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Burn-out et idées suicidaires vont souvent de pair, constate la médecine du travail à Nantes
Les médecins du travail recueillent dans la confidentialité
de leur cabinet de plus en plus de paroles de salariés en souffrance.
Le service de santé au travail de la région nantaise tente de faire
face, en mettant en place diverses actions, notamment pour repérer la
crise suicidaire.
Depuis le Covid, les services de la santé au travail de la région
de Nantes, qu’on appelait la médecine du travail, ont étoffé leurs
moyens d’action pour faire face à une hausse des risques psychosociaux.
Le Covid, un détonateur
On n’a pas fini d’en parler, du coronavirus. Au bureau, à l’usine,
au supermarché, à l’hôpital, il a mis en évidence comme jamais la
souffrance des salariés. Le service de santé au travail de la région
nantaise (1), SSTRN, qu’on appelait autrefois la médecine du travail, a
dû s’adapter et innover pour faire face.
« Le Covid a été un catalyseur. Cela nous a obligés à agir.
Depuis une vingtaine d’années déjà, les changements d’organisation du
travail incessants bousculent les salariés. Mais le Covid a créé un
gros bouleversement qui n’a pas pu être anticipé », souligne Françoise Ducrot, médecin du travail et directrice des partenariats.
L’épidémie, selon ces professionnels, a joué le rôle de révélateur tout en amplifiant parfois les maux. « Une salariée que je suivais depuis plusieurs années, surmenée au travail, a plongé avec le Covid, témoigne Axelle Decoster, médecin du travail et référente sur la thématique des risques psychosociaux (RPS). Elle
n’avait plus les ressources suffisantes pour gérer ce stress
chronique. Après un long arrêt de travail, elle a été déclarée
inapte. Elle n’a pas pu reprendre le travail dans cette entreprise. » Un exemple parmi d’autres.
Jusqu’au suicide
Les cas des salariés en souffrance sont beaucoup plus lourds qu’il y
a dix, quinze ou vingt ans, relève Axelle Decoster. Les idées
suicidaires frappent fréquemment les personnes en épuisement
professionnel. « En général, les gens ne vont pas le dire
spontanément, ils ont honte, ils peuvent culpabiliser d’avoir ces
pensées-là vis-à- vis de leur entourage. » À ce moment-là, il y a urgence.
Selon Françoise Ducrot, « il faut immédiatement faire baisser
cette pression émotionnelle qui gonfle et qui laisse à penser que le
suicide est la seule solution ».
Quand il y a un suicide dans une entreprise, « la santé d’une bonne vingtaine de personnes est affectée avec, pour certains, un risque de passage à l’acte ».
Le travail pas bon pour la santé ?
Non, évidemment, comme le dit Frédéric Le Bihan, psychologue du travail, co-référent sur les risques psychosociaux : « Le
travail n’est pas que souffrance. C’est un environnement contraignant,
mais aussi un lieu plein de ressources, avec un collectif, un management
et des collègues qui peuvent être sympas, une autonomie de travail.
On y trouve un équilibre et une satisfaction. Mais parfois, les
contraintes débordent. Si on ne trouve plus son équilibre, il y a
danger. »
Au fil des consultations, il y a un élément qui revient désormais
sans cesse comme un mauvais refrain : celui du sens au travail, le
sentiment de ne pas avoir bien fait ou tout fait. « C’est impossible pour un salarié de finir ainsi sa journée. Sur le long cours, ce n’est pas tenable »,
explique Françoise Ducrot, qui pense notamment aux aides à domicile,
pressées par le temps, aux aides-soignantes en sous-effectif la nuit à
l’hôpital...
Des risques en hausse
Le SSTRN dit ne pas disposer de statistiques, mais des études épidémiologiques en attestent. « Il
y a une augmentation importante des troubles psychosociaux, relève
Frédéric Le Bihan. En France, le nombre de demandes de reconnaissance
en maladie professionnelle liée à des affections psychiques est passé
de 118, en 2010, à 3 260, en 2021. »
Ce sont évidemment des chiffres très en deçà du nombre de cas
réels. Mais cela donne une tendance et conforte le ressenti des
médecins du travail. En moyenne pour un burn- out, c’est dix-huit mois
d’arrêt de travail.
Aussi, entre 2 et 3 milliards d’euros, c’est le coût social du
stress au travail en France, le coût des soins et la perte de richesse
pour cause d’absentéisme, de cessation d’activité et de décès
prématuré, selon la Caisse primaire d’assurance maladie.
La boîte à outils de la médecine du travail
Le Covid a brutalement affecté le monde du travail, le
désorganisant sans que personne n’ait pu anticiper. Les médecins du
travail se sont donc retrouvés aux avants postes de ce bouleversement.
Et le service de santé au travail de la région nantaise, le SSTRN, a
dû faire face. Cela n’a pas été toujours simple, les équipes ont
décidé à la fois de soutenir les salariés en peine et de former tous
les médecins du travail et les autres professionnels de l’association.
L’une des responsables, Françoise Ducrot, se souvient que « le
niveau de stress était tellement important, qu’on a proposé des
entretiens individuels avec des psychologues, ce qui ne se faisait pas
jusque-là ». Ce dispositif expérimental est devenu pérenne.
L’équipe a bossé tous azimuts : lancer un groupe de travail sur les
risques psychosociaux, élaborer des outils pour repérer les
situations de souffrance lors des consultations, pour détecter dans les
entreprises les risques, imaginer des grilles d’entretien pour poser
les bonnes questions. Autant d’outils qui sont aujourd’hui déployés
dans l’ensemble des sites de la région.
La prévention du suicide est aussi devenue une priorité : « On a
pris ça à bras-le-corps en 2021. On a déjà formé soixante-treize
professionnels de santé au repérage de la crise suicidaire, quinze
autres le seront bientôt. » Et c’est l’ensemble du personnel qui
sera sensibilisé à cette question, y compris la secrétaire, qui
reçoit le salarié en premier lieu.
Si le SSTRN a vocation à soigner les maux, il ambitionne aussi de s’attaquer aux raisons de ces souffrances.
Turn-over, absences nombreuses, visites répétées à la médecine
du travail... Autant de signaux qui alertent ces professionnels,
susceptibles d’intervenir dans les entreprises. « Souvent, on
s’aperçoit qu’il y a un décalage entre le travail prescrit par
l’employeur et la réalité. On propose des pistes, des améliorations
dans l’organisation, note Françoise Ducrot. Souvent, les salariés ont
des solutions, des idées. »
L’association propose tout un tas d’ateliers ou d’actions
collectives. Sur le burn-out ou le harcèlement sexuel, c’est une
demande des entreprises. Ceux sur les RPS, risques psychosociaux, sont
pris d’assaut.
Aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un employeur inquiet pour l’un de
ses salariés appelle le SSTRN. Un conseil ? Celui de Frédéric Le
Bihan : ouvrir dans les boîtes des temps de discussion pour échanger
sur ce qui bloque, ce qui rend le travail difficile. « Pas de baguette magique, mais un bon moyen de prévenir. »
(1) Les adhérents de l’association sont les employeurs qui ont
la responsabilité et l’obligation d’adhérer à un service de
prévention et de santé au travail et d’en supporter le coût. SSTRN
(377 professionnels) suit près de 300 000 salariés dans quatorze
centres de la région nantaise, Ancenis, Pornic. 25 000 employeurs sont
adhérents.