Réponse d’urgence et signal d’alerte
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Le suicide, action de se donner volontairement la mort, fait partie d’un ensemble d’actes appelés conduites suicidaires : suicide, tentative de suicide, idées suicidaires, crise suicidaire (risque suicidaire élevé), équivalents suicidaires (automutilation, conduites à risque...). La conduite suicidaire est un véritable processus pouvant comporter des recherches de solutions, puis des idées suicidaires qui, lorsqu’elles se figent, mènent à des scénarios suicidaires.
Un suicide ou une tentative de suicide
constitue une situation d’urgence à gérer dans l’entreprise, notamment
si l’acte suicidaire s’est produit sur le lieu du travail : appel des
secours spécialisés, protection des collègues confrontés à la scène de
l’acte suicidaire, dissimulation visuelle des lieux où la scène s’est
déroulée, information de la famille, etc.
C’est aussi un événement majeur qui doit interpeller l’entreprise.
L’extrême souffrance de la personne qui passe à l’acte peut témoigner
(au-delà de l’impasse existentielle dans laquelle elle se trouve) d’une
situation de malaise plus largement répandue dans l’entreprise. La
prévention des suicides au travail passe donc d’abord par une démarche
globale de prévention des risques psychosociaux et, en cas de passage à
l’acte, par une analyse de l’acte suicidaire.
Facteurs de risque
De nombreuses études épidémiologiques ont établi un lien entre des contraintes de travail et l’apparition d’une dépression. Celle-ci peut, ensuite, favoriser un passage à l’acte suicidaire. Des études montrent également un lien entre le suicide ou les idées suicidaires et des contraintes de travail.
Parmi ces contraintes associées, on retrouve notamment une forte exigence psychologique, l’absence de marges de manœuvre, les situations de harcèlement moral/sexuel ou de violences internes ou externes ou encore l’insécurité de la situation de travail.
Sur la base des données de l’enquête Conditions de travail 2016 de la Dares, une publication a identifié des facteurs de risque auxquels les idées suicidaires sont associées : forte exigence psychologique, peu de sens au travail, violences internes, pour les hommes et les femmes ; peu de possibilité de développer de nouvelles compétences, insécurité de l’emploi pour les hommes ; manque d’autonomie, exigences contradictoires ou conflits de valeurs, changements importants pour les femmes.
De façon empirique, l’accompagnement des entreprises sur le sujet fait apparaître que le manque de reconnaissance joue aussi un rôle dans le passage à l’acte suicidaire.
Il existe également des actes suicidaires qui ne sont pas la conséquence d’un état dépressif sous-jacent, qui marquent un passage à l’acte brutal (raptus), lié à un élément déclencheur conjoncturel, et auquel personne ne s’attendait dans l’entreprise.
Le choix de se suicider sur son lieu de travail n’est pas neutre ; c’est un message adressé à la collectivité de travail, même s’il arrive parfois que des suicides sur le lieu du travail soient indépendants de la situation professionnelle, le lieu du travail fournissant alors une occasion pour passer à l’acte (suicide par chute de hauteur dans le secteur du bâtiment, usage d’une arme de service, prise de médicaments pour des personnels de santé par exemple).
Quelques chiffres
Sur la base des données du Centre d’épidémiologie des causes médicales de décès (Cépidc – Inserm), en France, pour l’année 2021, le taux de décès par suicide était de 13,9 pour 100 000 habitants, soit près de 9 000 cas, avec une sous-estimation d’environ 10 % selon Santé publique France. Selon les données d’Eurostat 2019, le taux de suicide en France est l’un des sept plus élevés de l’Union européenne. Une étude exploratoire menée par Santé publique France avec quelques instituts médico-légaux montre qu’en 2018 près de 10 % des suicides analysés pouvaient avoir un lien potentiel avec le travail. En 2016, d’après l’enquête Conditions de travail de la Dares, 5,2 % des hommes et 5,7 % des femmes, issus de la population active, avaient eu des idées suicidaires.
Conséquences pour l’entreprise
Un suicide ou une tentative de suicide constitue une situation de choc pour l’ensemble de l’entreprise. Cet acte, d’une violence extrême, laisse souvent les différents acteurs de l’entreprise dans le désarroi, d’autant plus lorsqu’il existe la présomption d’un lien avec le travail. La manière dont l’entreprise va tout d’abord traiter l’urgence puis analyser cet événement est déterminante pour la suite de son activité.
Prévention
La prévention des suicides au travail passe tout d’abord par une démarche globale de prévention des risques psychosociaux. En cas de passage à l’acte, une démarche spécifique doit être menée.
Réagir en urgence après un suicide ou une tentative de suicide
En cas de suicide ou de tentative de suicide (que l’événement se soit déroulé sur le lieu du travail ou en dehors), l’entreprise doit réagir en urgence. Un tel événement constitue un événement majeur potentiellement traumatisant pour l’ensemble de la communauté de travail, d’où l’importance des actions qui vont être mises en place.
Une communication interne forte doit souligner la gravité de l’événement et prendre en compte la part éventuelle des facteurs professionnels dans sa survenue. Les raisons d’un suicide sont toujours complexes à démêler. Mais il faut accepter de rechercher d’éventuels facteurs liés au travail et adresser ainsi aux salariés le signal que des pistes d’actions pour améliorer les conditions de travail vont être examinées.
À l’inverse, réduire d’emblée les causes du suicide à des raisons personnelles fait passer le message que l’entreprise ne s’interroge pas sur son organisation du travail et que rien ne va bouger. Cette posture ne peut qu’engendrer de la crainte voire de la peur chez les salariés, l’absence de réponse organisationnelle signifiant la banalisation du suicide.
Une prise en charge psychologique des collègues de la victime (et de la victime elle-même dans le cas d’une tentative de suicide) doit être proposée (le médecin du travail pouvant suggérer à l’entreprise quelques intervenants spécialisés). La possibilité pour les salariés qui en font la demande de participer à des débriefings psychologiques peut réduire le risque de passage à l’acte pour d’autres et les cas de stress post-traumatique. Ces séances, proposées de façon individuelle ou collective, dans ou hors de l’entreprise, doivent être animées par un spécialiste extérieur, sur une période suffisamment longue pour que toutes les personnes touchées par cet événement puissent « évacuer » le traumatisme. Elles permettront d’orienter les personnes en souffrance vers des thérapeutes spécialisés.
Après la phase d’urgence
Une fois les mesures prises pour, d’une part, protéger le salarié qui a tenté de se suicider et, d’autre part, préserver les collègues du salarié (et plus largement son environnement professionnel), il est essentiel, dans un but de prévention, qu’une analyse approfondie de l’événement soit réalisée. Celle-ci peut être réalisée par le CSE par le biais du recours à un expert habilité ou d’une enquête menée par une délégation paritaire. Étant donné la gravité de la situation que manifeste l’acte suicidaire, il est nécessaire d’analyser d’abord cet événement avant de procéder à une démarche plus globale de prévention des risques psychosociaux.
Dans le cas d’une expertise CSE, sur la base du constat d’un risque grave identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel (art. L. 2315-94 du Code du travail), le CSE peut confier l’analyse de l’événement à un cabinet de consultants, habilité en tant qu’expert auprès des CSE.
Dans le cas d’une délégation d’enquête paritaire, suite à un accident de travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel (art. L. 2312-13 et art. R. 2312-2 du Code du travail), ce sont les membres du CSE (ou, en fonction de l’organisation mise en place dans l’entreprise, de la CSSCT) qui réalisent eux-mêmes l’analyse et prennent directement en charge la question du suicide au travers de la recherche des facteurs d’ordre professionnel. Cette analyse approfondie permet de débattre de la place du travail dans la survenue du suicide, afin de prendre les mesures nécessaires pour qu’un tel événement ne se reproduise pas.
Ces deux approches peuvent se compléter utilement. Les éléments mis au jour grâce à l’enquête menée par le CSE peuvent venir légitimer dans un second temps le recours à un expert, pour une analyse plus globale sur l’organisation.
Enquêtes susceptibles d’être menées après un suicide ou une tentative de suicide d’un salarié
- L’enquête de la police ou de la gendarmerie a pour objet de clarifier les faits et le contexte de l’événement, en vue de statuer sur le caractère suicidaire du décès (par opposition à l’homicide), afin de permettre au procureur de la République d’apprécier l’opportunité d’engager des poursuites pénales.
- L’enquête de l’inspection du travail vise à recueillir des éléments, des témoignages, et à constater d’éventuelles infractions de l’employeur au Code du travail. Le cas échéant, il les transmet au procureur de la République.
- L’enquête réalisée par la caisse primaire d’assurance maladie vise à déterminer le caractère professionnel de l’acte suicidaire pour sa reconnaissance éventuelle au titre de la législation sur les accidents du travail / maladies professionnelles.
- L’enquête réalisée par la Carsat/Cramif/CGSS consiste à mettre en évidence les facteurs de risques relevant du travail, pour inviter l’employeur « à prendre toutes mesures justifiées de prévention » (article L. 422-4 du Code de la Sécurité sociale).
- L’enquête du CSE (délégation d’enquête paritaire) a pour objet d’analyser les accidents du travail, les maladies professionnelles ou à caractère professionnel, en vue de mener des actions de prévention. Elle a les mêmes finalités que celle de la Carsat/Cramif/CGSS.
Agir sur les risques psychosociaux après l’événement
Une fois que les facteurs liés au travail ayant pu contribuer à l’acte suicidaire auront été analysés, l’entreprise devra élargir son champ d’investigation et mener ou revenir à une démarche globale de prévention des risques psychosociaux (voir dossier Risques psychosociaux), en tenant compte des résultats de l’analyse de l’acte suicidaire.
Limites des numéros verts
Attention, la mise à disposition d’un numéro vert anonyme et gratuit ne peut se substituer à une véritable prise en charge psychologique. De plus, elle ne permet pas d’identifier et d’agir sur les facteurs de risques psychosociaux.
Déclaration d'accident du travail
Une déclaration d'accident du travail doit être établie par l’employeur quand le suicide ou la tentative de suicide se produit sur le lieu et au temps du travail, ou sur le trajet domicile-travail. Si l’employeur ne l’a pas fait, les ayants droit, ou le travailleur en cas de tentative, ont la possibilité de faire cette déclaration auprès de la caisse primaire d’assurance maladie dans les deux ans qui suivent l’événement.
Pour un suicide ou une tentative de suicide survenant hors du lieu ou du
temps de travail, une déclaration pourra également être faite,
respectivement par les ayants droit ou le travailleur. Dans ce cas,
contrairement à l’hypothèse où l’accident survient sur le lieu et au
temps du travail, la présomption d’imputabilité ne s’applique pas. Il
appartiendra donc au demandeur de démontrer le lien entre le suicide ou
la tentative de suicide et le travail).