Sécurité
Prévention contre le suicide en Eure-et-Loir : des sentinelles pour détecter les policiers et les gendarmes en détresse
Publié le 30/06/2022 lechorepublicain.fr
La police et la gendarmerie d’Eure-et-Loir ont mis en place des dispositifs permettant de détecter une fragilité de ses personnels, susceptibles d’aller jusqu’au suicide (déjà 48 suicides en France en 2022 autant que l'année 2021). Ces sentinelles, ou concertants, ont joué un rôle à plusieurs reprises, ont pu éviter un passage à l’acte et ont abouti à des aides multiples pour soutenir la personne en détresse, d’ordre privé ou professionnel.
Tabou. Suicide a longtemps été un mot sur lequel personne ne voulait s’exprimer, notamment dans la police et la gendarmerie. La situation a évolué. L’Eure-et-Loir a été l’un des départements précurseurs dans la mise en place du dispositif expérimental police baptisé Sentinelle. Le contrôleur général Mathieu Bernier, patron des 413 policiers euréliens, décrypte le concept : « Nos quatre sentinelles, deux au commissariat de Chartres et deux au commissariat de Dreux, sont des volontaires ayant une appétence pour l’humain. »
Ils ont été choisis pour leur personnalité et leur poste stratégique leur permettant de croiser leurs collègues : « Il fallait trouver une solution innovante. Sentinelle l’illustre parfaitement. »
Détecter les signaux faibles et forts
Ces lanceurs d’alertes ne sont pas des officiers afin d’éviter d’être juge et partie. Ils ne doivent pas être perçus comme des “balances ou des espions”. Le contrôleur général Bernier développe : « Il y a un dosage à trouver. Ces “oreilles” sont en charge de détecter des signaux faibles ou forts de leurs camarades en détresse, d’ordre privé ou professionnel. Nous pouvons ainsi anticiper et réagir avant que la situation ne se dégrade. » Et qu’elle se termine par un suicide ou une tentative de suicide.
La police d’Eure-et-Loir compte au moins cinq suicides depuis une quinzaine d’années et plusieurs tentatives de suicide. Le concept Sentinelle prend donc tout son sens dans le département eurélien.
Le métier ne permet jamais au policier de surmonter le problème.
Les informations collectées sur le policier (ou l’administratif) consistent à l’orienter vers des interlocuteurs spécialisés, selon le degré de l’inquiétude, vers l’assistante sociale, le service de soutien psychologique opérationnel… « Le désarmement temporaire est parfois nécessaire. C’est ressenti comme une sanction mais c’est une mesure de protection pour lui-même », atteste le contrôleur général qui prend cette décision environ cinq fois par an. Le réarmement fait parfois débat : « Je me suis déjà opposé à l’avis positif du médecin car j’estimais que le policier n’était pas opérationnel. C’est ma responsabilité. »
Le patron des fonctionnaires drouais et chartrains fait également face à une liste de policiers en longue maladie depuis des années : « Plus importante ici que dans mes postes précédents. » Sur la nature des problèmes, il confie :
« C’est toujours un mélange privé et professionnel. L’élément déclencheur est l’un ou l’autre. Le métier ne permet jamais au policier de surmonter son problème. »
Un souci sentimental, familial ou professionnel (non-mutation, conditions de travail, pression hiérarchique) figure dans la longue liste des diagnostics de fêlure.
L'après suicide
Le patron des policiers a vécu deux suicides dans sa carrière, à domicile et sur le lieu de travail : « Le point central, c’est la famille. Il faut aussi gérer le traumatisme des collègues qui culpabilisent. Une chape de plomb pèse sur le service qui est déstabilisé. Il y a enfin l’enquête sur la recherche des causes de la mort. Et pour le commandement, la recherche des causes du suicide. » Tout nouveau policier est obligé de suivre une formation de mobilisation contre le suicide.
Le colonel Stéphane Tourtin, qui dirige les 570 gendarmes d’Eure-et-Loir, est aussi actif sur ce thème : « Vivre en caserne est un atout pour la détection tôt des signaux. » Une multitude de capteurs ont été mis en place avec des référents dans les quatre compagnies du département mais aussi au sein du groupement : « Il s’agit de “concertants” élus ayant des suppléants. »
Le premier niveau d’alerte est la compagnie. Mais il est possible de s’adresser directement au concertant au niveau groupement pour signaler une difficulté d’un militaire. Le gendarme peut être reçu par le psychologue clinicien présent tous les mardis : « Je n’ai pas connaissance des rendez-vous. Il y a le secret médical. Mais si le risque du passage à l’acte est élevé, nous sommes informés. »
Un point annuel est effectué entre le psychologue et le colonel. La gendarmerie dispose d’un numéro vert, d’un soutien médical militaire, d’une assistante sociale… Dès son arrivée, le colonel a mis en place une réunion trimestrielle avec les concertants afin de suivre avec attention chaque situation sensible de ses militaires. L’assistante sociale et le psychologue clinicien se déplacent régulièrement dans les brigades pour se faire connaître, échanger, et créer un climat de confiance.
« Cela peut éviter un drame »
Le colonel dispose d’un éventail d’options : « Si le militaire rate un maillon de la chaîne, il peut en saisir un autre. La sonnette d’alarme ne doit pas sonner dans le vide. L’essentiel, c’est l’écoute pour qu’il ne soit pas seul. Nous avons des leviers sociaux et médicaux. »
Le colonel Tourtin a été confronté une fois à un suicide : « Dans une brigade, après une rupture amoureuse. Quelle que soit la cause, on ressent un sentiment de culpabilité collectif car nous vivons tous ensemble. »
Un gendarme référent égalité diversité a aussi été créé afin d’être à l’écoute des personnels victimes de comportement de discrimination au sens large du terme. Un militaire peut être sensible à ces situations et basculer dans le drame.
Le colonel Tourtin finalise actuellement une note de service sur les risques sociaux.
Avant sa diffusion, elle sera présentée à l’assistante sociale et au psychologue clinicien afin de savoir si ce courrier résume bien le contexte et si des éléments pertinents doivent être ajoutés : « Nous sommes acteurs de la prévention du suicide. Ne pas révéler le problème d’un camarade, ce n’est pas lui rendre service. Cela peut éviter un drame. »
Les dispositifs d’aide : le 3114, le 0805.230.405, SOS policiers en détresse (association@peps-sos.fr), Assopol au 09.81.15.55.01, Alerte police en souffrance.
Thierry Delaunay
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