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lundi 23 janvier 2023

TÉMOIGNAGES «Tous les matins, je m'accroche à la vie» : ces mères qui tentent de se reconstruire après le suicide de leur enfant

«Tous les matins, je m'accroche à la vie» : ces mères qui tentent de se reconstruire après le suicide de leur enfant 
Le Figaro (site web) *
vendredi 20 janvier 2023

TÉMOIGNAGES - Elles sont mère au foyer, directrice financière ou maîtresse d'école. Elles ont perdu un enfant par suicide. Elles racontent cette lutte du quotidien.

C'est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans et pourtant, « c'est un sujet tabou ». Le suicide serait une tare honteuse, un drame silencieux, un sujet gênant qu'il conviendrait de ne pas évoquer en société, assurent les parents de ces jeunes qui se sont donné la mort. On préférerait se taire, parce que, dans l'inconscient collectif, prononcer ce mot - « suicide » -, ce serait s'attirer le mauvais œil. La crainte de l'effet Werther - l'idée que les conduites suicidaires peuvent être contagieuses - n'est jamais très loin.

Le 7 janvier dernier, à Golbey, dans les Vosges, le suicide de Lucas, 13 ans, victime de harcèlement scolaire à cause de son orientation sexuelle, a toutefois suscité un émoi national. « Quand j'ai vu ce drame aux infos, cela m'a fait penser à ma fille, qui s'est aussi suicidée », rapporte Catherine*, qui évoque un « deuil contre-nature » qu'elle s'efforce malgré tout de faire. Chaque jour, elle puise en elle-même une force extraordinaire : « lorsque je me lève, tous les matins, je m'accroche à la vie ».

« Le deuil d'un enfant qui s'est suicidé est différent du deuil que font ceux qui ont perdu un enfant dans un accident. Au-delà de la douleur, ce geste dramatique interroge notre propre humanité, le sens de la vie, notre équilibre familial, notre identité », explique Géraldine Chanal, psychologue de l'association «Phare», qui accompagne notamment les mères touchées par cette tragédie. Certaines d'entre elles se sont livrées auprès du Figaro. Elles racontent ce combat quotidien qu'elles mènent pour continuer de vivre après le suicide de leur enfant.

«On vit au rythme des dates clés»

« Le temps s'est figé le jour où ma fille est morte », souffle Cécile, ancienne directrice financière d'un grand groupe français. Ce 5 novembre 2018, Capucine, 18 ans, rentrait chez elle, à Saint-Cloud, après une journée de cours. Elle avait été admise en prépa, au lycée Hoche, à Versailles. Elle s'est jetée sous un train à la gare de Ville-d’Avray.

Cécile était en réunion budgétaire. Le président de l'entreprise est venu la chercher, l'air grave. À côté de lui, se tenaient des personnes en civil. « J'ai dit à mon chef, “eh bien Laurent vous en tirez une tête, il s'est passé quelque chose de grave?”. À ce moment-là une des dames en civil, qui était en fait une policière, m'a annoncé que Capucine était morte ».

Les premiers mois, chaque chose du quotidien rappelle le jour fatidique. « On vit au rythme des dates clés. Il suffit que l'enfant se soit suicidé le 17 pour que, tous les mois, le 17, le parent soit ramené à son absence », explique Géraldine Chanal. La spécialiste se souvient de cet homme qui avait perdu sa fille et qui, alors qu'ils discutaient, s'était tourné vers l'horloge : « vous voyez, il est bientôt 16 heures. Ma fille s'est suicidée à 16 heures. Dans quelques minutes, elle est morte ».

La vie n'est plus que peuplée de dates, d'heures et d'événements rappelant l'absence de l'enfant. « Il y a le premier Noël sans lui. Le premier anniversaire de la mort. Puis le premier anniversaire tout court. Le couvert qu'il faut mettre, en se rappelant qu'on n'est plus cinq mais quatre », détaille la psychologue de «Phare». Puis on se rend compte que cela fait presque deux ans qu'il est parti. Puis trois. Quatre. Cinq.

Dépasser la culpabilité

« Le suicide d'un enfant, c'est la culpabilité à tout jamais », estime Cécile, qui, depuis, se dit « prisonnière » de ce jour maudit. Il y a ces questionnements, encore et encore : « Qu'est-ce que je n'ai pas fait que j'aurais pu faire ? Qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Qui est responsable de ce gâchis ? Pourquoi ne m'a-t-elle rien dit ? ». Pour Géraldine Chanal, toutes ces interrogations sont liées au « sentiment d'avoir échoué dans son rôle de protection de l'enfant » .

Alors, le parent endeuillé se construit un récit, une lecture des événements, pour mieux appréhender cette nouvelle réalité. Marie avait 55 ans lorsque son fils Adrien s'est suicidé. Lui en avait 25. C'était le 24 juillet 2018. D'une voix calme et posée, elle nous raconte qu'Adrien avait été diagnostiqué « haut potentiel intellectuel ». Passionné par l'aéronautique, il avait intégré la prestigieuse école d'ingénieurs Supaéro, à Toulouse. Le jeune homme jouait du violon, chantait dans un chœur, pilotait des avions et se passionnait pour l'impression 3D. « Il menait 36 projets à la fois. Il avait une vie à 200 à l'heure », se rappelle sa mère.

Marie a vu Adrien pour la dernière fois le 21 juillet 2018. « Nous avions organisé une grande fête chez nous, à la campagne, avec orchestre. On était très nombreux, je n'ai pas pu donner toute mon attention à Adrien » . A posteriori, la mère du jeune homme regrette de ne pas l'avoir questionné ce jour-là. « Le fait de demander ouvertement à la personne si elle a des idées suicidaires ne risque pas d'accentuer ces pensées, au contraire », assume-t-elle. Pour faire face à cette culpabilité qui, inévitablement, la ronge, Marie entreprend alors de décortiquer les mécanismes internes qui la taraudent. Elle décide aussi de retrouver tous ceux qui ont marqué la vie de son fils et d'écrire un livre, pour comprendre. Elle finit par arriver à cette conclusion : le suicide est « un mal qui ne mène nulle part » et, une fois qu'on en prend conscience, on peut retrouver une forme d'apaisement.

Pour dépasser cette culpabilité, d'autres s'emploient à s'occuper l'esprit. À l’instar de Cécile qui, le lendemain de l'enterrement de Capucine, est retournée au bureau. « Je n'avais qu'une envie, c'était de m'enfermer dans la chambre de ma fille. Mais si je l'avais fait, je n'en serais pas ressortie », confie-t-elle.

D'autres préfèrent changer de métier, d'environnement. Comme Béatrice, qui a perdu deux fils. Le premier, Benoît, en 2011. Atteint de schizophrénie et âgé de 22 ans. « Il avait déjà fait trois tentatives, c'était sa quatrième », se rappelle sa mère, alors maîtresse d'école. Quatre ans plus tard, son second fils, Amaury, 20 ans, met aussi fin à ses jours. « Cette fois-ci ça a été un choc. On ne s'y attendait pas ». La famille a décidé de changer de vie : Béatrice a ouvert un salon de massages et son mari a arrêté son activité de mécanicien pour passer plus de temps avec ses deux autres fils. Depuis, tous deux guettent « les signes » que, parfois, depuis « l'autre Monde », semblent leur envoyer Benoît et Amaury.

Les groupes de parole, une lueur d'espoir

La première année, les parents endeuillés sont très entourés. Mais, à mesure que le temps passe, les proches s'effacent. « On n'ose plus nous voir, nous parler, nous inviter. On est ostracisés », s'indigne Cécile. « Le sujet met souvent mal à l'aise l'entourage qui ne sait pas comment prendre en charge cette souffrance. Une gêne réciproque s'installe », explique la psychologue de «Phare». Car comment parler des mauvaises notes du petit dernier et de l'aîné qui vient d'être pris dans une grande école face à un parent qui a perdu son propre enfant ? Tous les petits tracas du quotidien semblent dérisoires, futiles.

Du côté des parents victimes s'installe cette « impression de devoir constamment faire comme si cela n'était jamais arrivé », de devoir « faire illusion ». Des réflexions maladroites des proches appelant à « dépasser » l'indépassable blessent, inévitablement : « ça fait trois ans et tu en es encore là ? Il faut que tu essayes de faire ton deuil, de passer à autre chose », s'entendent dire certains parents.

Nombreux sont ceux qui ont donc trouvé du réconfort en dehors du cercle familial, sur la page Facebook de l'association «Phare», où la souffrance des uns trouve un écho dans la souffrance des autres. L'association a également créé des groupes de parole, où les parents peuvent se livrer sans filtre et trouver une forme de consolation. Lors de ces sessions, on peut enfin laisser tomber le masque et parler du disparu, faire revivre le souvenir de l'absent. Se confier sur toutes ces choses qu'on ressasse sans crainte d'être jugé. Les plus anciens discutent spontanément avec les « nouveaux », qui voient en eux la preuve qu'on peut continuer à vivre, malgré tout. Inversement, ceux qui sont plus « avancés » dans leur deuil se rendent compte de tout le chemin qu'ils ont parcouru depuis.

De son côté, Marie admet avoir trouvé de l'aide dans sa vie spirituelle. « Je sens qu'Adrien veille sur moi. Avoir la foi, c'est avoir la certitude que notre enfant est maintenant en paix et que je le retrouverai un jour ». Elle se rend aussi régulièrement à la campagne, où, en reprenant contact avec la nature, elle « perçoit mieux que la vie ne s'arrête jamais ». « Quand il avait trois ans, Adrien m'avait dit “Maman, après l'hiver vient toujours le printemps”. Je m'accroche à cette idée ».

Cécile vit « au jour le jour, pas après pas ». « C'est un marathon émotionnel quotidien. Mais je ne suis pas superwoman, les antidépresseurs m'aident à avoir des journées quasi normales, à appréhender tout cela. Je me fais suivre par des bons psys, je fais du bénévolat. Je me donne du temps », confie-t-elle. Et pour ce qui est du silence des autres, Marie conseille de le briser: « Le plus beau cadeau qu'on peut faire à un parent endeuillé, c'est de prononcer le prénom de l'enfant disparu ».

Numéro National de prévention du suicide : 31 14

Ligne d'écoute de l'association «Phare», pour les parents confrontés au mal-être de leur enfant et proches qui ont perdu un jeune par suicide : 01 43 46 00 62

*Ces prénoms ont été modifiés 

https://www.lefigaro.fr/faits-divers/tous-les-matins-je-m-accroche-a-la-vie-ces-meres-qui-tentent-de-se-reconstruire-apres-le-suicide-de-leur-enfant-20230120