Au CHU de Montpellier, des jeunes ayant des idées suicidaires trouvent des outils ensemble pour s’en sortir
Au CHU de Montpellier, quatre adolescentes participent à un groupe thérapeutique pour jeunes ayant des idées suicidaires créé en 2021 durant la période post-Covid face à l’augmentation de fréquentation des urgences pédopsychatriques. Encadrées par des psychologues, elles y apprennent à reconnaître leurs émotions, à trouver des solutions face à des problèmes et surtout, à se reconstruire ensemble.
Les quatre jeunes filles ont entre 13 et 16 ans. Assises dans une salle du service de médecine psychologique pour enfants et adolescents (MPEA) de Saint-Éloi du CHU de Montpellier, elles grignotent des biscuits et boivent à la paille les briques de jus de pomme. La psychologue Laura Jaen fait un tour de table : “Comme à chaque début de séance, vous allez nous dire vos gratitudes”.
“Moi pour une fois je l’ai fait !”, s’exclame Léa en ouvrant son carnet rose couvert d’autocollants. “J’ai eu 17,5 en maths, j’étais choquée”, commence-t-elle tout en ouvrant une sucette en forme de cœur. “Et j’ai réussi mon morceau piano-voix, maintenant je dead ça et je suis fière de moi.”
Chaque adolescente énumère ce pour quoi elle a de la gratitude : une nuit passée avec sa grand-mère, une nouvelle amie à l’hôpital… “Non, pas de gratitude pour moi aujourd’hui”, grogne Mathilde, tout en se rongeant les ongles et en tripotant frénétiquement son carnet. “Ben de nous voir quand même, non ?”, lui rétorque Léa en riant.
Les quatre adolescentes ont intégré ce groupe thérapeutique mi-septembre pour huit séances en un mois. Leur point commun : toutes ont eu des idées suicidaires actives, une envie de mourir ou ont fait un passage à l’acte récent. Et font l’objet d’un suivi pédo-psychiatrique en parallèle.
Le programme de suivi des jeunes ayant des idées suicidaires a été lancé par la psychologue clinicienne Allison Goujon au printemps 2021, “en pleine crise post-Covi19“. “On a remarqué une augmentation des passages aux urgences pour crises suicidaires et auto-hallucination mais nous n’avions pas assez de lits. Il nous fallait des groupes en ambulatoire pour armer les jeunes avec des outils pour faire face aux difficultés”, explique Allison Goujon.
Une crise suicidaire est souvent liée à une crise de détresse émotionnelle douloureuse. “Les jeunes sont envahis par la souffrance. Comme ils n’arrivent pas à la gérer, l’idée est de la supprimer”, poursuit la psychologue. Ces crises nécessitent souvent une hospitalisation “pour les mettre en sécurité” et pour “mettre en place des stratégies, voire des traitements”. Car ces jeunes souffrent souvent en parallèle de troubles anxieux, alimentaires ou dépressifs.
La crise Covid “a des conséquences sur le long terme”
Selon une enquête menée par l’institut Montaigne, la Mutualité française et l’institut Terram publiée début septembre, “penser qu’il vaudrait mieux mourir ou envisager de se faire du mal” est évoqué par 31% des 5 600 jeunes (entre 15 et 29 ans) interrogés. Et un quart d’entre eux serait atteint de dépression, selon une autoévaluation.
“2023 a été beaucoup plus calme mais on n’est jamais revenus au rythme avant le Covid. 2024 et 2025 sont repartis encore pire…”, constate Laurence Suelves, infirmière puéricultrice au service de pédopsychiatrie. “Il leur manque le lien social en dehors du téléphone portable. On se crée avec ses pairs et ils n’ont pas vécu ça pendant des années fondamentales de leur développement”. Selon elle, le confinement et l’anxiété générés par cette crise Covid “a des conséquences sur le long terme”.
Reconnaître ses émotions, les réguler, définir ses valeurs, mettre en place des stratégies cognitives… Autant d’outils que les groupes thérapeutiques tentent de passer aux jeunes patients. “On ne sait pas ce qu’ils vont continuer à utiliser dans l’immédiat mais on sème des petites graines“, explique Allison Goujon.
Les deux psychologues Laura Jaen et Ana-Maria Garcia animent la séance avec une infirmière. Les quatre jeunes filles, qui ne se connaissaient pas, ont depuis créé une amitié et un groupe Whatsapp pour garder contact. Si deux sont à domicile et continuent d’aller au collège et au lycée, les deux autres sont hospitalisées depuis peu pour avoir tenté de se suicider.
“La dernière fois, on a vu la technique des petits pas pour s’approcher de vos valeurs. Vous en avez mis en place ces derniers jours ?”, demande Laura Jaen.
“Mes copines ont du mal à manger comme moi. Elles ont dit : ‘si tu ne manges pas, nous non plus’. Alors on a toutes mangé”, décrit Léa. “C’est super, tu as l’impression d’être allée dans le sens de quelle valeur ?”, demande Laura Jean. “Ben… de prendre soin de moi”.
“Moi, j’étais en cours et je n’allais pas bien. Alors j’ai écouté de la musique et après ça allait mieux”, ajoute Ève. “C’est un grand pas d’identifier ce qui te fait du bien”, commente Ana-Maria Garcia.
“Éviter d’agir impulsivement”
Pour cette dernière séance, l’équipe de psychologues tente de les aider à avoir des outils pour affronter un problème et y trouver des solutions. “Est-ce que vous avez déjà eu un problème où vous avez l’impression qu’il n’y a pas de solution et que vous êtes coincé ?” Les quatre filles acquiescent.
Elles choisissent un exemple : tu veux regarder un épisode sur Netflix alors que le compte est déjà utilisé par ton frère ou ta soeur. “Déjà, il faut identifier l’émotion”, explique Ana-Maria Garcia. “En colère, saoulée, énervée”, répondent les filles. “Ensuite, on note toutes les solutions possibles, même les plus farfelues”, enchaîne la psychologue.
Elles s’amusent à imaginer voler la télé, jeter la télécommande ou enfermer leurs frères et sœurs dans leur chambre. Puis elles évaluent chaque idée : danger, avantages, émotions, équité, efficacité. Elles comparent ensuite toutes les solutions pour choisir la meilleure.
“C’est important d’évaluer toutes les options sans les juger”, explique Ana-Maria Garcia. “Souvent, face à un problème, on a l’impression qu’il n’y a pas de solution ou qu’il y en a une seule et qu’elle est inatteignable. Cette technique permet de s’ouvrir à un panel de solutions plus grand”, ajoute Laura Jaen. “Quand tu as un problème, tu peux avoir des émotions qui t’envahissent beaucoup. Ça évite d’agir impulsivement”.
En fin de la séance, Ana-Maria Garcia distribue une enquête de satisfaction. “J’ai aimé que ce soit régulier, quotidien et avec les mêmes personnes”, témoigne Ève. “Je suis déjà nostalgique”. “C’était bien de rencontrer des filles dans notre situation, on se comprend. Et ça permet d’avoir des solutions pour nous aider au quotidien”, ajoute Mathilde.
Ces retours nourrissent le programme de recherche CARES portée par Allison Goujon depuis 2025 pour mesurer l’impact de ces boîtes à outils sur la prise en charge des jeunes ayant des idées suicidaires.
Entre 2021 et 2025, avant le programme de recherche, entre 40 à 50 jeunes ont participé à des groupes thérapeutiques. Alors que l’objectif est d’en suivre au moins 104, seize adolescents ont participé depuis le début de la recherche en janvier dernier, dont un seul garçon. “Selon la littérature, les garçons, quand ils font un passage à l’acte, c’est souvent plus violent et ils arrivent plus souvent à leurs fins”, explique Allison Goujon.
Ils sont encadrés par trois soignants dont au moins une infirmière. “C’est le minimum pour gérer si jamais un jeune ne se sent pas bien, a besoin de sortir ou s’il y a des scarifications à soigner”, explique Allison Goujon.
Malgré la fin de la session, les filles se promettent de se donner des nouvelles et de se revoir très bientôt. Au plus tard en janvier, lors de la dernière séance qui servira d’évaluation, quatre mois après le groupe thérapeutique.