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vendredi 9 février 2018

AUTOUR DE LA QUESTION La solitude est-elle toxique pour l'être humain ?

La solitude est-elle toxique pour l'être humain ?
07/02/18 19h13
Par  Guillaume Narduzzi-Londinsky www.lesinrocks.com/*
Selon plusieurs études, la solitude pourrait provoquer - et aggraver - certaines pathologies, aussi bien mentales que physiques.
Si la solitude peut avoir des vertus, elle engendre surtout nombre de pathologies. Au point de devenir un véritable problème de santé publique; en témoigne la récente création du ministère de la Solitude au Royaume-Uni, pour venir en aide aux 9 millions de Britanniques touchés par cette souffrance psychologique.
"Une prise de conscience existe autour de ce phénomène qui touche, selon les différentes enquêtes (notamment la Fondation de France) un nombre croissant d’individus, quels que soient leur âge ou leur appartenance sociale. La France en a elle-même fait une grande cause nationale en 2011", nous explique le sociologue Arnaud Campéon.
"Un pansement sur une jambe de bois"
"Cependant, cette nomination est pour moi un pansement sur une jambe de bois, un effet d’annonce qui ne réglera certainement pas le problème de l’isolement et de la solitude dans nos sociétés. Ce ministère ne doit pas nous dispenser d’une réflexion politique de fond sur l’ossature de la société et sur les épreuves que celle-ci fait vivre aux individus", poursuit-il.
Lors de cette annonce, Mark Robinson, directeur général de Age UK, expliquait alors au New York Times que la solitude est “plus mauvaise pour la santé que quinze cigarettes par jour”. Bien que l'isolement social soit difficile à quantifier, on estime qu'en France, près de 10 % de la population souffrirait de ce mal-être.
Solitude ≠ isolement social
Pourtant, il ne faut pas confondre la solitude, une perception subjective de la réalité, et l'isolement social, qui peut être déterminé grâce à certains critères. La solitude se distingue du nombre d'amis ou du temps passé sans aucune compagnie, mais se définit plutôt par la volonté d'une plus grande interaction sociale. "La solitude subie s’impose sans avoir fait l’objet d’un choix", précise Arnaud Campéon. “Elle échappe à toute tentative de définition objective, contrairement à l’isolement social.”
Concrètement, une personne peut être considérée comme seule dès lors qu'elle entretient un "appétit" social. Et ce même si elle est constamment entouré de ses proches. Ainsi, les personnes qui se sentent les plus seules et qui en souffrent, ne sont pas forcément celles qui le sont le plus. "C’est pourquoi on peut se sentir seul même si on est très entouré (car les liens ne font pas sens pour l’individu) et qu’inversement, on peut être ‘objectivement’isolé sans pour autant se sentir seul (un seul lien, même symbolique, peut parfois suffire)", détaille le sociologue.
Des transformations biologiques délétères

Et les conséquences sont nombreuses sur la santé mentale. "Plusieurs études ont ainsi montré que la solitude subie, chronique, durable, contribuait à créer un terreau favorable à l’expression d’une certaine mélancolie, propice à la dépression, mais également au développement de maladies neuro-dégénératives, comme la maladie d’Alzheimer par exemple", rapporte Arnaud Campéon.
Tout en ayant un impact sur l'organisme. "Il y a une influence d’ordre 'biomédical' c’est-à-dire qu’en situation de solitude, les chercheurs observent des transformations biologiques qui ont des effets délétères sur la santé, à savoir sur le système cardio-vasculaire et immunitaire par exemple."
Les gens seuls sont davantage malades
Comme le montre cet article de The Globe and Mail, le Dr Chris Fagundes a démontré le lien entre le sentiment de solitude et les conséquences pathologiques qui en découlent. L'équipe du scientifique a réuni un panel de volontaires plus ou moins seuls, et les a exposés à du rhinovirus 39, un virus responsable du rhume. Les participants ont ensuite passé cinq jours enfermés dans une chambre, et devaient décrire l'évolution de leur état. Le bilan est équivoque, puisque "les gens seuls se sentent plus mal quand ils sont malades que les personnes moins seules", explique Chris Fagundes dans le rapport de cette expérience.
Risques psychologiques et physiques
En 2015, une étude de chercheurs de l'université Brigham Young avait déjà démontré que la solitude était aussi dangereuse pour la santé que l'obésité, le tabagisme et l'inactivité physique. Poursuivant ce raisonnement, Chris Fagundes a alors établi que la solitude rendait les gens "plus malades". Selon lui, elle augmente le risque de maladies cardiovasculaires, de cancer, de dépression et de démence.
Notamment car la solitude contribue grandement au stress. Or, il est prouvé que l'angoisse a de nombreux effets néfastes sur la santé: hypertension artérielle, insomnie, indigestion, et même de mauvaises habitudes alimentaires. Mais la solitude s'avère avoir un impact négatif bien plus important sur l'organisme, notamment sur le système immunitaire.
L'inflammation chronique, source de nombreuses maladies
Le corps humain dispose de deux types de réponses immunitaires pour deux types de pathogènes principaux: les bactéries et les virus. Les virus se transmettent surtout d'un individu à un autre, tandis que les bactéries peuvent s'attraper un peu partout dans un environnement, en cas de coupure par exemple. Les espèces dites sociales – comme les singes ou les humains – ont donc principalement développé leur réponse immunitaire antivirale, plus que la réponse inflammatoire pour lutter contre les bactéries.
Mais en situation de stress et de grande angoisse comme en provoque la solitude, le corps se prépare à une infection bactériologique et abandonne temporairement la lutte antivirale: c'est ce qu'on appelle l'inflammation chronique. Or, celle-ci est susceptible de provoquer des maladies cardiaques, des cancers et des troubles neuro-dégénératifs. L'expression des gènes pour les globules blancs chez les personnes vivant dans la solitude se retrouve programmée dans une position propice à l'inflammation, et non pas dans la position antivirale par défaut. "La solitude active constamment cette position défensive dans notre corps, qui nous prépare à être blessés", explique le chercheur en génomique Steve Cole, interrogé par The Globe and Mail. Dès lors, la solitude peut être considérée comme dangereuse pour la santé si elle devient quotidienne, et n'est pas qu'une "mauvaise passe".
De l'importance des interactions sociales
De plus, la solitude nuit aux rapports avec les autres. "La solitude est aussi l’expression d’un sentiment d’étrangeté au monde, au cœur d’une société individualiste et individualisante. Or le fait de ne pas se sentir appartenir à ce monde, de ne pas s’y reconnaître ou de s’y sentir exclus, génère des situations de stress, d’anxiété, d’abandon, de dépréciation qui sont autant de déterminants défavorables à la santé", avance Arnaud Campéon.
Il est donc vital d'entretenir des relations sociales. "Dans la mesure où ces liens ne vous engagent pas directement, ils sont 'lâches' et ne remplissent pas nécessairement votre intériorité. Disons qu’ils ne peuvent pas se suffire en eux-mêmes, ils ne sont pas assez contenants pour imprimer leurs marques dans la durée. S’ils peuvent contribuer à contrecarrer les effets délétères d’un certain flottement identitaire à certaines périodes de la vie, dans les moments de creux, ils sont trop flottants pour être inclusifs", explique-t-il.
"Organiser des réponses de proximité"
Et malgré les initiatives gouvernementales, le problème demeure. "La solitude est un phénomène social trop évanescent et trop complexe pour être unilatéralement décliné. ll faut organiser des réponses de proximité, favoriser des espaces d’échanges et de discussion pour créer du lien, soutenir les réseaux de proximité, maintenir l’offre des services publics dans les territoires les plus désenclavés, soit  concevoir des modes d’actions souples, contenants et enveloppants qui favoriseront le sentiment d’appartenance et qui permettront de penser collectivement le 'bien vivre' ensemble", argumente le sociologue.
Mais la solitude peut également se révéler une expérience qui permet de se ressourcer. Tant qu'elle demeure occasionnelle. "La solitude peut aussi être positivement vécue (bien que de manière plus marginale) et avoir des effets bénéfiques sur la santé. Elle est alors intériorisée, habitée et assumée, reflétant une solide unité intérieure, grâce notamment à un univers personnel suffisamment contenant pour être auto-référentiel. Dans ce type de cas, elle est même une condition nécessaire au bien-être et à l’épanouissement, permettant de faire une pause dans l’affairement du quotidien, des ennuis, des responsabilités. C’est un moment à soi et pour soi, une parenthèse qui favorise la réflexivité sur soi", conclut Arnaud Campéon.

https://www.lesinrocks.com/2018/02/07/actualite/la-solitude-est-elle-toxique-pour-letre-humain-111043325/