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lundi 3 mars 2025

RAPPORT ONS Suicide : mal-être croissant des jeunes femmes et fin de vie - Penser les conduites suicidaires aux prismes de l’âge et du genre - 6ème rapport / février 2025

Suicide : mal-être croissant des jeunes femmes et fin de vie - Penser les conduites suicidaires aux prismes de l’âge et du genre - 6ème rapport / février 2025

Rapports

Paru le 25/02/2025

La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) publie le sixième rapport de l’Observatoire national du suicide. Ce rapport synthétise les grandes tendances des conduites suicidaires en France ainsi que leurs facteurs structurants, tout en soulignant les apports et limites de chaque indicateur. Ces résultats contribuent à éclairer la réflexion sur les mesures de prévention.


Rapport à télécharger https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2025-02/ONS%202025-6e-RAPPORT%20WEB.pdf

Les hommes âgés plus vulnérables au risque de décès par suicide

Souvent associé aux jeunes, le risque de décès par suicide est néanmoins beaucoup plus élevé chez les personnes les plus âgées, femmes comme hommes : le taux de suicide des personnes de 85-94 ans est de 35,2 pour 100 000, près du triple du taux mesuré pour l’ensemble de la population. À cet âge, les hommes font face à un risque huit fois plus élevé que les femmes et 25 fois plus important que les hommes de moins de 25 ans. De plus, leur taux de suicide augmente nettement entre 2021 et 2022, passant de 77 à 86 suicides pour 100 000 habitants.

 Une hausse récente des décès par suicide et une relative stabilité des hospitalisations

Avec 9 200 décès par suicide recensés en 2022, le taux de suicide atteint 13,3 décès pour 100 000 habitants, un niveau trois fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes (20,8 et 6,3 pour 100 000, respectivement). En baisse constante depuis le milieu des années 1980, le taux de suicide parait avoir atteint un niveau plancher au tournant de la décennie 2020. Une première hausse du taux de suicide enregistrée en 2018 relevait d’un artefact, puisqu’elle était due en grande partie à l’amélioration de la collecte des données, mais le taux de décès par suicide n’a pas repris sa diminution depuis. Au contraire, il est légèrement supérieur en 2022 (13,3) à ce qu’il était en 2021 (13,0) et 2020 (13,1).

Le nombre d’hospitalisations pour gestes auto-infligés (GAI), qui comptabilisent (sans pouvoir les distinguer) les tentatives de suicide et les automutilations non suicidaires telles que les scarifications, est stable au global. En 2023, 77 601 personnes de plus de 10 ans ont été hospitalisées au moins une fois pour GAI dans les établissements de soins somatiques, soit 128 personnes pour 100 000.

 Une très forte augmentation des hospitalisations chez les adolescentes et les jeunes femmes au cours de la dernière décennie

Le nombre d’hospitalisations pour GAI augmente chez les adolescentes et les femmes de moins de 25 ans depuis 2017, une hausse qui s’est accélérée à partir de 2021 et persiste au-delà de la période post-covid. 516 femmes de 15 à 19 ans sur 100 000 ont été hospitalisées en 2023 pour GAI (+ 46 % par rapport à 2017), plus de quatre fois le taux observé chez les hommes (113 sur 100 000). Dans le même temps, les hospitalisations pour gestes auto-infligés ont nettement reculé chez les femmes de 30 à 69 ans et chez les hommes de 30 à 59 ans. Ainsi, les inégalités entre les femmes et les hommes se réduisent nettement entre l’âge de 35 et de 70 ans, tandis que l’écart augmente fortement entre les jeunes femmes et leurs aînées.

Chez les jeunes, le suicide constitue la deuxième cause de mortalité, mais c’est aussi la tranche d’âge dont le taux de suicide est le moins élevé : 2,7 pour 100 000 chez les moins de 25 ans, contre 13,3 pour l’ensemble de la population. Les jeunes femmes demeurent la population chez qui le taux de suicide est le plus faible, quoiqu’il ait augmenté de près de 40 % entre 2020 et 2022 (passant de 1,15 à 1,60 pour 100 000).

 Aide à mourir et prévention du suicide : un éclairage sur les termes et les enjeux du débat

L’ouverture d’une aide active à mourir (AAM) est, depuis plusieurs années, au centre du débat public et parlementaire. L’ONS n’a pas vocation à prendre position dans cette discussion, mais peut contribuer à en éclairer les termes : elle présente donc une revue de littérature scientifique sur les dispositifs d’aide à mourir à travers le monde, qui fait ressortir plusieurs enseignements. Leur ouverture aux personnes atteintes de troubles psychiques pose question, l’évaluation de la demande se heurtant à de nombreuses difficultés. En revanche, on ne semble pas observer d’effets de « report » des suicides vers les dispositifs d’AAM dans les pays où ceux-ci ont été légalisés ou autorisés par la jurisprudence. Lorsque l’AAM existe, toutes les demandes de mort sont loin d’aboutir et, dans certains cas, la possibilité de recourir à l’AAM permet un début de prise en charge du mal-être, ouvrant une perspective – certes contre-intuitive – de prévention du suicide.

 Onze fiches pour compléter l’état des lieux des conduites suicidaires, des plans de prévention et des actions de postvention

Ce rapport s’achève sur onze fiches rédigées par des membres de l’ONS, qui apportent des éclairages spécifiques à partir de résultats statistiques et documentent des mesures ou des dispositifs à l’œuvre ou en préparation. Elles reflètent la diversité des approches possibles pour rendre compte du phénomène suicidaire, en matière de production de données comme de dispositifs d’accompagnement et de prévention, qu’ils soient pilotés par des politiques publiques ou par des acteurs du secteur associatif.

 Pour en savoir plus

Historique

Éditions précédentes

https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/rapports/suicide-mal-etre-croissant-des-jeunes-femmes-et-fin-de 

 

Article sur le sujet


mardi 25 février 2025  Libération

«Les plus modestes ont un risque de suicide plus important que les plus aisés»


Nathalie Raulin

Selon le président délégué de l’Observatoire national du suicide, Fabrice Lenglart, la remontée du taux de suicide depuis la crise sanitaire est le fait des hommes de plus de 85 ans et des jeunes femmes de moins de 25 ans.

Est-ce la fin d’un progrès civilisationnel ? Après trente ans de recul constant, le taux de suicide en France est reparti à la hausse depuis la crise sanitaire, selon le rapport de l’Observatoire national du suicide dévoilé ce mardi 25 février. Avec 9 200 décès recensés, le nombre de suicides pour 100 000 habitants s’élève à 13,3 en 2022, supérieur à ce qu’il était en 2021 (13,0) et 2020 (13,1) ce qui la place la France au-dessus de la moyenne des pays d’Europe de l’Ouest (10,6) et du Nord (11,4). Pour Fabrice Lenglart, directeur de la Drees et président délégué de l’Observatoire, cette dégradation est révélatrice d’un mal-être aux deux extrêmes de la pyramide des âges, chez les personnes très âgées et les jeunes.

Quelle catégorie de la population est la plus exposée au risque de suicide ?

C’est souvent passé sous silence mais ce sont les personnes très âgées qui en meurent le plus. Même si c’est très loin d’être la première cause de mortalité dans cette classe d’âge, le taux de suicide des personnes de 85-94 ans est de 35,2 pour 100 000 habitants, près du triple du taux mesuré pour l’ensemble de la population. Et parmi elles, les hommes sont de loin les premiers concernés. Leur risque suicidaire est huit fois plus élevé que les femmes du même âge et 25 fois plus important que les hommes de moins de 25 ans. Un fait peut être encore plus préoccupant est que le taux de suicide des seniors a nettement augmenté entre 2021 et 2022 : chez les hommes de plus de 85 ans, on est passé de 77 à 86 suicides pour 100 000 habitants. Cela devrait nous interroger sur le mal-être de nos aînés.

Y a-t-il des points de bascule identifiés chez les seniors ?

L’Observatoire reprend sur ce point les travaux de deux sociologues, Frédéric Balard et Ingrid Voléry. Ils identifient des causes différentes en fonction du genre. Chez les hommes, la perte de pouvoir décisionnel sur leur compagne ou leur environnement, à l’occasion par exemple d’une entrée en Ehpad, est associée à une augmentation du risque. Chez les femmes âgées, c’est plutôt l’attention qu’elles portent à leurs proches qui est déterminante, soit qu’elles choisissent de suivre leur compagnon dans la mort, soit qu’elles ressentent un épuisement existentiel face aux attentes en matière d’aidance qui pèsent sur elle quand leur conjoint est en perte d’autonomie, ou aux travaux domestiques qui continuent de leur incomber…

A l’autre bout du spectre, un mal-être semble également habiter la jeunesse, notamment les jeunes femmes…

Oui, on observe une envolée spectaculaire des gestes auto-infligés entraînant hospitalisation chez les adolescentes et les femmes de moins de 25 ans. En réalité, ce phénomène préexiste à la crise sanitaire. Néanmoins, il s’est accéléré à partir de 2021. Le nombre de jeunes filles de 15 à 19 ans hospitalisées pour cela en 2023 a bondi de 46 % par rapport à 2017 ! En revanche, au-delà de 30 ans, on observe au contraire une forte diminution de ces tentatives de suicide ou d’automutilation sur la période récente.

Comment expliquer cette détresse post-Covid des jeunes ?

On ne sait pas vraiment. Les chercheurs avancent plusieurs hypothèses. Est-ce lié à une fréquentation accrue des réseaux sociaux par les filles, et donc une exposition plus forte au cyberharcèlement et aux injonctions de genre ? C’est possible puisque le phénomène est mondial mais on n’a pas les moyens de le démontrer. Ce qu’on peut dire en revanche, c’est que les plus modestes sont les premières touchées : les jeunes filles qui font partie des 20 % des ménages les plus modestes ont un risque multiplié par 3 d’être hospitalisées pour gestes auto-infligés par rapport à celles qui appartiennent au 20 % des ménages les plus aisées. Le risque est aussi accru pour les adolescentes vivant dans une famille monoparentale, pour les adolescentes et jeunes femmes sans famille ou en rupture avec leur famille, ainsi que pour les mères isolées.

Est-ce que cela signifie que le suicide concerne plus les filles que les garçons ?

Non, il faut faire la distinction entre tentative de suicide et suicide. Dans toutes les tranches d’âge, le suicide est d’abord un phénomène masculin. Avec 338 suicides en 2022, les adolescents et jeunes hommes de moins de 25 ans ont un taux de décès par suicide 1,5 fois plus élevé que celui des femmes du même âge. Néanmoins, chez les garçons, le taux de suicide reste stable alors qu’il croit nettement pour les filles. Si les jeunes femmes demeurent la catégorie de population chez qui le taux de suicide est le plus faible, il a augmenté de près de 40 % entre 2020 et 2022. En 2022, ce sont 183 adolescentes et jeunes femmes qui se sont suicidées, un nombre qu’on n’avait pas connu depuis 1997. C’est 51 de plus qu’en 2019. Une telle progression est préoccupante.

Si vous avez des idées suicidaires, ne restez pas seul· e. Parlez-en à vos proches et contactez votre médecin traitant, ou le 3114 (numéro national gratuit 24h/24, 7 jours/7, écoute professionnelle et confidentielle) ou le 15 (Samu). Cet article est paru dans Libération (site web)
 
 
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Le suicide chez les personnes âgées : une réalité encore taboue

Le suicide des personnes âgées est un phénomène encore trop peu mis en lumière dans l’espace public et médiatique. Pourtant, les données révèlent qu’il s’agit d’une question de santé publique majeure, avec des taux de mortalité par suicide bien plus élevés que dans les autres tranches d’âge.

  Ce constat soulève des interrogations profondes sur le mal-être des aînés et sur les facteurs qui contribuent à leur détresse psychologique. L’Observatoire National du Suicide à publié un rapport, levant ainsi le voile sur ce sujet encore tabou.
Une prévalence alarmante du suicide chez les personnes âgées

Contrairement à une idée reçue, le suicide ne touche pas uniquement les jeunes. Si l’attention médiatique se focalise souvent sur cette tranche d’âge, les chiffres montrent que les personnes âgées sont celles qui se suicident le plus. En France, en 2022, le taux de suicide des 85 ans, et plus, atteignait 35,2 % pour 100 000 habitants, contre 2,8 % chez les moins de 25 ans.

Les hommes âgés sont particulièrement à risque. Entre 2021 et 2022, le taux de suicide des hommes de 85 ans, et plus, est passé de 77 à 86 pour 100 000 habitants, tandis qu’il restait stable, voire en légère baisse, chez les femmes du même âge.
Suicide des personnes âgées : de multiples facteurs explicatifs

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces taux alarmants. Parmi les principaux déterminants figurent : La perte d’autonomie et les maladies invalidantes : la détérioration physique et cognitive due à l’âge est souvent une cause majeure de souffrance. La dépendance croissante, notamment lors de l’entrée en établissement médicalisé, est perçue par certains comme une perte de contrôle sur leur propre existence (notamment chez les hommes âgés).
L’isolement social et le veuvage : les personnes âgées souffrent souvent de solitude, surtout après le décès de leur conjoint. Ce phénomène est particulièrement marqué chez les femmes, qui se suicideront par “dévouement” pour leur conjoint décédé.
Les difficultés économiques : une baisse des revenus après la retraite ou le décès d’un conjoint peut accentuer le sentiment de précarité et de dépendance.
La perception sociale du vieillissement : la société moderne et occidentale valorise peu le grand âge, et de nombreuses personnes âgées finissent par intérioriser l’idée qu’elles sont un “fardeau” pour leurs proches et pour la société.

La fatigue ou l’épuisement, la douleur, le sentiment de déclin physique ou de perte de soi, la peur des souffrances futures, la dépendance ou la perte d’autonomie, la solitude, le désespoir, le sentiment d’inutilité et la lassitude de vivre, l’emprise des professionnels de santé sont des éléments constitutifs d’une souffrance insupportable
Les spécificités du suicide des femmes et des hommes âgés

Les recherches montrent des différences notables entre hommes et femmes face au suicide au grand âge : Chez les hommes : Le suicide est souvent lié à des événements “bifurcatifs”, comme l’entrée en maison de retraite, qui symbolise une perte de pouvoir sur leur propre quotidien en fin de vie.
Chez les femmes : La détresse semble plus liée à un épuisement psychologique progressif, notamment en raison du rôle de “soignante” (“care”) qu’elles continuent souvent d’exercer jusqu’à un âge avancé. Certaines d’entre elles envisagent même le suicide comme un moyen de suivre leur conjoint dans la mort, tandis que d’autres y voient une échappatoire face à une charge mentale et domestique devenue insupportable.

Les femmes tentent de se suicider pour continuer à se conformer aux normes de genre, tandis que les hommes le font parce qu’ils n’arrivent plus à se conformer à ces normes. En effet, les femmes âgées pourront orchestrer le suicide conjugal ou se suicider par dévouement pour le conjoint ou le proche décédé ; tandis que les tentatives de suicide des hommes âgés sont expliquées en lien avec des pertes de maîtrise du mode de vie ou l’entrée en institution.
Suicide des personnes âgées : Un sujet encore tabou

Malgré son ampleur, le suicide des personnes âgées reste largement invisibilisé dans les débats publics. Contrairement au suicide des jeunes, qui suscite des réactions vives et émotionnelles, celui des aînés est souvent perçu comme “plus acceptable”, voire naturel. Cette différence d’appréciation sociale peut expliquer en partie le manque d’attention portée à cette problématique.

Le suicide des aînés aurait socialement moins de valeur, du moins leur mort apparaîtrait-elle plus acceptable que celle des jeunes. Au-delà de la réception sociale du suicide, c’est également l’interprétation de leur désir de mourir qui est différente, car davantage reliée à l’âge.

De plus, la définition même du suicide chez les personnes âgées pose problème. Certains comportements autodestructeurs, comme le refus de s’alimenter ou le désengagement progressif de la vie sociale, ne sont pas toujours reconnus comme des actes suicidaires, bien qu’ils en partagent les mécanismes sous-jacents.
Les dispositifs de prévention : un enjeu crucial

Face à cette réalité préoccupante, plusieurs mesures doivent être renforcées : Développer les soins psychologiques et le suivi médical des aînés, notamment en renforçant la détection des signes de détresse chez les personnes âgées en perte d’autonomie.
Lutter contre l’isolement social, en favorisant les visites, les activités intergénérationnelles et les dispositifs de soutien.
Repenser l’accompagnement en établissement médicalisé, en veillant à préserver l’autonomie (autant que faire se peut) et la dignité des résidents.
Changer le regard sur le vieillissement, pour que les personnes âgées ne se sentent plus perçues comme un fardeau, mais comme une richesse pour la société.

Le suicide chez les personnes âgées est un sujet majeur qui mérite une attention bien plus grande. Moins connu que le suicide chez les jeunes, il en devient largement méconnu et insuffisamment étudié, ce qui empêche la mise en place de mesures concrètes ?

Derrière ces chiffres se cachent des trajectoires de vie marquées par la solitude, la perte d’autonomie et une souffrance souvent ignorée. Agir pour prévenir ces drames passe par une prise de conscience collective et une meilleure intégration des aînés dans le tissu social.

Télécharger le rapport complet de l’Observatoire National du Suicide 

 https://www.silvereco.fr/le-suicide-chez-les-personnes-agees-une-realite-encore-taboue/