Du buzz au besoin d'espoir.
Par Vincent LAPIERRE
Psychologue, Responsable du
Pôle de Psycho-gérontologie
Le suicide des personnes âgées,
ce qu'il contient en tant que sujet d'actualité au cœur de l'été, aura occupé l'espace médiatique pour quelques jours
au moins à la suite du communiqué de Mme Delaunay, ministre déléguée aux
personnes âgées. L'occasion pour les acteurs de cette prévention de mieux
percevoir ce que les médias et donc dans une certaine mesure l'opinion publique
s'en représentent, si l'on considère que le discours médiatique en est un
reflet.
Cette « opinion
publique » du suicide des seniors peut nous donner des indications
précieuses pour l'orientation de notre travail de sensibilisation, et sur la
formulation de nos projets d'actions.
Le simple fait que le sujet ait
pu être débattu est un progrès majeur, qui est en lui-même porteur d'espoir.
Certains confrères ont déjà eu
l'occasion de reprendre un point important : ces suicides n'ont rien de
véritablement saisonnier, et les pics, qui n'ont pas lieu en été, demeurent
inexpliqués.
On peut cependant faire
l'hypothèse que la canicule de 2003 aura eu un impact durable sur les
représentations sociales de la vieillesse, et que cela agit comme un prisme sur
ce que nous pouvons percevoir de l'isolement des seniors.
Il faut toutefois souligner que
si les morts liées à la canicule renvoyaient à un isolement bien réel, le
phénomène suicidaire serait lui plutôt en lien avec un vécu d'isolement, ce qui
peut être bien différent. Le rapport annuel de la Fondation de France,
abondamment cité à la suite du communiqué
de Mme la Ministre est d'ailleurs très clair sur ce point.
Rappelons donc que l'on peut se
sentir seul dans une foule, un groupe, une entreprise, une maison de retraite,
une famille, un couple. Rappelons aussi que la souffrance, physique ou morale,
isole.
Le manque de reconnaissance, et
par raccourci le manque de nourriture affective, liés au vieillissement, à la
retraite professionnelle, aux deuils successifs, à l’éloignement des proches,
famille ou amis, tout cela isole, fragilise psychiquement, et cette fragilité
même contribue parfois à s’isoler plus encore.
Il faut une énergie
exceptionnelle pour continuer à faire des rencontres quand on se sent vieux, et
parfois cette énergie doit venir de l’extérieur, d’un aidant, d’un soignant,
d’une rencontre dans un cadre facilitateur qui permettra ensuite de pouvoir
éventuellement aller au devant des autres, de restaurer des liens affectifs
souvent vitaux.
Ce serait une erreur fondamentale
que de circonscrire le risque suicidaire chez les seniors à l'isolement lié aux
vacances d'été... La question est plus large, une question de santé publique et
de politique au long cours, une question philosophique aussi, autant que sociologique,
bref, une question de civilisation. Et puisque cette question a été soulevée
par un membre du nouveau gouvernement, donnons-nous l'espoir qu'elle ne
retombera pas avec les feuilles mortes à la rentrée.
Certains commentaires laissaient
penser que la prévention du suicide est encore perçue par certains comme
antagoniste du libre choix de sa mort, ou pour reprendre une formulation bien
connue, du droit à mourir dans la dignité. Profitons donc de ce moment pour
rappeler que ce n'est pas le cas.
S'agissant des personnes âgées,
la prévention ne passe pas par l'empêchement de mourir, mais évidemment plus
par la proposition d'un autre aménagement de vie.
Proposer des soins, proposer du
lien, de l'humanité, de l'acceptation, accueillir une personne qui souffre,
parfois aller au devant de cette personne et être alors soi-même accueilli, ne
pas envahir mais venir exister dans un espace jusqu'alors déserté.
Cela suppose un travail clinique,
ou à tout le moins un accompagnement pour celui ou celle qui ira se confronter
à ces questions de vie et de mort, à ce
que nous avions qualifié il y a quelques temps de « mort du désir »
dans le désir de mort.
Insistons donc, et donnons-nous
de l'espoir, du côté des actions de formation et d'accompagnement des
professionnels, il reste tant à faire.
Un dernier point, sur l'amalgame
qui est fait parfois entre perte d’autonomie, entrée en institution et suicide.
Nous ne connaissons pas d'études
concluant à une augmentation du risque suicidaire en institution. Les seniors y
vivant sont de toutes façons très minoritaires, et le travail de prévention
concerne donc autant, si ce n'est plus,
le domicile des personnes.
Et ce sont les travailleurs
sociaux et les aides à domiciles, au même titre que les professionnels du champ
sanitaire, qui seront susceptibles de « dépister » et d'accompagner
un temps de crise.
Nous insistons souvent sur le
fait que parler des idées suicidaires d'une personne que l'on vient rencontrer
n'augmente pas le risque de passage à l'acte, et qu'au contraire cela ouvre des
possibilités, et fait partie de ce que l'on peut accueillir chez un autre être
humain.
Encore faut-il, avant de poser
cette question, pouvoir trouver des recours, peut-être des modes de réponses,
si ce n'est des « solutions ». Que fait-on, que dit-on à quelqu'un
qui vous dit qu'il veut mourir ?
Les secteurs psychiatriques ont
énormément de travail. La réduction du nombre de lit en psychiatrie, la
réduction des moyens, dont nous ne saurions débattre ici, mais dont nous ne
pouvons contester les effets délétères sur la psychiatrie en France, ne
permettent pas aux CMP et services hospitaliers de secteur de s'adapter à une
population âgée physiquement plus fragile, associant souvent des pathologies
somatiques complexes, et moins mobiles et autonomes pour accéder aux soins.
Des projets ont fleuri ces
dernières années, à l'initiative d'acteurs motivés, mais sans politique
générale quant à la prise en compte d'une spécificité de la psychiatrie du
sujet âgé. Il nous semble, et nous en avons justement le projet, que la notion
de coordination si chère au champ gérontologique (CLIC, MAIA etc.) doit pouvoir
être étendue aux questions de santé mentale.
Donnons-nous donc pour finir cet
espoir : que la mise en lumière du suicide des seniors permette de ne plus
oublier la souffrance qui est derrière, d'entendre ce qu'elle vient questionner
de notre civilisation, et de continuer la concertation pour permettre de
donner, à ceux qui y sont confrontés quotidiennement, des moyens d'agir sur
cette souffrance.
16/08/2012 infosuicide.org