Désinfox Agriculteurs : y a-t-il vraiment un suicide tous les deux jours ?
En pleine colère des agriculteurs, le sujet de leur mal-être revient sur le devant de la scène politique. Depuis une quinzaine d’années, plusieurs études relèvent un surrisque de mortalité par suicide chez les agriculteurs.
Cyrielle Thevenin - 29 janv. 2024
« On a un tiers des agriculteurs qui vivent sous le seuil de pauvreté, on a deux suicides par jour », déclarait sur franceinfo le 20 janvier dernier le député européen écologiste Yannick Jadot. Le 21 janvier, c’était le président de Reconquête !, Éric Zemmour, qui déclarait sur BFMTV qu’il y a « un agriculteur qui se suicide tous les deux jours ». « Ce ne sont pas les annonces qui viennent d’être faites qui vont diminuer le taux de suicide chez les agriculteurs », jugeait également vendredi la députée écologiste Sandrine Rousseau.
En pleine fronde des agriculteurs, la question de leur mal-être revient sur le devant de la scène. Et ce n’est pas la première fois : l’affirmation selon laquelle un agriculteur se suiciderait tous les deux jours revient régulièrement dans le débat public et politique. Mais est-elle vraie ? On fait le point.
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529 décès par suicide en 2016
Dans une étude sur la mortalité par suicide des agriculteurs publiée en 2016, Santé publique France dénombrait 253 suicides chez les hommes et 43 chez les femmes entre 2010 et 2011. Soit un total de 296 décès par suicide parmi les agriculteurs sur deux ans. Cela correspond à un peu plus de 12 suicides par mois, soit trois par semaine. « L’affirmation d’un agriculteur qui se suicide tous les deux jours en France se fonde donc sur les données de cette étude », explique un rapport d’information sénatorial publié en 2021.
Dans son étude, Santé publique France note qu’en 2010, « un excès statistiquement significatif de décès par suicide a été observé chez les hommes agriculteurs par rapport à la population générale (+20 %) ». Si ces chiffres sont vieux, ils ont depuis été confirmés par d’autres études. En 2016, 529 décès par suicide ont « pu être attribués à des personnes affiliées au régime agricole », note ainsi la Mutualité sociale agricole (MSA) dans une étude publiée en octobre 2022. Il s’agit des derniers chiffres publiés.
La MSA relève également dans son rapport “charges et produits 2024”, publié en juillet 2023, qu’en 2020, « les consommants de soins du régime agricole de 15 à 64 ans ont un risque de mortalité par suicide supérieur de 30,9 % à celui des assurés tous régimes ». Cet excès de risque grimpe même à 77,3 % chez les non-salariés agricoles. Cela s’explique par de multiples facteurs, estiment les sénateurs dans leur rapport de 2021 : hausse des charges, revenu faible mais « une charge de travail considérable », un sentiment d’isolement, un sentiment de perte de la liberté d’exploiter, une peur de l’échec ou encore une difficile conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale.
Des inégalités au sein de la profession
Certains agriculteurs semblent également plus à risque de suicide à en croire les données publiées sur le sujet. Dans une étude datée de septembre 2023, et qui se base sur des données de 2016 et 2017, la MSA observe ainsi que « le secteur d’activité dominant de la commune de résidence a une influence sur le risque de mortalité par suicide ». Selon ces données, le surrisque de mortalité par suicide est 2,1 fois plus élevé lorsque l’agriculteur non-salarié réside dans une commune dont l’activité dominante est l’élevage de bovins pour la production de lait. « En 2010, l’élevage bovins-lait présentait une surmortalité par suicide de 52 % », avait déjà observé dans son étude de 2016 Santé Publique France.
Les agriculteurs de plus de 65 ans semblent également plus à risque, et ce quel que soit le secteur d’activité agricole dominant de leur commune de résidence. « Au sein de la population des assurés du régime agricole de 65 ans et plus, le phénomène suicidaire est beaucoup plus fréquent que dans l’ensemble de la population (+63,5 %) à structure par âge et sexe identique », note la MSA.
Enfin, la MSA relève également une surmortalité plus importante dans les régions du nord-ouest de la France. Les agriculteurs âgés de 15 à 64 ans et résidant en Bretagne ont ainsi un surrisque de suicide supérieur à 50 % par rapport à l’ensemble des agriculteurs du même âge.
https://www.dna.fr/societe/2024/01/29/agriculteurs-y-a-t-il-vraiment-un-suicide-tous-les-deux-jours