Pages

lundi 1 mars 2021

Face aux suicides, les internes dénoncent un déni de réalité, les doyens regrettent les amalgames

Face aux suicides, les internes dénoncent un déni de réalité, les doyens regrettent les amalgames

Par Sophie Martos -Publié le 26/02/2021 lequotidiendumedecin.fr

Au choc du décès d'un interne fin février, succèdent la colère et l'incompréhension. Les syndicats d'internes (ISNAR-IMG, ISNI) dénoncent en effet l'apathie des pouvoirs publics à agir pour mettre un terme à ces drames. Trois autres suicides sont survenus depuis le début d'année. « Chaque année en France, entre dix et vingt internes en médecine mettent fin à leurs jours. (...) Une trentaine est décédée depuis 2018. Nous, jeunes médecins en cours de spécialisation, avons trois fois plus de risque de mourir par suicide que les Françaises et Français du même âge », dénonce l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI). Le sujet fait réagir sur les réseaux sociaux où les jeunes crient leur ras-le-bol.

Les syndicats de jeunes ont pourtant multiplié les alertes. À l'automne, l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) et l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) ont publié un rapport avec une centaine de recommandations pour faire face à la croissance des risques psychosociaux. Le document est resté lettre morte.

« Rien n'est résolu »

Fin janvier, le Centre national d'appui (CNA), structure dédiée à la qualité de vie des étudiants en santé, avait aussi alerté les ministères, dans un courrier dont « Le  Quotidien » a pris connaissance, sur la proportion « alarmante » des étudiants en santé en difficulté. Il pointait du doigt les « horaires incontrôlables », des « glissements des tâches en raison de la diminution des personnels d’appui (secrétariat…) », l'« abandon du compagnonnage du fait de la surcharge des seniors » ou encore des « stages dans des services en difficulté ». Pour toute réponse, les ministères se sont contentés de lister les initiatives prises ces deux dernières années, sans perspective d'avenir. « C'est choquant, ils ne disent pas ce qu'il compte faire, mais ce qu'ils ont fait, réagit Morgan Caillault, président de l'ISNAR-IMG. Rien n'est résolu. »

À Reims, la ville où l'interne a mis fin à ses jours, la faculté a proposé une cellule d'écoute temporaire, un goût de trop peu pour l'ISNI. « Autrement dit, pas grand-chose. Ce déni de réalité n’a que trop duré et doit s’arrêter », s'insurge le syndicat, accusant les doyens d'inertie sur les réseaux sociaux.

Contacté, le président de la Conférence des doyens, le Pr Patrice Diot, estime les propos de l'ISNI inappropriés. « Je regrette les amalgames qui ne servent pas la cause, cette tendance à chercher des coupables n'est pas une bonne voie », s'explique-t-il au « Quotidien ». La conférence « n'est pas tolérante envers le temps de travail non respecté », insiste-t-il, ajoutant être prêt à régler tous les dysfonctionnements. Les doyens ont annoncé, en janvier, l'arrivée d'un numéro vert géré par le Centre national d'appui (CNA). Il ne sera disponible que « d'ici à quelques jours ».

Des mesures concrètes

De son côté, l'ISNI a formulé une dizaine de mesures parmi lesquelles, la création d'une mission indépendante nommée par le directeur d’ARS et comprenant des représentants des internes après chaque suicide. Plus largement, le syndicat demande qu'une enquête soit menée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les risques psychosociaux à l'internat. Ils sont aussi favorables à la suppression du cumul des fonctions managériales et d’enseignement. « Un praticien ne peut pas être chef de service et coordonnateur d'un DES. Les décisions sur le parcours de l'interne doivent être prises avec les autres membres de l'équipe pour éviter qu'une seule personne ne décide de l'avenir du jeune », observe le président de l'ISNI, Gaétan Casanova.  

Par ailleurs, en cas de suspicion de maltraitance ou de situation de danger grave dans un service, l'ISNI souhaite que des mesures conservatoires soient prises telles la fermeture du terrain de stage, la suspension des professionnels de santé en cause ou une extraction des internes rapidement, mesures encore trop rares. « Il y a une concentration de pouvoir à l'hôpital et personne à qui parler, même quand c'est anonyme les jeunes sont terrorisés qu'on leur brise leur carrière », ajoute Gaetan Casanova. L'ISNAR-IMG abonde en ce sens : « Il n'existe que des extractions en urgence, on pourrait réaffecter rapidement, comme ce qui a été fait lors du premier confinement », suggère son président Morgan Caillault.

Le temps de travail est un autre cheval de bataille. Les syndicats rappellent que les jeunes travaillent 58 h par semaine en moyenne contre les 48 h réglementaires. Les juniors réclament un décompte du temps de travail en heure et non en demi-journée ou de borner les demi-journées. Deux réunions de travail doivent se tenir début mars entre les réprésentants des internes et les cabinets des ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur. 

https://www.lequotidiendumedecin.fr/internes/etudes-medicales/face-aux-suicides-les-internes-denoncent-un-deni-de-realite-les-doyens-regrettent-les-amalgames 

 *** 

AUTRE ARTICLE SUR LE SUJET

Suicide des Internes : l’ISNI dénonce une violence institutionnalisée

Après le décès de Tristan, l’InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI) a réagi par voie de communiqué de presse. Elle rappelle l’ampleur des risques psychosociaux auxquels sont soumis les étudiants en médecine et dénonce une violence institutionnalisée « parfaitement assumée par l’encadrement universitaire des facultés de Médecine ». Face à l’inertie des autorités, elle exige l’adoption de 10 mesures urgentes.

3 fois plus de risques de suicide chez les jeunes médecins

« Chaque année en France, entre dix et vingt internes en médecine mettent fin à leurs jours. Nous, jeunes médecins en cours de spécialisation, avons trois fois plus de risque de mourir par suicide que les Françaises et Français du même âge. »

Pour étayer son propos, l’ISNI rappelle les chiffres édifiants de l’enquête qu’elle avait diligentée en 2017 sur le sujet. 2 internes suis trois présentent des troubles de l’anxiété, soit 4 fois plus qu’en population générale. 28% d’entre eux sont dépressifs. Pire, si 23 % des internes déclaraient avoir eu des idées suicidaires, 3,8 % d’entre eux soit 738 jeunes médecins avaient tenté de passer à l’acte. Ce qui est d’autant plus facile lorsqu’on a accès à toute la pharmacopée française. Pour elle le constat est clair « les futurs médecins sont des centaines à être en danger de mort durant leur formation. »

Pourtant les suicides ne sont que la partie immergée d’un immense iceberg de souffrance au travail et de risques psychosociaux. Un cursus éducatif très sélectif et très exigeant, une charge de travail (58h en moyenne) intense pour ne pas dire illégale, des responsabilités immenses, un encadrement souvent défaillant ou absent, parfois délétère, la confrontation à la mort d’autant plus fréquente avec la crise sanitaire sont autant de facteurs de risques qui mettent la santé mentale des jeunes médecins à rude épreuve.

L’ISNI rappelle qu’elle est confrontée presque quotidiennement à la détresse de ces étudiants qui ne sachant vers qui se tourner la sollicite afin de trouver une oreille attentive.

Une violence institutionnalisée « parfaitement assumée par l’encadrement universitaire »

« En 2018, le président de la conférence des doyens assimilait la souffrance des internes à un “coût humain” qui n’aurait qu’à être “régulé”. Des propos d’une violence inouïe envers les familles de la trentaine d’internes décédés depuis 2018. Des propos qui reflètent surtout la mentalité d’une hiérarchie médicale complètement indifférente à la gravité des situations que nous vivons. »

L’ISNI dénonce l’inaction des autorités universitaires et du ministère de la Santé en dépit de promesses répétées. Elle rappelle qu’il a fallu attendre que « Maxime se tue à Marseille pour que son hôpital se penche enfin sur l’application du repos de sécurité, évitant de travailler plus de 24 h sans dormir. »

Pour l’ISNI, « Le diagnostic est brutal et sans appel : tant que la carrière médicale toute entière des internes en médecine sera concentrée entre les mains de quelques-uns sans aucune possibilité d’échappatoire le mal être perdurera et les drames se multiplieront. »

« NOUS EXIGEONS DONC L’ADOPTION DE CES 10 MESURES URGENTES :

    1. Saisine par le ministre de la Santé et des Solidarités, de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) afin qu’elle diligente une enquête sur les risques psychosociaux durant l’internat.
    2. Chaque suicide d’interne en médecine doit conduire au déclenchement d’une mission d’inspection indépendante nommée par les Directeurs d’ARS et comprenant des représentants des internes.
    3. Mise en place de mesures conservatoires par les directions hospitalières et d’ARS au moindre doute sur une situation de danger grave et imminent pour les personnels, en particulier de risque suicidaire : suspension de la possibilité d’accueillir des internes, suspension des professionnels en cause, extraction des internes.
    4. Doter le Centre National d’Appui (CNA) des moyens nécessaires à la formation des encadrants universitaires et hospitaliers, depuis le doyen aux chefs de service, aux problématiques de harcèlement et de risques psychosociaux.
    5. Toutes personnes reconnues coupables disciplinairement et/ou pénalement de harcèlement envers un ou une de ses collègues ou internes doivent être exclues du champ de l’enseignement de façon immédiate.
    6. Suppression du cumul des fonctions managériales et d’enseignement : la coordination d’une spécialité doit exclure la possibilité de cumul avec une chefferie de service.
    7. Élargissement du droit à changer de spécialité ou de subdivision pour respecter le projet professionnel et de vie des internes.
    8. Éradication de l’arbitraire et du mandarinat par la mise en place d’une collégialité systématique associant les représentants des internes sur les décisions relatives au parcours professionnel individuel de l’interne.
    9. Les établissements de santé et facultaires doivent impérativement créer des cellules d’écoute pour les personnes qui subiraient des violences psychologiques sur leur lieu de travail ou de stage comme les y oblige la loi depuis 1983.
    10. Mise en place d’un décompte du temps de travail puisque le temps de travail moyen d’un interne est de 58 h hebdomadaires, 23 h de plus que la durée normale de travail. »

Malgré les dizaines de drames qui endeuillent le corps médical chaque année, il n’existe à notre connaissance aucun registre, aucune statistique officielle qui recense les suicides, les décès, les burn-out ou toute forme de souffrance au travail que pourraient connaitre les jeunes médecins lors de leur cursus notamment à hôpital. Cette absence est d'autant plus surprenante que ces informations pourraient servir de fondation à la mise en œuvre d’un plan de prévention des risques psychosociaux auprès des internes en médecine. L’état employeur chercherait-il a se mettre des œillères ?

Dans son communiqué, l’ISNI note que ce qui a fait scandale lors de la vague de suicide chez les employés de FranceTelecom semble aujourd’hui faire partie de la routine à l’hôpital. C’est inacceptable. À l’heure où les autorités de tutelle s’inquiètent d’une perte d’attractivité des carrières médicales, elles seraient bien inspirées de commencer par faire de la santé mentale des étudiants en médecine un enjeu prioritaire de santé publique.
https://www.caducee.net/actualite-medicale/15344/suicide-des-internes-l-isni-denonce-une-violence-institutionnalisee.html