire : « Je me suis dit que je voulais aider mes proches mais aussi au-delà. Si c’était moi qui allais mal, j’aimerais avoir quelqu’un comme refuge. »

Conçue par le Geps (Groupement d’Etudes et de Prévention du Suicide), la formation s’adresse à tout citoyen non soignant souhaitant apprendre à repérer les signaux d’alerte au sein de sa communauté de vie, comme son lieu de travail par exemple. Alors que la santé mentale des jeunes se trouve dans une piètre situation depuis la crise du Covid, le dispositif a été adapté dans un format spécialement destiné aux étudiants, en collaboration avec l’association Nightline. « La demande sur le terrain était importante, explique Alice Fermanian, psychologue clinicienne qui travaille sur le dispositif depuis un an et demi. Elle partait de l’idée que le milieu étudiant a ses spécifiés en termes de santé psychique mais aussi d’accès aux soins. »

La formation se déroule sur un jour et demi. Au programme : un module de trois heures pour parler santé mentale au sens large, encadré par un psychologue et un formateur étudiant, et une journée complète pour entrer dans le vif du sujet, entre apprentissage et jeu de rôle.

« Le rôle d’une Sentinelle est triple, détaille Alice Fermanian. Etre repérée au sein de sa communauté comme une personne aidante ou potentiellement aidante, au même titre que les délégués de classe ou les responsables d’associations. Ensuite, être vigilante, repérer les signes de souffrance psychologique autour d’elle et être, si besoin, le premier maillon d’orientation vers le soin : le tout est de prendre la situation en main avant d’en arriver à la crise, et notamment la crise suicidaire. Et puis évidemment, les Sentinelles doivent prendre soin de leur santé mentale et se préserver quand il le faut. »

Des signaux « qu’on ne sait pas toujours appréhender »

Etudiant dans une grande école de commerce, Antoine (le prénom a été modifié) a pu suivre la formation Sentinelles à l’automne dernier : « J’ai appris à repérer les personnes en souffrance psychologique à travers de nombreux signaux, classés vert, jaune ou rouge selon la sévérité apparente », se souvient-il. Ces signaux vont des signes physiologiques (manque de sommeil, pleurs) aux changements de comportement (perte d’appétit, retrait de la vie sociale), jusqu’aux paroles parfois anodines, entre sous-entendus et plaisanteries sur la santé mentale. Parmi les signes les plus alarmants, l’évocation de scénarios suicidaires, les adieux impromptus ou les dons de biens précieux ou d’animaux.

« Finalement, ce sont des signaux qu’on connaît, mais qu’on ne sait pas toujours appréhender, reconnaît l’étudiant de 21 ans. Parce qu’après ce repérage, la question est de savoir comment réagir, comment orienter au mieux, quand tirer la sonnette d’alarme ? En école de commerce, où il peut y avoir beaucoup de pression autour de l’intégration, du bizutage qui existe encore parfois, ça me paraissait indispensable d’apprendre tout ça, et de pouvoir aider ceux qui en souffrent. »

Si des psychologues et infirmiers sont présents sur les lieux d’études pour répondre à ces problématiques, pour Océane, il était aussi important que les étudiants en détresse puissent s’adresser à quelqu’un qui leur ressemble : « Quand on va mal, il est parfois difficile de s’adresser à un adulte, explique cette étudiante en cinéma de 19 ans, formée en janvier. Certains peuvent avoir peur de ne pas paraître légitimes, ou de donner à la situation de trop grosses proportions. Mais savoir qu’on peut parler à quelqu’un de son âge, qui est potentiellement dans la même filière et peut comprendre ses problèmes, c’est plus simple ! »

La jeune femme se réjouit d’avoir aujourd’hui les clés pour assister les jeunes de son université. « Il y a des manières spécifiques d’aborder le sujet selon la situation, pour ne pas brusquer la personne, risquer qu’elle se renferme… C’est d’autant plus vrai quand on parle de risque suicidaire. »

Lorsque le scénario se fait trop complexe, les Sentinelles elles-mêmes ne sont pas seules, grâce à un réseau accessible tout au long de l’année, notamment au cours de « cafés Sentinelles » pour échanger entre étudiants et professionnels de santé sur les situations rencontrées, souligne Alice Fermanian. « Et lorsqu’ils sont en difficulté face à une grande souffrance, s’ils se sentent dépassés par une situation, ils peuvent aussi passer la main en contactant leur psychologue formateur. »

« La santé mentale se démocratise mais elle reste encore taboue »

Si une Sentinellepeut choisir de rester anonyme sur son campus, Océane a décidé d’exposer son statut. « Je fais savoir à mes camarades que j’ai suivi une formation, et que je peux leur venir en aide s’ils le souhaitent. » Membre du BDE (Bureau des Etudiants) de son établissement, Antoine est lui aussi bien identifié auprès de ses camarades. Depuis l’automne, il a eu l’occasion de se servir à plusieurs reprises de ce qu’il avait appris : « Repérer des personnes qui ne sont pas dans notre cercle proche peut être difficile, surtout quand cela tient à quelques signes. Mais en janvier, j’ai remarqué que le comportement d’une connaissance changeait, qu’elle n’arrivait plus à s’intégrer, à parler avec tout le monde. Grâce à la formation, j’ai pu créer un environnement de confiance, naturellement, et l’orienter vers les professionnels appropriés. »

Lukas, formé il y a quelques semaines, a compris que la formation « sert aussi dans la vie de tous les jours et pour toutes les personnes qui nous entourent, pas seulement les jeunes ». Davantage de personnes devraient y prendre part selon lui : « Dans ma génération, la santé mentale se démocratise mais elle reste encore taboue, alors qu’elle est aussi précieuse que la santé physique. »

Depuis le lancement du dispositif il y a deux ans, environ 500 Sentinelles étudiantes ont pu être formées, surtout en Ile-de-France. « Les établissements sont très enthousiastes et nous avons d’excellents retours sur la dynamique que ça lance sur les campus », se félicite Alice Fermanian. La formation est en déploiement en Auvergne-Rhône-Alpes, Normandie, Occitanie et en Guadeloupe.

Si vous voyez la vie en noir ou avez des idées suicidaires, c’est un signal d’alarme que vous devez prendre au sérieux. Ne restez pas seul : des associations proposent un soutien bienveillant aux personnes déprimées ou confrontées à des idées de suicide, avec des services d’écoute anonymes et gratuits.Le numéro national de prévention du suicide, le 3114,est accessible 24h/24 et 7j/7. La permanence téléphonique de SOS Amitié est aussi accessible 24 heures sur 24 au 09 72 39 40 50. Le Fil Santé Jeunes propose lui aussi au 0 800 235 236 un service pour les 12-25 ans sur les thèmes de la santé, de la sexualité, de l’amour, du mal-être, etc. Cliquez ici pour davantage de ressources et de contacts (site du ministère de la Santé et des Solidarités)

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