SOCIÉTÉ ET POLITIQUE
Fatigue, colère, idées suicidaires : comment la politique nous rend malade, décrypte une étude
Lord Henri Voton
Écrit par Manon Morisse | Le 20.01.2022 https://www.neonmag.fr/*
La politique est souvent vécue sous le prisme du positionnement idéologique ou de la communication. Mais il existe aussi une réalité psychologique, et parfois même médicale, derrière le suivi de l'info, comme le dévoile une nouvelle étude américaine.
Que l'on soit engagé, observateur ou désintéressé, il est difficile d'échapper à l'ampleur médiatique de la politique à 3 mois des présidentielles. Et ce contexte pèse parfois très lourd dans nos esprits. Le politologue américain Kevin Smith a publié ce 14 janvier dans la revue Plos One les résultats de son étude sur les conséquences du climat politique sur la santé sociale, psychologique et même physique.
Le politologue avait déjà étudié le phénomène sur une partie de la population américaine en mars 2017. Fin 2020, juste avant les élections américaines, il avait de nouveau posé 32 questions à 700 participants avant puis après les élections, en octobre puis en novembre.
Des résultats alertants selon le chercheur
Semblables aux résultats de 2017, l'enquête de 2020 a révélé qu'environ 40% des Américains ont identifié la politique comme une source importante de stress. Entre un cinquième et un tiers des adultes (soit 50 à 85 millions de personnes) accusent la politique de leur causer de la fatigue, des sentiments de colère, de la perte de sang-froid et de déclencher des comportements compulsifs. Environ un quart des adultes ont déclaré avoir sérieusement envisagé de déménager à cause de la politique. Enfin, 5% des personnes interrogées ont déclaré avoir déjà envisagé le suicide à cause de la politique, ou l’accusent du moins d’être la cause de leurs pensées suicidaires.
Ce qui inquiète le professeur de sciences politiques, c'est la continuité de ces résultats avec ceux de l'étude précédente, tel qu'il l'écrit dans son communiqué de presse : "Cette deuxième série d'enquêtes démontre que la première enquête n'était pas hors du champ et que cela était déjà révélateur de ce que vivent de nombreux Américains". Ce n'est donc pas le changement de présidence qui a affecté les personnes sondées, tel qu'il le pensait.
Le plus étonnant a été la découverte répétée des pensées suicidaires chez une poignée des personnes. "Nous nous sommes demandé s'il s'agissait d'un artefact statistique. Mais dans les deux enquêtes depuis, nous avons trouvé exactement la même chose, donc des millions d'adultes américains ont envisagé le suicide à cause de la politique. C'est un grave problème de santé". Les adultes les plus susceptibles d'être négativement affectés par la politique sont les plus jeunes, plus souvent de tendance démocrate, plus intéressés par la politique et plus engagés politiquement.
Avec de tels résultats, le professeur anticipe "un potentiel effet de démobilisation" : « Si les gens considèrent la politique comme conflictuelle et potentiellement comme une menace pour leur bien-être, ils diront : "Au diable, je ne veux pas m'impliquer". Mais les démocraties dépendent de la participation. Nous avons besoin de citoyens engagés civiquement. »
Alors, comment ces effets peuvent-ils être atténués ? C'est une question que Smith prévoit d'explorer plus avant dans de futures recherches, bien que son équipe ait identifié un outil possible : devenir plus informé sur le plan politique.
"Les personnes mieux informées sur le plan politique étaient moins susceptibles de signaler ces résultats négatifs", estime Smith. "Quelque chose que j'aimerais vraiment examiner, c'est que si vous prenez quelqu'un qui s'intéresse politiquement, mais pas particulièrement bien informé politiquement, et qu'il recevait des informations sur le système politique, cela réduirait-il ces coûts négatifs de la politique ? Cela pourrait être un résultat positif de l'éducation civique qui n'a jamais été envisagé auparavant.
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