INTERVIEW La
psychiatre, Michèle Maury, co-auteure de l’essai « Les médecins aussi
ont leurs maux à dire », publié ce jeudi, explique combien cette
profession est concernée par les risques psychosociaux
- Un essai Les médecins ont aussi leurs maux à dire paraît ce jeudi.
- Il détaille les divers facteurs de risques psychosociaux d’une profession dont le malaise, longtemps tu, est devenu audible depuis quelques années.
- Michèle Maury, psychiatre au CHU de Montpellier qui a mis en place un groupe pour promouvoir le bien-être au travail, nous détaille l’origine de son projet et ses résultats.
Quelles sont les spécificités du métier de médecin qui accroissent le risque de burn-out ?
Le métier de médecin fait vivre des situations de stress, même si c’est différent d’une spécialité à l’autre. On est régulièrement confronté à l’échec, à la mort. Ce que j’ai pu voir au cours de ma carrière à l’hôpital, c’est aussi que nos conditions de travail ont énormément changé depuis 15 ou 20 ans. L’évolution de l’organisation, la tarification à l’activité, de nouvelles contraintes administratives, une pression accrue ont aussi multiplié les risques psychosociaux. Il y a aussi l’informatisation qui rend de grands services, mais qui prend beaucoup de temps… Il arrive que des patients regrettent que les médecins fassent des visites le nez sur l’écran, plutôt qu’en les regardant. Les patients, parce qu’ils ont accès à beaucoup de connaissances, sont également plus exigeants.
Vous soulignez aussi dans un des articles que beaucoup rechignent à consulter… Et même que 80 % d’entre eux sont leur propre médecin…
Les médecins ont beaucoup de mal à demander de l’aide, surtout pour parler de problèmes psychiques, quand c’est pour une jambe cassée, c’est moins compliqué. Je pense qu’il y a plusieurs facteurs en jeu. Longtemps, quand on choisissait d’être médecin, c’est qu’on était à l’aise avec une forme d’invulnérabilité, « d’insensibilité » à la souffrance. Pire, pour un médecin, avoir des états d’âme et en parler c’est comme si on devenait incompétent, comme un aveu de faiblesse. Il y a ensuite un facteur plus psychologique, on a pu apprendre dans l’enfance que s’occuper des autres était plus important que s’occuper de soi-même. Dans la formation médicale, rien n’est enseigné sur le stress du métier. Lors des stages hospitaliers non plus. En plus, dans le contexte actuel de surcharge de travail, certains s’inquiètent de voir leur travail peser sur leurs collègues, s’ils doivent s’absenter.
Est-ce qu’il y a une prise de conscience de l’urgence de soigner nos soignants ?
On en parle davantage. Mais cela prend du temps pour déconstruire les représentations. Autrefois, prendre soin des soignants ne venait même pas à l’esprit. Là, on commence à dire que ce métier est coûteux sur le plan psychologique. Je crois que les jeunes vont amener une prise en considération de cette problématique. Ils n’ont d’ailleurs pas peur de publier des chiffres inquiétants sur l’anxiété et la dépression des étudiants en médecine. Mais de façon générale, en France on est en retard sur la question des risques psychosociaux.
Un service public de médiation est en train de se mettre en place, est-ce une solution pour améliorer la situation dans les hôpitaux ?
Cela ne peut que concourir à un mieux-être. Marisol Touraine et Agnés Buzyn ont nommé un médiateur national, qui est en train de mettre en place l’organisation d’un service de médiation avec un échelon local, l’hôpital, puis régional et enfin national. C’est en cours de création, puisqu’un décret normalement en juin devrait préciser les choses. C’est la preuve d’une prise de conscience qu’il y a des conflits au sein des équipes hospitalières qui consomment beaucoup d’énergie. Je crois qu’il faut chercher des outils divers et variés pour traiter ces maux des soignants.
Justement, vous avez mis en place depuis plusieurs années dans votre CHU de Montpellier un groupe Bien être au travail (BEAT) : comment est né ce projet ?
En 2010, un jeune médecin s’est suicidé dans un contexte d’erreur médicale, ça a été un choc terrible pour toute la communauté hospitalière. On se sentait coupable. Il y a eu une assemblée du corps médical pour annoncer la création d’un groupe de réflexion pour savoir que faire en cas d’erreur médicale, comment soutenir les gens. J’ai alors proposé de se préoccuper aussi de ce que vivent les médecins au quotidien. Le projet a été accepté. J’ai tout de suite su que je ne pouvais pas le monter seule : on est 1.400 médecins au CHU ! J’ai réussi à réunir une douzaine de collègues. On a donc mené des entretiens en tête à tête avec 150 collègues pour savoir ce qui leur faisait plaisir et souffrir au travail. En 2015, j’ai également mis en place une consultation gratuite et anonyme destinée aux médecins. Une charte des relations au travail a été écrite pendant un an. Bon, elle est loin d’être mise en pratique, mais elle a le mérite d’exister…
Qu’est ce qui fait l’originalité de cette démarche ?
On est vraiment parti de l’avis de nos collègues pour mettre en place des dispositifs pour les aider. Les deux premières années, on restait entre médecins. Mais dès le début de nos entretiens, ce qui ressortait comme facteur de mal-être c’était des problèmes relationnels avec l’administration. J’ai proposé d’ouvrir le groupe à des directeurs. Cela a fait peur à certains collègues. Finalement, avoir deux directeurs autour de la table s’est révélé extrêmement précieux. On avance petit à petit. Certains restent sceptiques devant notre démarche, d’autres estiment qu’il y a surtout besoin de plus d’argent, mais la question du bien-être au travail n’est plus taboue.
Est-ce que cela a réellement soulagé les professionnels de santé ?
A l’échelle individuelle, on a de nombreux témoignages de l’amélioration perçue par certains collègues après avoir pu être entendus sur leur mal-être. Dans un sondage sur les relations au travail en 2015 ce qui est davantage ressorti, ce sont les conflits entre médecins. Après, il ne faut pas généraliser et imaginer les hôpitaux comme un champ de bataille.
Au-delà de ces deux pistes, un service de médiation et des groupes d’échange au niveau local, que faudrait-il faire selon vous pour mieux prévenir la souffrance au travail des médecins ?
Il faudrait commencer par reconnaître la réalité et informer sur les risques psychosociaux, l’enseigner pendant les études. Réfléchir à mieux organiser le travail pour éviter les surcharges. On peut aussi mettre en place des actions de prévention du stress. Dans notre CHU, les internes ont ainsi mis en place des groupes de méditation de pleine conscience, d’hypnose et de sophrologie pour apprendre à mieux gérer le stress. De même, dans un pôle, un coaching sportif a été mis en place pour que les médecins fassent du sport ensemble.
* Les médecins ont aussi leurs maux à dire, sous la direction de Michèle Maury et Patrice Taourel, Editions Erès, 25 euros.
https://www.20minutes.fr/sante/2482707-20190328-souffrance-soignants-medecin-avoir-etats-ame-parler-comme-si-devenait-incompetent