Prévention du suicide auprès du personnel ambulancier paramédical
Laurent Corthésy-Blondin a consacré sa thèse à l’identification des facteurs de risque et de protection associés au suicide chez les membres de cette profession.
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Laurent Corthésy-Blondin est chercheur à l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail. Photo: Nathalie St-Pierre
Par Pierre-Etienne Caza
24 octobre 2024 à 8 h 44
Laurent Corthésy-Blondin
Ph.D. psychologie, 2024
Titre de sa thèse: «Facteurs de risque et de protection du suicide chez les techniciens ambulanciers et paramédics: modélisation et recommandations pour la prévention»
Direction de recherche: Brian Mishara et Cécile Bardon, professeurs au Département de psychologie
Les membres du personnel de la sécurité publique comme les policiers, les pompiers, les répartiteurs d’urgence et les techniciens ambulanciers paramédicaux côtoient la détresse humaine, la violence et même la mort, parfois sur une base quotidienne. Cela a pour conséquence que ces travailleuses et travailleurs présentent un taux de suicide plus élevé que celui du reste de la population active.
Le suicide est un phénomène complexe, résultant de l’accumulation d’une multitude de facteurs qui interagissent ensemble, explique Laurent Corthésy-Blondin, qui a consacré sa thèse aux enjeux liés à la prévention du suicide chez les techniciens ambulanciers paramédicaux. «L’exposition à répétition à des événements potentiellement traumatiques est associée à un risque de développer des troubles de santé mentale, comme les blessures de stress post-traumatique, généralement associées aux comportements suicidaires et au suicide. On estime que dans 90 % des cas de suicide, il y avait chez la personne un trouble de santé mentale préexistant.»
La littérature scientifique indique que les comportements suicidaires seraient plus élevés chez les techniciens ambulanciers paramédicaux que chez les autres membres du personnel de la sécurité publique, révèle Laurent Corthésy-Blondin. «Si on veut aiguiller la prévention auprès des membres d’une profession en particulier, il faut d’abord analyser les facteurs de risque et de protection du suicide qui y sont associés. Cela nous donne une idée des leviers sur lesquels on pourra par la suite agir pour mettre en place des stratégies de prévention.»
Facteurs de risque individuels et organisationnels
Le questionnaire envoyé par le doctorant au personnel ambulancier paramédical comportait des questions fermées et des questions ouvertes, ces dernières permettant aux répondantes et répondants de proposer des pistes d’action sur la prévention du suicide auprès de leurs pairs.
Sur un échantillon de 356 personnes, Laurent Corthésy-Blondin constate que le tiers ont indiqué avoir eu des idéations suicidaires au cours de leur vie. «C’est une proportion assez élevée, qui confirme ce que nous avions lu dans la littérature», note le chercheur.
Difficulté à demander de l’aide
Les facteurs de risque individuels identifiés par son étude incluent le trouble de stress post-traumatique, comme il s’y attendait, mais aussi la stigmatisation de la demande d’aide. «Il y a beaucoup de tabous autour de cela, beaucoup de jugements et de médisance envers ceux et celles qui vivent de la détresse dans ce milieu professionnel, souligne le chercheur. Cela encourage les individus à tenter de régler leurs problèmes par eux-mêmes ou à les dissimuler.»
N’est-ce pas paradoxal que ces personnes qui se dévouent à aider les autres aient tant de difficulté à demander de l’aide à leur tour? «C’est triste, mais ce n’est pas tellement étonnant. On s’attend de ces personnes, dans le cadre de leur fonction, qu’elles contrôlent leurs états d’âme et leurs émotions en toute circonstance, qu’elles soient “fortes”…»
L’accès à des médicaments potentiellement mortels figure également parmi les facteurs de risque identifiés par les répondantes et répondants. «Le personnel paramédical est formé pour administrer plusieurs médicaments parmi lesquels se trouvent des substances létales auxquelles ils ont accès. C’est l’équivalent, en matière de facteur de risque lié au suicide, de l’arme de service chez les policiers.»
Du côté des facteurs de risque organisationnels, la recherche pointe la surcharge de travail, les conflits interpersonnels et les problèmes d’isolement. «En contrepartie, la perception de soutien social des collègues lorsqu’on vit des problèmes personnels est associée à une probabilité réduite de rapporter des idéations suicidaires. C’est un facteur de protection organisationnel», note Laurent Corthésy-Blondin.
Recommandations
En se basant sur les suggestions de 177 répondantes et répondants, Laurent Corthésy-Blondin propose quatre recommandations en prévention du suicide pour les techniciens ambulanciers paramédicaux. «La première recommandation est de structurer une stratégie de prévention du suicide, et cela passe par la création d’un comité de travail paritaire, l’organisation d’une communauté de pratique centrée sur la prévention du suicide et l’évaluation de l’implantation de mesures préventives», explique-t-il.
Le chercheur indique également la nécessité d’améliorer l’environnement psychosocial du personnel. «Il faut miser sur la sensibilisation pour réduire la stigmatisation, réaliser des activités de reconnaissance pour améliorer les relations de travail et faire en sorte que les politiques contre le harcèlement soit effectivement appliquées», insiste-t-il.
Laurent Corthésy-Blondin recommande de renforcer le réseau et les ressources du personnel ambulancier vivant des problèmes courants, comme des conflits familiaux, des problèmes de couple ou de l’isolement. «Il faut développer des services psychosociaux spécifiques, souligne-t-il. Cela semble aller de soi, mais plusieurs répondants ont indiqué avoir consulté des intervenants, travailleurs sociaux ou psychologues, qui n’étaient pas suffisamment à l’aise avec les témoignages relatant des événements traumatiques.» Le chercheur recommande également d’implanter des programmes de soutien par les pairs pour pouvoir partager les moments difficiles.
La dernière recommandation vise plus spécifiquement le personnel présentant un risque de suicide élevé. «Il faudrait dresser une liste de situations où la possession de substances létales peut représenter un danger et évaluer la nécessité d’en restreindre l’accès, le cas échéant, explique-t-il. Les gestionnaires et les représentants syndicaux devraient aussi procéder à des suivis réguliers auprès de ces personnes.»
En adéquation avec la loi
Aujourd’hui chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST), Laurent Corthésy-Blondin travaille à la prévention des problèmes de santé mentale chez les travailleuses et travailleurs. Il note que la publication de sa thèse a coïncidé avec la modernisation de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. «Il y a une adéquation entre les recommandations de notre étude et l’obligation légale des employeurs de prendre en considération les risques physiques et les risques psychosociaux du travail dans leurs plans et programmes de prévention, précise-t-il. Cela inclut les événements potentiellement traumatiques, le harcèlement, la violence, la surcharge de travail, le manque de soutien, de reconnaissance et d’autonomie. C’est donc une occasion d’arrimer la prévention du suicide à la prévention en santé et sécurité du travail de manière générale.»
Pour communiquer avec des ressources en prévention du suicide
Par téléphone au 1 866 APPELLE (277-3553);
Le service d’intervention par clavardage offert à suicide.ca;
L’application pour appareil mobile «Mes outils – suicide.ca».Ces services sont gratuits et disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, partout au Québec.
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