« Une phrase peut changer des vies » : des sentinelles en prévention du suicide témoignent
Nadège DESQUIENS
Le Courrier de l'Ouest (site web)
nouvelle-aquitaine, lundi 23 octobre 2023
Le Réseau territorial de sentinelles en prévention du suicide s’est réuni à Breuil-Chaussée le 19 octobre, pour permettre aux bénévoles d’échanger sur leurs expériences et leur vécu. Deux d’entre elles ont accepté de témoigner.
Depuis 2020, plus d’une centaine de sentinelles en prévention du suicide ont été formées en Deux-Sèvres. Jeudi 19 octobre, les sentinelles du Bocage bressuirais et ses abords directs se sont réunies. Les sentinelles peuvent intervenir dans la vie de tous les jours comme dans des milieux professionnels, explique Charline Roger, coordinatrice du Réseau territorial de sentinelles pour l’Asept (Association santé éducation et prévention sur les territoires) Poitou. Parfois, elles viennent se former parce qu’elles côtoient des personnes susceptibles d’être en souffrance psychique : dans le médico-social, l’insertion dans l’emploi, en agriculture, auprès des jeunes.
Toute personne qui souhaite s’engager est bienvenue. N’importe qui peut être formé, souligne Charline Roger. Les sentinelles assurent le premier maillon pour l’accès aux soins des personnes en souffrance. On ne leur demande pas de diagnostic. Elles remontent les signaux qu’elles ont observés, soit en appelant le 3114, soit les urgences, soit moi.
« Une phrase peut changer une vie »
Lydie et Chantal sont sentinelles depuis 2021. Je suis devenue sentinelle après des rencontres avec la MSA (Mutualité sociale agricole), je le fais dans le cadre de mon métier : je suis directrice d’un centre socioculturel, témoigne Lydie. On peut être amenés à rencontrer des personnes pour lesquelles la charge mentale est un peu trop, la santé mentale peut être fragilisée. On n’imaginait pas être le réceptacle de ces mal-être, et ça ne s’improvise pas. J’ai voulu me former pour que ces personnes puissent déposer, et savoir agir quand on est en capacité de le faire.
Est-ce que tu as des idées noires ? C’est une phrase que je n’aurais jamais prononcée si je n’avais pas fait la formation, estime Lydie. Avant, j’aurais peut-être écouté, et la personne n’aurait peut-être pas été jusqu’à me dire que c’était à ce point. Je pense qu’on avait déjà cette envie de veiller sur les autres. Aujourd’hui, on est plus vigilant, on voit davantage de choses, parce qu’on sait qu’une phrase peut changer une vie – en toute humilité, mais c’est ce que j’ai retenu de cette formation.
« Il nous est arrivé d’appeler le Samu »
Ça peut arriver à l’accueil du centre socioculturel, la personne vient pour une permanence sociale, ou pour inscrire ses enfants. On croise son regard, on lui demande : ça va ? et la personne se met à pleurer, raconte Lydie. Parfois une phrase permet un lâcher prise. On n’est pas là qu’en moment de crise, mais aussi en prévention. Il nous est arrivé de leur prendre rendez-vous au CMP (Centre médico-psychologique), parfois de les accompagner jusqu’au rendez-vous, ou on a appelé le SAMU.
« Je voulais comprendre »
Je suis venue à faire cette formation à la suite du décès suicidaire d’un de nos meilleurs amis, témoigne Chantal. L’accident de son fils a engendré le décès du père. Il est venu nous voir la veille de son suicide, et on n’a rien compris. J’ai saisi cette formation, pour comprendre. Ça permet d’être plus sensible, plus à l’écoute de la fragilité des autres. Maintenant je suis retraitée agricole. Ça permet de se sentir utile.
Par exemple, Chantal s’est mise à disposition de personnes dans sa commune. Un jeune est décédé prématurément. Huit mois après, je me suis mise en relation avec sa femme, j’ai essayé de l’accompagner, en lui proposant simplement de parler, en lui disant que j’étais à sa disposition, y compris de l’emmener vers des personnes plus capables que moi de l’aider.
Pas des superhéros
En deux ans, elles ont fait une formation de trois jours et deux temps de supervision d’une demi-journée. Chacun raconte ce qui a pu lui arriver, ou ses interrogations, explique Lydie. On est peut-être passé à côté de personnes qui avaient besoin de parler aussi, et il ne faut pas qu’on se sente coupable de ne pas agir. On ne se sent pas non plus l’âme d’un superhéros.
Voir un médecin, parler aux gens avec qui on travaille, aller au CMP…, il y a plein de solutions. Parfois eux-mêmes ne s’en rendent pas compte, parce qu’ils sont envahis par le mal-être , détaille Lydie. Parfois on peut remarquer un changement de comportement : il ne va pas s’habiller comme d’habitude, ou ranger sa maison comme d’habitude , ajoute Chantal.
Il y a davantage de morts par suicide en France que par accident de la route. Ça ne devrait pas être un sujet tabou, remarquent les deux sentinelles. La personne qui s’est suicidée n’est pas responsable. C’est le lien social qui manque aussi. C’est collectivement qu’on peut mettre des choses en place pour que ça se passe autrement. En 2024, dix nouvelles formations seront déployées en Deux-Sèvres.
Contact : Tél. 05 49 44 89 67, coordination.rets@asept-poitou.fr, asept-poitou.fr
Le 3114 est un numéro gratuit et 24/24, 7/7, écoute confidentielle.
Illustration(s) :
Charline Roger est la coordinatrice du Réseau territorial de sentinelles (RETS) en Poitou. .
CO – Nadège DESQUIENS
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