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vendredi 29 mars 2019

EMA, la radio qui libère les ados

EMA, la radio qui libère les ados
La Croix, no. 41368
Initiatives et solidarité, vendredi 29 mars 2019 1038 mots, p. 21,23

Créée en 2012 à Marseille, cette antenne donne la parole à des jeunes en souffrance, hospitalisés pour de longs ou courts séjours.
BONNEFOY Coralie  correspondante régionale Marseille

«J 'aime bien qu'on me remarque. Mais au collège, je ne veux pas qu'on sache que je suis à l'hôpital. » D'une voix fluette et enfantine, Matteo (1), 11 ans, souffle quelques phrases dans le micro. Comme la dizaine d'enfants - entre 11 et 16 ans ce jour-là - réunis dans le studio de radio, il est hospitalisé au sein de l'Espace méditerranéen de l'adolescence (EMA). Depuis 2012, à Marseille, les locaux de l'hôpital Salvator, magnifique bastide du XIXe siècle aux murs ocre rehaussés de mosaïques colorées, accueillent là des adolescents en souffrance psychique.

Cet établissement les reçoit à la journée ou pour plusieurs mois. « La spécificité du lieu, c'est qu'il mêle les activités classiques de soins à celles de la culture » , expose le professeur David Da Fonseca, chef du pôle de psychiatrie, pédopsychiatrie et addictologie de l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM), aux manettes de l'établissement. Outre des ateliers d'arts plastiques ou de musique, il offre à ses résidents la possibilité d'animer une radio. « Il existe d'autres radios hospitalières en milieu psychiatrique en France, mais aucune ne propose ce dispositif, entièrement équipé de matériel professionnel neuf et sous la forme d'une webradio professionnelle » , détaille Mikhaele Elfassy, la responsable de Radio EMA.

En poussant la porte de ce qui fut un espace voué à la réanimation, Mikhaele dévoile son lieu de travail. Trois pièces en enfilade: un bureau, une régie et, derrière de larges baies vitrées, un studio, avec micros et casques. Matteo, Robin, Ève, Lou, Maxence, Ninon... arrivent accompagnés d'un infirmier. Ils sont hospitalisés pour plusieurs semaines au sein de l'EMA pour différentes pathologies: anorexie mentale, troubles anxieux sévères, troubles dépressifs, crises suicidaires et troubles du comportement. Mikhaele, qui accompagne une soixantaine d'ados en trois groupes hebdomadaires, ignore de quoi ils souffrent: « Cela me permet de tout aborder sans complexe, avec authenticité. Certains ont été harcelés, maltraités. S'ils veulent en parler ils en parlent. »

Autour de la table, les remarques fusent. Ce mardi-là, le thème retenu est « le prénom » . Chacun raconte sa relation, si intime, au sien. Trop compliqué à écrire, trop original ou à l'inverse trop normal, à la mode « au temps des parents » : certains l'aiment, d'autres non. « On se façonne avec nos prénoms, glisse Lou. Il y en a de plus doux, de plus écorchés, de plus vifs. » À l'inverse, pour Robin, « le prénom n'est qu'une appellation. À nous de voir si on veut lui donner un sens. C'est nous qui lui donnons sa consistance. »

Les ados, au micro, devisent avec une aisance surprenante. Et leur expression est bien différente de celle recueillie lors des groupes de parole sur la maladie. « La radio offre un accès indirect à toutes les problématiques liées à des besoins non assouvis: le besoin de reconnaissance, d'appartenance au groupe - cruciale dans la réalité des adolescents -, la valorisation des compétences et le développement de l'estime de soi... » , décrypte le professeur Da Fonseca.

Derrière la baie vitrée qui la sépare des intervenants du jour, Mikhaele amène finement le débat sur la singularité de chacun. « Le but de cet atelier est d'accompagner l'ado vers un mieux-être. Ici, c'est un lieu de liberté. Et moi, je ne suis ni un parent, ni un soignant, ni un enseignant », poursuit l'animatrice, un oeil sur les boutons de la régie, un autre sur le groupe. Une jeune fille, qui souffre d'anorexie, embraye sur « les surnoms que donnent les parents ». Dans un demi-sourire, elle lève les yeux au ciel: « C'est mignon, mais ça nous renvoie toujours à l'enfance, alors que, nous, on cherche à s'émanciper. »

Le débat vire sur la paternité. Robin ne veut « pas forcément avoir d'enfant. » Ils sont nombreux à partager son sentiment.

Comme dans une vraie émission de radio, les discussions sont ponctuées de morceaux de musique choisis par les jeunes résidents: la voix grave de la chanteuse britannique Adele succède au hip-hop très sombre de l'Américain Lil Peep, décédé précocement à 21 ans. « Chacun assume ses choix. On n'est jamais jugé » , se satisfait Maxence. Le studio est un outil que les ados se sont manifestement approprié. À l'occasion, ils partent en reportage, reçoivent des invités, organisent des « talk-shows », imaginent des chroniques.

Autour des micros, la conversation a une nouvelle fois dévié. Elle peut, au gré des semaines, s'attacher aux réseaux sociaux, aux interactions sociales, à la famille, aux relations amoureuses. Cléo confie son besoin d'écriture: « Cela aide à expulser ses émotions. Après ça ne tourne plus en boucle dans ma tête. Je brûle ce que j'ai écrit et puis ça s'en va. » À ses côtés, sa voisine, les yeux dans le lointain, joue inconsciemment avec le sparadrap qui maintient sa sonde alimentaire sur sa joue. Elle fait partie de ceux qui s'expriment le moins. « Mais elle a parlé, et c'est déjà énorme, souligne Mikhaele. Quand elle est arrivée, il y a quelques semaines, elle était mutique. »

Au fil de la discussion, les rires jaillissent parfois. Comme chaque séance, l'émission de ce mardi est suivie par un soignant. « Ils sont parfois surpris de voir des ados extrêmement silencieux ou alors turbulents, devenir très à l'aise ou respectueux au micro », enchaîne l'animatrice. Dans le studio, les gamins abondent. « Ici, on communique plus qu'ailleurs. On s'exprime librement aussi, car il y a une forme d'anonymat », analyse le volubile Robin . « Souvent on ne parle pas, par peur du jugement » , enchaîne Matteo, dont la maturité manifeste se révèle malgré ses 11 ans.

La capacité des patients à se libérer lors des ateliers n'a pas échappé au personnel de l'hôpital. « Un rendez-vous en tête-à-tête avec un ado n'est pas toujours facile. La radio ouvre une autre approche, un autre chemin pour accéder à leurs croyances, leurs pensées, leurs émotions et leurs ressentis » , note le profeseur Da Fonseca. Chaque semaine, Mikhaele réalise un compte rendu de ses émissions, mine d'informations complémentaires déterminantes pour les soignants. Calée dans son fauteuil, Lou lâche dans un sourire: « Les psys devraient venir quand on est à la radio, ils en apprendraient plus sur nous. Ici, on découvre des facettes de notre âme. »

Les clés du sujet

EMA. Faciliter le retour au monde extérieur

Pourquoi ?

En 2012, le pédiatre Marcel Rufo créé l'Espace méditerranéen de l'adolescent (EMA) au sein de l'hôpital Salvator, à Marseille. Le site accueille dix jeunes en « temps plein », pour quelques semaines ou quelques mois. Ils souffrent de troubles des conduites alimentaires, de troubles du comportement ou d'un autisme de haut niveau. L'EMA reçoit également, à l'année, environ 140 jeunes patients en « hôpital de jour » (l'adolescent rentre chez lui le soir). Des enfants déscolarisés en raison de troubles sévères: anxiété sociale, phobies, stress post-traumatique...

Comment ?

La radio n'est que l'un des ateliers proposés aux ados hospitalisés. « L'idée, à la création de l'EMA, était d'imaginer un hôpital qui ne ressemble pas à un hôpital, avec de nombreux espaces culturels, un parc, etc. » , résume David Da Fonseca qui a succédé à Marcel Rufo à la tête de l'établissement. Les anciens blocs opératoires sont devenus salles d'arts plastiques, danse, sport, répétition de musique, salles de classe, à la décoration pimpante. « Tout est pensé pour avoir l'air fun, mais avec une portée thérapeutique. Ici, la culture est comme un médicament », décrit Mikhaele Elfassy, la responsable de Radio EMA.

Et vous ?

Comme les autres activités culturelles, la pratique de la radio vise à faciliter le retour des adolescents dans le monde extérieur. « C'est un espace transitionnel entre l'hôpital et la vraie vie », explique le profeseur Da Fonseca. Après chaque séance d'une heure trente, Mikhaele monte les échanges en une émission de 45 minutes que chacun peut écouter sur radio-ema.com . « Il ne faut pas enfermer la diffusion dans l'hôpital », conclut-elle.

https://www.la-croix.com/France/Initiatives-et-solidarite/EMA-radio-libere-ados-2019-03-29-1201012119