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samedi 19 août 2017

DEBAT REFLEXIONS « Une partie de moi veut se montrer, une autre culpabilise »

Un article qui ne porte pas sur la question centrale du suicide et de sa prévention mais la mentionne et qui nous semble toutefois intéressant sur les questions et réflexions qu'il peut soulever.Avertissements : Certains passages crus et non conformistes pouvant choquer des sensibilités.

 

JUSTICE  « Une partie de moi veut se montrer, une autre culpabilise »

Au procès de Pierre, exhibitionniste parisien, coupable d'avoir sorti son sexe dans le métro.
Emmanuel Denise Aug 18 2017 sur www.vice.com*


À Paris, dans la soirée du 14 août 2017, une jeune femme de 20 ans est installée dans un wagon du métro de la ligne 6. À la station Corvisart, elle remarque que l'individu assis en face d'elle dans la rame, un homme de 50 ans aux cheveux blancs et en chemisette bleu ciel, est en train de se caresser compulsivement l'entrejambe. Quelques secondes plus tard, l'individu remonte le bas de son short et sort son sexe, tout en continuant de se masturber. La jeune femme quitte le wagon et prévient les agents de la RATP, qui appellent la police. Au bout de quelques minutes, Pierre, l'exhibitionniste, est interpellé dans la rame.

Deux jours plus tard, Pierre est là, penaud, dans le box des prévenus de la 23e chambre correctionnelle du Palais de justice, celle qui sert à juger les comparutions immédiates, les délits qui ne nécessitent pas de grandes investigations. Il écoute en attendant son tour.

« Qu'est-ce qui justifie cette colère ? », demande la juge à son voisin, Will, à qui l'on reproche d'avoir tabassé sa femme. « Pour vous dire la vérité, je suis né avec la colère, je ne sais pas pourquoi. Il faut dire que ma femme me connaît très bien, elle sait quoi dire pour me pousser à bout. » Pendant deux ans, il a frappé la mère de ses enfants. La dernière fois, le 3 juillet, il a ajouté, avant de lui donner des coups particulièrement violents : « C'est ton heure aujourd'hui. Fais une dernière prière, tu vas laisser des orphelins derrière toi. »
Aujourd'hui, le 16 août, c'est l'anniversaire de Will. Il vient d'avoir 39 ans. « Vous auriez pu faire mieux que de le passer ici », constate l'un des assesseurs. Avant de partir pour huit mois de détention, assortis d'une période de sursis du double, Will ajoute, devant son avocat dépité : « Je tiens à m'excuser pour toute cette tragédie. Je vais vous dire la vérité, je pense constamment à elle, parce que je suis toujours amoureux. »

« Qu'est-ce que vous avez à dire ? », demande la juge à l'exhibitionniste, qui prend place derrière Will. « Je suis désolé. Je répète mon regret. J'ai demandé pardon à ma victime, et je voudrais encore lui demander. Je pensais qu'elle ne m'avait pas vu. » Il parle calmement, avec un très léger accent libanais. Il se tient droit et ne montre aucun signe de nervosité. Titulaire d'un doctorat en informatique, il travaille dans une très grande entreprise, un poste à responsabilité, est parfaitement inséré et entouré.
La juge poursuit son interrogatoire : « Mais pourquoi ce jour-là ? Qu'est-ce qui fait que ce jour-là, dans le métro, vous sortez votre sexe, et que vous vous masturbez ? » Pierre commence à bégayer légèrement : « Je ne sais pas. Ça m'arrive parfois quand je pense à des événements malheureux. »
Pierre est déjà bien connu des services de police. En 2003, il avait écopé de huit mois de sursis, déjà pour des faits d'exhibitionnisme. En 2008, dix mois de sursis avec mise à l'épreuve. En 2010, deux mois. En 2013, quatre mois. Toujours du sursis. Toujours pour les mêmes faits : exhibition sexuelle.
« Qu'est-ce que vous ont dit les psychiatres ? », interroge doucement la juge. Depuis 2006, Pierre participe à des thérapies de groupe. Depuis 2010, il est également suivi individuellement par un psychiatre, avec qui il travaille sur ses pulsions. Dans le rapport médical, qui conclut à une altération du discernement, les experts se prononcent en faveur d'une pathologie anxieuse chronique avec des pulsions sexuelles, liée à un stress post-traumatique.

« Avec les psychiatres, je travaille. Ça m'a permis de comprendre pourquoi, pour quelles raisons, j'ai ces pulsions, explique Pierre. Malheureusement, je n'ai pas de réponses. » Subitement, il s'effondre en larmes dans son box. « Je n'ai pas de réponses. Pourquoi ? Pourquoi, moi, j'ai ça ? Pourquoi ? Il y en a qui font du sport quand ils sont stressés, ou qui mangent, ou qui font d'autres choses. Pourquoi, moi, je fais ça ? »
« Vos enfants ne sont pas au courant ? », demande la juge. « Non », répond Pierre, qui pleurera pendant toute l'audience. « Vous vous rendez compte quand même ? Quelle honte. Je préférerais mourir plutôt que de les regarder dans les yeux en sachant qu'ils savent. »
Pierre n'a pas besoin qu'on l'oblige à se soigner, il le fait déjà lui-même. Personne autant que lui ne souhaite qu'il guérisse. Mais la psychiatrie n'est pas une science exacte.
Depuis plusieurs années, Pierre développe des idées suicidaires. Il évoque une honte intense, une immense tension, dit fréquemment qu'il préférerait mourir. Il est traité avec des antidépresseurs.
« Une partie de moi veut se montrer, une autre culpabilise », explique-t-il. « Dans cette affaire, il y a tout de même une victime, une jeune femme de vingt ans », poursuit la procureure. « Pour elle, c'est une grande violence. Est-ce que c'est parce qu'elle est là que vous faites ça ? Si elle n'avait pas été là, est-ce que vous vous seriez masturbé ? » Pierre admet qu'il s'agit bien d'un désir d'exhibition, il veut être vu : « C'est toute la contradiction. S'il n'y avait personne, je n'aurais pas cette pulsion. »
« Et votre épouse, elle vous soutient ? » Le temps de passer son bras sur son visage, Pierre sèche ses larmes. « Oui, elle me soutient. Elle est formidable. »
Après quelques secondes pendant lesquelles il a pu se ressaisir, Pierre poursuit : « C'est dur de changer soi-même. J'ai changé beaucoup de choses, je fais des activités qui me permettent d'être moins angoissé, qui participent à mon bien-être. Ça réduit énormément les pulsions, mais je ne suis pas non plus à l'abri des crises. À chaque fois, j'ai dit au tribunal : "C'est la dernière fois, c'est la dernière fois", mais en fait, ce n'est pas vrai. » Pierre replonge dans ses larmes, les épaules secouées par le chagrin, il poursuit : « Parce que ça ne peut pas être la dernière fois. »
Pierre est né en 1967, au Liban. Huit ans plus tard, la guerre a éclaté. Pendant quinze ans, de son adolescence à l'âge adulte, Pierre s'est construit dans la peur. Plusieurs fois, les Palestiniens sont venus chez lui, l'ont braqué, lui et toute sa famille, avec des Kalachnikovs. Pendant plus d'un an, il a dû vivre prostré dans une cave, cerné par les explosions, terrorisé à l'idée qu'il allait mourir d'un instant à l'autre. Les psychiatres admettent qu'il est sorti totalement traumatisé par le conflit. À travers ses déclarations, ils ont pu déterminer que la récente réactivation de ses pulsions était liée à l'angoisse de revivre ces événements en France, depuis les attentats qui ont secoué l'Hexagone.

« J'ai envie de m'en sortir, déclare Pierre entre deux sanglots. C'est une honte pour toute la famille. »

« Comment résout-on notre problème, celui de la Justice ?, s'interroge la procureure. Probablement en résolvant le problème de ce Monsieur : on est d'accord. Aujourd'hui, le problème est toujours là, alors que faire ? » Le problème, en réalité, c'est que la procureure, pas plus que la justice, n'a de réponse. Si elle a beau s'étonner que les conclusions des experts ne demandent pas une injonction de soin, elle en connaît déjà la raison : Pierre n'a pas besoin qu'on l'oblige à se soigner, il le fait déjà lui-même. Personne autant que lui ne souhaite qu'il guérisse. Mais la psychiatrie n'est pas une science exacte. La situation de Pierre évolue au gré de ses angoisses et des réponses qu'on lui propose, à tâtons, avec des phases d'amélioration et de rechute. C'est un long travail qui nécessite de la patience et, éventuellement, le droit d'échouer, parfois.

« Croyez-moi, je souffre. Je comprends la souffrance des victimes, mais je souffre également. » – Pierre

« Le problème, c'est qu'à chaque fois, il y a quelqu'un en face », remarque la procureure. « Alors que faire ? », ne cesse-t-elle de répéter, comme pour se convaincre qu'il existe une solution. « Dans un souci de cohérence », elle demande 10 mois de sursis avec mise à l'épreuve. Cette mise à l'épreuve contient l'obligation de poursuivre les soins, ce que Pierre appelle de tout son cœur.
La période de sursis signifie que s'il commet une nouvelle infraction similaire dans les cinq ans, Pierre pourrait aller en prison. En pratique, son casier judiciaire prouve par les faits qu'à moins de tomber sur un juge particulièrement sévère, Pierre ne devrait pas être incarcéré. Au vu de son parcours, de ses problèmes anxieux et de ses idées suicidaires, il paraît évident qu'une peine de prison, pour Pierre, serait un drame qui ne pourrait qu'empirer son état et le rendre plus dangereux à sa sortie – s'il ne se suicide pas. Personne, dans la salle d'audience, ne semble vouloir croire que la prison, pour ce cas précis, serait une solution.

Pierre-Étienne Rognon, l'avocat de Pierre, se range aux réquisitions de la procureure. « Les soins sont évidemment la solution. » Qu'a vécu Pierre, quand il était au Liban, pour que le braquage de Kalachnikovs dans une cave finisse par se transformer en un besoin compulsif de sortir son sexe dans les wagons du métro, à Paris ? « La guerre, tout simplement. La guerre. »
Avant d'entendre la décision des trois juges, Pierre prend la parole une dernière fois : « Croyez-moi, je souffre. Je comprends la souffrance des victimes, mais je souffre également. »
Derrière les juges qui le condamnent finalement à six mois de prison sans mandat de dépôt – Pierre n'ira pas en prison, sa peine sera aménagée –, assortis d'un sursis de trois mois, il y a une grande statue en marbre blanc, qui représente la Justice. La Justice qui, parfois, ne peut pas faire grand-chose.
Emmanuel est sur Twitter.


*https://www.vice.com/fr/article/xwwwdz/proces-pierre-exhibitionniste-metro-parisien

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