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vendredi 24 juin 2022

Réseaux sociaux : la santé mentale des adolescents est-elle en danger ?

CSP 2022 Réseaux sociaux : la santé mentale des adolescents est-elle en danger ?

Hélène Joubert  22 juin 2022 francais.medscape.com*


Margot Morgiève

Lille, France – Gare aux raccourcis entre santé mentale et fréquentation des réseaux sociaux, a expliqué Margot Morgiève, chercheuse en sociologie Inserm-Cermes 3, lors de la séance inaugurale du congrès des Sociétés françaises de pédiatrie (SFP, 1-3 juin 2022, Lille) en s’appuyant sur une littérature scientifique de plus en plus prolifique [1].

En 2021, 4,2 milliards d’êtres humains naviguaient sur les réseaux sociaux [2], soit plus de la moitié de la population mondiale. 80,3 % des Français disposaient alors d’un compte sur les réseaux sociaux.

La « dépression Facebook » est-elle un mythe ?

Entre ceux qui accablent les réseaux sociaux dans la survenue des maux de nos adolescents et ceux qui y voient au contraire une planche de salut, que sait-on de leur impact sur la santé mentale des jeunes ?

Alors qu’une association significative a été retrouvée dans plusieurs études entre l’utilisation importante des réseaux sociaux et l’anxiété, les symptômes dépressifs [3] et le stress [4], en sus il a été constaté une moindre satisfaction à l’égard de la vie [5], ainsi qu’un bien-être général et une estime de soi [6] réduits.

« Du fait d’une plus grande occurrence entre troubles de l’humeur/dépression et utilisation des réseaux sociaux, des chercheurs ont voulu créer un trouble baptisé « Dépression Facebook [7]», commente Margot Morgiève, psychologue clinicienne et coordinatrice du pôle tchat et réseau sociaux pour le numéro national de prévention du suicide 3114.

Du fait d’une plus grande occurrence entre troubles de l’humeur/dépression et utilisation des réseaux sociaux, des chercheurs ont voulu créer un trouble baptisé « Dépression Facebook. Margot Morgiève

Mais ils se sont rapidement rendu compte qu’il serait erroné de le reconnaître en tant que trouble caractérisé car il semblerait que les effets néfastes des réseaux sociaux sur la santé mentale ne soient pas liés aux réseaux sociaux eux-mêmes mais davantage à l’utilisation problématique que l’on en fait [8] ».

La vie rêvée des ados

Il existe trois grandes familles d’utilisation problématique des réseaux sociaux (RS) dont la première est la comparaison sociale, c’est-à-dire la tendance spontanée des êtres sociaux à se comparer aux individus présentant des niveaux d’attractivité plus élevés.

Cette attitude n’est pas nouvelle, mais elle est ici exacerbée : les utilisateurs mettent en évidence les aspects positifs de leur vie, se présentent comme équilibrés, populaires et satisfaits.

Or, cela entraîne de fortes contraintes normatives, à l’origine d’une auto-évaluation négative dégradant l’estime de soi, et favorisant l’émergence de symptômes dépressifs. « Ça n’est donc pas le réseau social qui crée la dépression, mais le phénomène de comparaison qu’il porte à son paroxysme », résume la chercheuse.

Ça n’est donc pas le réseau social qui crée la dépression, mais le phénomène de comparaison qu’il porte à son paroxysme. Margot Morgiève

La seconde problématique liée aux RS est leur propension à favoriser le comportement de type addictif [9] par l’observation qui peut engendrer des comportements compulsifs et incontrôlés [10], illustré par le « FOMO » ou fear of missing out (la peur de manquer quelque chose/ anxiété de ratage).

D’où l’idée, là aussi rapidement abandonnée, de définir une entité spécifique dénommée « addiction aux réseaux sociaux ». Ce sont les fonctionnalités mêmes des réseaux sociaux qui vont entraîner cette peur et donc cette tendance, à l’exemple des news feed (mise à jour en permanence d’une liste personnalisée d’actualité).

L’utilisation « substitutive » est la troisième grande famille d’utilisation problématique des réseaux sociaux, lorsque le temps passé dans l’environnement « online » remplace celui passé « offline ». Les utilisateurs excessifs rapportent un sentiment de solitude, et une conscience du manque de liens intimes.

Le langage numérique de la détresse

Les premiers travaux utilisant l’intelligence artificielle et le machine learning tendent à montrer qu’il existe bien un langage numérique de la détresse. Des auteurs ont repéré que des thèmes liés à la haine de soi, à la solitude, au suicide, à la mort, à l’automutilation étaient corrélés à des utilisateurs présentant des niveaux de dépression plus élevés [11].

La structure même du langage (plus de mots, plus de « je », plus de références à la mort et moins de verbes) était corrélée à des utilisateurs en détresse [12].

Quant au vaguebooking (rédaction d’une phrase dont on ne sait s’il faut s’inquiéter ou pas, par exemple « de meilleurs jours vont arriver ») typique des réseaux sociaux, ils sont, selon des auteurs, un facteur prédictif important des idées suicidaires [13]. Le langage visuel de la détresse existerait aussi, l’utilisation de teintes plus sombres, à l’instar du filtre noir et blanc sans accentuations inkwell, d’Instagram.

A quels risques et dangers expose la Toile ?

Les risques et dangers des environnements numériques sont nombreux. Les pactes suicidaires et les suicides en ligne (à l’instar du suicide d’une jeune fille sur Periscope en 2016) restent rares mais sont viraux. Les challenges également. En 2015, le Blue Whale Challenge comprenait une liste de 50 défis allant du plus anodin au plus dramatique, le 50 ème étant « Pends toi ».

Sa grande médiatisation aurait pu participer à sa viralité si les RS n’avaient pas réagi de manière positive et rapide.

Pour sa part, le trolling consiste en la publication d’un contenu provocateur, dont l’intention est soit de déclencher un conflit, soit de causer de la détresse.

Quant au cyberharcèlement – le risque en ligne le plus courant auquel sont confrontés les adolescents – il s’agit de la communication d’informations fausses, embrassantes et/ou hostiles, de façon répétée.

Un danger qui se répand est le sexting (envoi, réception et/ou transmission de photographies, de messages, d’images sexuellement explicites), avec des conséquences potentielles assez graves comme le « revenge porn » (cyber viol), défini par la diffusion de contenus illicites sans consentement et dont la pratique a été corrélée à la dépression, et à l’engagement dans des comportements à risque.

Le risque d’exposition suicidaire n’est pas non plus à négliger, avec l’hypothèse que certains contenus en ligne relatifs au suicide produiraient un effet suggestif quant à l’idée et/ou à la méthode et précipiteraient des tentatives de suicide [14].

« Les personnes qui publient des propos suicidaires se retrouvent au sein de communautés étroitement connectées par des liens d’affiliation (abonnements, amitiés) et des activités (retweets, likes, commentaires), explique Margot Morgiève.

Or, dans ces communautés, l’information chargée émotionnellement, qui circule de manière rapide et redondante, pourrait favoriser la co-rumination, d’où le concept de « suicidocosme » développé par le psychiatre Charles-Edouard Notredame (service de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHU de Lille) en 2017, pouvant engendrer et augmenter la contagion suicidaire sur le modèle de l’effet Werther.

L’information chargée émotionnellement, qui circule de manière rapide et redondante, pourrait favoriser la co-rumination, d’où le concept de « suicidocosme. Margot Morgiève

Un exemple parmi d’autre, le suicide de Marilyn Monroe a augmenté de 40 % le taux de suicides à Los Angeles aux Etats-Unis. Cet effet Werther est d’autant plus important que deux biais sont présents : le biais de prestige (identification à la personne que l’on admire) et le biais de similarité (je m’identifie à celui qui me ressemble).

Le biais de similarité est le plus déterminant à l’adolescence. A noter, le pendant positif de l’effet Werther est l’effet Papageno. Un exemple de l’effet Papageno sont les interventions sur les plateaux TV début 2022 du chanteur Stromae parlant de ses idées suicidaires, qui ont permis à des jeunes de se reconnaître dans leur souffrance et d’aller chercher de l’aide ».

A l’inverse, peut-on trouver du soutien sur les réseaux sociaux ?

Les RS peuvent augmenter la « connectedness », c’est-à-dire le sentiment, objectif mais surtout subjectif, d’être relié à quelque chose de significatif en dehors de soi. La connectedness favorise le bien-être psychologique, et la qualité de vie [15].

Or, les caractéristiques même des RS peuvent exacerber les composantes de la connectedness, d’une part sur la dimension objective, en accroissant la sphère sociale des utilisateurs et, d’autre part, sur la dimension subjective en renforçant le sentiment d’appartenance sociale et le bien-être subjectif.

Si l’on prend l’exemple de Facebook et sa fonction « anniversaire », il a été démontré que plus le nombre d’amis Facebook était élevé, plus les individus se percevaient comme connectés à une communauté. 

« Les milléniaux (personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990) sont donc plus susceptibles de se saisir de l’environnement social numérique pour construire un nouveau rapport à la souffrance psychique et à ses tentatives d’apaisement, indique Margot Morgiève.

Ils ont également plus tendance à se tourner naturellement vers l’environnement numérique pour s’engager dans leur recherche d’aide [16]. Enfin, ils sont de plus en plus nombreux à rechercher des informations relatives à la santé mentale sur le web et à partager des expériences afin d’obtenir un soutien [17] ». 

En guise d’exemple, le « It Gets Better Project » qui illustre bien la structuration de communautés en ligne de pairs, avec les récits de personnes LGBTQ+ qui décrivent comment elles sont parvenues à faire face à l’adversité au cours de leur adolescence. Ainsi, les médias sociaux aideraient à identifier des pairs, des ressources positives habituellement indisponibles dans l’environnement physiquement proche. Ces communautés en ligne de soutien par les pairs pourraient de ce fait faciliter les interactions sociales, conforter le sentiment d’espoir et le sentiment d’appartenance groupale grâce aux modèles normatifs présents sur les réseaux sociaux extrêmement forts auxquels il est facile de se conformer ».

Les médias sociaux aideraient à identifier des pairs, des ressources positives habituellement indisponibles dans l’environnement physiquement proche. Margot Morgiève

Les réseaux sociaux peuvent favoriser l’accès aux soins

Pour Margot Morgiève, « l’accès aux soins, particulièrement dans le domaine de la santé mentale des adolescents est très critique avec un défaut de prise en charge au moment même où ils en auraient le plus besoin (quantifié par le nombre de tentatives de suicides).

Deux types de barrières de recherche d’aide peuvent l’expliquer, notamment des barrières structurelles (trop coûteux, éloigné et trop d’attente) et les barrières personnelles dont le phénomène de négation du besoin d’aide (biais d’autosuffisance, sentiment de ne pouvoir être aidé, refuser d’inquiéter ses proches, craindre la stigmatisation, ressentir un sentiment de honte) ».

Ce type de barrières est d’autant plus difficile à franchir que les croyances relatives aux soins et aux soignants sont limitantes (doutes sur la confidentialité, la fiabilité, la compétence des soignants) ce qui est particulièrement observé chez les adolescents, du fait de velléités d’émancipation et de développement identitaire. La relation d’aide peut alors être vécue comme une subordination ou une aliénation.

Point positif, ce sont les propriétés même des réseaux sociaux qui vont permettre de surmonter ces obstacles à la recherche d’aide : l’omnidisponibilité spatiale permet de pallier le manque de mobilité des jeunes et les disparités territoriales, et garantit la discrétion et une liberté d’utilisation tout en amoindrissant les inhibitions.

La gratuité des RS permet de dépasser les obstacles structurels (coûts financiers et organisationnels), ainsi que personnels en facilitant l’engagement et en allégeant le coût motivationnel. Quant au pseudonymat ou à l’anonymat dissociatif, il réduit le sentiment de vulnérabilité associé au dévoilement de soi, et les craintes de rupture de confidentialité.

« Si la vie « offline » est silencieuse (les jeunes ne parlent pas de leurs idées suicidaires), la vie « online » permet véritablement une levée d’inhibition (prise de parole, relations, partage du vécu), résume la sociologue. La Toile offre donc de nouvelles possibilités aux adolescents pour s’exprimer, ce qu’ils ne font pas dans la vie réelle ».

La Toile offre donc de nouvelles possibilités aux adolescents pour s’exprimer, ce qu’ils ne font pas dans la vie réelle. Margot Morgiève

Les professionnels n’ont pas le choix : ils doivent investir le monde numérique 

On dénombre un suicide toutes les heures (8885 morts par an) et une tentative toutes les 4 minutes en France. Depuis les années 1950, les dispositifs de prévention et d’aide à distance en santé (PADS) financés par l’État sont apparus, qui ont pour valeurs et principes l’anonymat, la non-directivité et le non-jugement, et la neutralité (S.O.S Amitié, Suicide écoute, SOS Suicide Phénix…). A ces propositions associatives s’ajoute depuis quelques mois un dispositif professionnel de prévention à distance lancé par ministère de la Santé et de la Prévention : le 3114, numéro de prévention du suicide (écoute professionnelle et confidentielle 24h/24 et 7j/7) a vu le jour en octobre 2021.

Ses valeurs et principes sont la confidentialité, la proactivité, l’inquiétude et le souci de l’autre. A ce jour, 13 centres sont ouverts sur 17. Avec un recul de 6 mois, ils ont reçu 50 000 appels, avec une moyenne de 400 à 500 appels par jour. Sur l’application dédiée, le tchat a été co-conçu avec des utilisateurs (suicidants). Les réseaux sociaux jouent le jeu : par exemple, le 3114 apparaît lorsqu’un utilisateur de TikTok tape le mot « suicide ».

Margot Morgiève déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec le sujet présenté.

 

Références

  https://francais.medscape.com/voirarticle/3608682