lundi 18 mars 2013

NOTE LECTURE : La nuit carcérale. Souffrir et éviter la souffrance en prison, le cas français (1944-1981) »

Julie Fondriest, « Maxime Boucher, La nuit carcérale. Souffrir et éviter la souffrance en prison, le cas français (1944-1981) », Criminocorpus, revue hypermédia [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 07 mars 2013, consulté le 17 mars 2013. URL : http://criminocorpus.revues.org/2404 ; DOI : 10.4000/criminocorpus.2404 (Julie Fondriest, Doctorante en sciences politiques à l’IEP de Grenoble).

L’ouvrage de Maxime Boucher, issu d’une thèse en histoire contemporaine soutenue en 2010, propose Couverture La nuit carcérale. Souffrir et éviter la souffrance en prison, le cas français (1944-1981)de plonger le lecteur dans le monde carcéral de la seconde moitié du XXe siècle (1944-1981) en abordant cet univers spécifique à partir du concept de souffrance. Dix chapitres composent cet ouvrage de plus de cinq cents pages. Les trois premiers visent à caractériser la souffrance vécue par les prisonniers à travers trois dimensions, chacune faisant l’objet d’un chapitre distinct : les douleurs propres à la carcéralité, les carences carcérales et les violences carcérales. L’arbitrage opéré par l’auteur pour délimiter ces trois notions aurait mérité quelques justifications. L’absence de sexualité est décrite comme une douleur, mais n’est-elle pas tout autant une forme de carence et de violence ? Maxime Boucher parvient difficilement à circonscrire ce concept de souffrance, entreprise particulière ardue dans un espace carcéral qui en est saturé. 
Lire le compte rendu sur http://criminocorpus.revues.org/2404 

Extrait du compte rendu

"L’intérêt de l’ouvrage réside sans nul doute dans le croisement des regards historiques, sociologiques et anthropologiques pour saisir les relations entre stratégie et souffrance examinées à partir du sixième chapitre. Maxime Boucher interroge plusieurs pratiques de souffrance que les détenus imposent à leur propre corps : le tatouage, l’automutilation, la grève de la faim, la mutinerie, l’évasion et le suicide. Malgré les lacunes des sources soulignées avec franchise par l’historien, ce dernier retrace l’évolution statistique de ces différentes pratiques, éclaire le lecteur sur le profil des automutilateurs, des évadés et des suicidés et sur leurs motivations. Selon lui, il ne faut pas comprendre ces actes comme des gestes irrationnels, dénués d’intérêt et de but, ou comme des symptômes de la folie prisonnière. Au contraire, ces pratiques sont guidées par une logique stratégique individuelle ou collective qui prend racine la plupart du temps dans une volonté de « faire plier » l’autorité, de s’affirmer, de retrouver cette part de soi, cette identité niée ou réduite à celle de prisonnier. C’est, comme le répète l’auteur, une façon de crier ses souffrances par la souffrance.
4Envisager le recours à la souffrance comme une stratégie permet de souligner le fait qu’en prison, en dépit du rapport de domination qui s’instaure entre l’autorité et le prisonnier, ce dernier dispose d’infimes mais réelles marges de manœuvre. En ce sens, on rejoint la vision foucaldienne du pouvoir – qui aurait d’ailleurs mérité une place de choix dans cette recherche – selon laquelle il n’existe pas de relations de pouvoir sans résistances. L’auteur préfère parler de « stratégies d’évitement » ou de « contournement », mais il s’agit surtout de stratégies de résistance, d’un refus d’une soumission totale à une autorité jugée plus ou moins légitime. Choisir de mener une grève de la faim pour dénoncer une injustice, des conditions de détention intolérables n’est pas un moyen d’éviter la souffrance, mais une volonté de l’affronter, de s’y opposer, de résister, par les seules armes qui restent à la disposition du détenu, celles que lui délivre son propre corps."