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jeudi 1 mars 2018

ETUDE RECHERCHE La kétamine dans la prise en charge de la dépression sévère et la diminution du risque suicidaire

La kétamine révolutionne la prise en charge de la dépression sévère
Par Cécile Thibert
Mis à jour le 27/02/2018
sante.lefigaro.fr*

Cette molécule donne des résultats spectaculaires chez les patients pour qui aucun traitement n’est efficace.
Elle a longtemps été utilisée pour anesthésier les animaux ou les hommes avant d’être détournée par certains fêtards ou amateurs d’expériences hallucinogènes. Désormais, la kétamine offre de belles perspectives dans la prise en charge de la dépression.
C’est par hasard que les effets antidépresseurs de cette molécule mise au point dans les années 1960 ont été découverts il y a bientôt vingt ans. Une véritable révolution dans le monde de la psychiatrie, qui n’avait pas connu d’innovation thérapeutique dans la prise en charge de la maladie depuis près de cinquante ans.
«Les molécules commercialisées depuis les années 1950 ont quasiment toutes le même mécanisme d’action, ce n’est pas le cas de la kétamine»
Dr Pierre de Maricourt, chef de service de psychiatrie au centre hospitalier Sainte-Anne
«Les molécules commercialisées depuis les années 1950 ont quasiment toutes le même mécanisme d’action, ce n’est pas le cas de la kétamine», commente le Dr Pierre de Maricourt, chef de service de psychiatrie au centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris. Contrairement aux traitements conventionnels, la kétamine se fixe sur des récepteurs neuronaux particuliers, les récepteurs NMDA au glutamate. Ce mode d’action lui confère des propriétés extraordinaires. Non seulement elle agit beaucoup plus vite que n’importe quel antidépresseur classique - en quelques heures contre quatre à six semaines -, mais elle se révèle aussi efficace chez des personnes souffrant de dépression résistante, c’est-à-dire insensibles à deux traitements ou plus menés pendant au moins six semaines.


Pour l’heure, aucun pays n’autorise la kétamine dans le traitement de la dépression. L’unique moyen dont disposent les patients pour en recevoir consiste à prendre part à un protocole de recherche. L’un d’eux, mené par le laboratoire pharmaceutique Janssen, se déroule actuellement à l’hôpital Sainte-Anne sous la direction du Dr de Maricourt. «Nous comparons l’efficacité de la ketamine - pour être précis, de la eskétamine, une molécule dont la structure est très proche de celle de la kétamine - en spray intranasal, à celle d’un placebo», explique le spécialiste. Contrairement à la perfusion par voie intraveineuse, l’inhalation peut être faite par le patient sans l’aide d’un professionnel de santé. En parallèle, tous les participants à l’étude reçoivent un antidépresseur standard, afin d’éviter que certains n’aient pas de traitement du tout. Pour le moment, une cinquantaine de personnes ont reçu de la kétamine à l’hôpital Sainte-Anne, «à des doses cinq à dix fois plus faibles que celles utilisées en anesthésie», précise le Dr de Maricourt.
Et les résultats sont bons, voire très bons. Les études indiquent en effet que la kétamine est efficace dans 70 à 80 % des cas. L’une d’elles, menée en 2006 auprès de 18 patients et publiée dans la revue Archives of Psychiatry, a montré que le traitement fonctionnait chez plus de 70 % des participants dès 24 heures après l’injection. Des résultats très encourageants au regard de ceux affichés par les antidépresseurs classiques, efficaces dans seulement 30 % des cas. La molécule a aussi l’avantage d’être bien tolérée par les patients. «On constate généralement une augmentation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque dans les minutes qui suivent l’administration du médicament, mais ces effets s’arrêtent dans les deux heures, souligne le Dr Pierre de Maricourt. Certains patients présentent également des symptômes dissociatifs, comme des expériences de déréalisation ou de dépersonnalisation (l’effet recherché par les usagers récréatifs, NDRL). Mais, là aussi, c’est transitoire.»
«Dès 40 mi­nutes après l’injection, la diminution du risque suicidaire est très significative»
Le Dr de Maricourt
Outre son intérêt dans la prise en charge de la dépression résistante, la kétamine a un effet antisuicide quasiment immédiat, comme l’a démontré une étude publiée en 2009 dans le journal Biological Psychiatry. «Dès 40 minutes après l’injection, la diminution du risque suicidaire est très significative», indique le Dr de Maricourt. En France, un essai clinique national est actuellement mené sous la direction du Dr Abbar afin d’évaluer cette utilisation.


Reste un problème de taille: l’action de la kétamine, bien que rapide et puissante, s’estompe au bout de quelques jours. «Ce n’est pas une molécule miracle», admet Pierre de Maricourt. Mais qu’importe, une première étape a été franchie. «Pour l’instant, nous n’avons pas encore trouvé la clé pour maintenir les effets de la kétamine, concède également le Dr Michaël Barde, psychiatre à la clinique du Château de Garches, dans les Hauts-de-Seine. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut arrêter de chercher. Cette molécule représente une avancée extraordinaire car elle engendre un changement complet de paradigme dans le traitement de la dépression».
Pour le moment, les médecins cherchent à déterminer le mode de traitement le plus efficace. «La piste la plus explorée consiste à répéter les administrations de kétamine pendant plusieurs semaines, avant d’espacer progressivement les prises», indique le Dr de Maricourt. Mais quelles seront les conséquences d’un traitement à long terme, sachant que les plus longs essais cliniques réalisés jusqu’à maintenant n’excèdent pas quelques semaines? «Certaines études mettent en évidence une potentielle neurotoxicité, d’autres au contraire un effet neuroprotecteur, explique le spécialiste. Des études sont nécessaires pour évaluer la tolérance à long terme.»
Au vu de ces résultats spectaculaires, et malgré des zones d’ombre, l’Agence du médicament américaine (la Food and Drug Administration) a lancé une procédure d’étude accélérée afin de rendre plus rapidement disponible la kétamine aux États-Unis. En France, des demandes d’autorisation de mise sur le marché devraient suivre dans les années à venir. Une initiative qui devrait «pousser l’industrie pharmaceutique à développer des molécules ayant recours au même mécanisme d’action», selon le Dr de Maricourt.
http://sante.lefigaro.fr/article/depression-la-revolution-ketamine/