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mardi 10 mai 2022

Le moral des jeunes inquiète de plus en plus

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Suicide/dépression : le moral des jeunes inquiète de plus en plus

Stéphanie Lavaud

10 mai 2022

France – Les indicateurs psychiatriques le disent et les professionnels de santé le confirment : sur le plan de la santé mentale, les jeunes vont mal. Depuis début 2021, on observe une augmentation des passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l'humeur chez les enfants de 11-17 ans (niveaux collège, lycée) et dans une moindre mesure chez les 18-24 ans, selon Santé Publique France [1]. Inattendu et inquiétant, les plus jeunes sont aussi concernés par cette baisse de moral. Santé Publique France lance donc l‘enquête Enabee pour évaluer la santé mentale des 3-11 ans. Quant aux jeunes adultes (18-30 ans), une enquête du Credoc montre que le pessimisme gagne du terrain : ils ont du mal à se projeter dans l’avenir et témoignent d’un isolement et d‘un manque de sociabilité (voir encadré) [2].

Hausse des idées suicidaires et tentatives de suicide chez les ados

« Quand dans une seule journée aux urgences, vous voyez passer jusqu’à dix adolescents qui veulent se suicider, vous vous dites qu’il y a un problème. Jamais on n’avait vu ça avant. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : moins d’un quart des tentatives de suicide arrivent aux urgences », affirme le Pr Ludovic Gicquel, chef du pôle universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au centre hospitalier Laborit à Poitiers auquel La Croix vient de consacrer un reportage. Dans « une unité pluridisciplinaire [qui] accueille en urgence des jeunes de 12 à 18 ans après une tentative de suicide, la petite équipe a de plus en plus de mal à répondre aux besoins », décrit la journaliste.

Quand dans une seule journée aux urgences, vous voyez passer jusqu’à dix adolescents qui veulent se suicider, vous vous dites qu’il y a un problème  Pr Ludovic Gicquel

Elle souligne que dans le département de la Vienne, « cinq mineurs se sont suicidés entre le 1er janvier et le 15 février 2022, contre deux pour toute l’année 2021 ». Des chiffres inquiétants, qui font écho à ceux publiés depuis le début de l’année par Santé publique France (SPF). L’indicateur regroupant les données de passages aux urgences du réseau OSCOUR® et les actes médicaux SOS Médecins est clair : la santé mentale des jeunes reste très préoccupante. « Les passages aux urgences pour troubles de l’humeur, gestes et idées suicidaires montrent depuis le début de l’année 2022 des niveaux élevés, comparables à ceux observés début 2021 voire supérieurs chez les 15-17 ans », peut-on lire dans le Point épidémiologique mensuel dédié à la Santé mentale de SPF.

Effet Covid

A en croire les professionnels de l’Education nationale, des pédiatres et pédopsychiatres, la crise Covid-19 a véritablement donné un coup d’accélérateur à ce mal-être. « Les données recueillies sur l’année 2021 et début 2022 témoignent d’une augmentation des problématiques de santé mentale chez les adolescents en comparaison aux années précédentes. L’adolescence est une période de la vie sujette à de nombreux changements susceptibles d’impacter la santé mentale et la crise sanitaire liée à la Covid-19 a semble-t-il fragilisé une partie des adolescents », constate Enguerrand du Roscoät, responsable de l’Unité Santé mentale à SPF [1].

Il y a indéniablement un avant et un après crise sanitaire quant à la santé mentale des jeunes. Depuis 2019, les chiffres ont littéralement explosé avec plus de 126 % de passages aux urgences pour des idées suicidaires chez les 11-17 ans, et une augmentation de 30% des tentatives de suicide, précisait le Dr Charles-Edouard Notredame (MCU-PH dans le service de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent du CHU de Lille) dans une présentation au congrès de l’Encéphale. Un constat corroboré par le Dr Vincent Trebossen, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent à l’hôpital Robert Debré (Paris), qui, lors de cette session, disait avoir vu une nette augmentation des passages aux urgences de son hôpital à partir de septembre 2020, surtout chez les moins de 15 ans, par rapport aux années précédentes. 

L’étude Enabee pour évaluer la santé mentale des 3 à 11 ans

Car, autre fait inquiétant, cette tendance dépressive, voire suicidaire, peut atteindre les très jeunes. Ainsi, commentant l’étude qu’il menée à Robert Debré (et évoquée ci-dessus), le Pr Richard Delorme (pédopsychiatre, Hôpital Robert Debré, Paris) faisait le constat sur Medscape que « l 'épidémie avait eu un impact négatif en particulier chez les 8-13 ans », tandis que, dans son reportage au CHU de Poitiers, la journaliste de La Croix évoque ces jeunes, qui, « au collège ou au lycée, parfois même encore à l’école primaire […] ne trouvent plus de sens à leur existence ». Cette baisse de moral inhabituelle chez des enfants aussi jeunes a conduit SPF à lancer le mois dernier l’étude Enabee , la première à se pencher de très près sur la santé mentale de enfants de 3 à 11 ans.

« La crise sanitaire a impacté la santé mentale des plus jeunes et a montré la nécessité d’actions pour la prise en charge et la prévention s’appuyant sur des données robustes. Pour cela, il est primordial de disposer d’indicateurs. D’abord pour comprendre leurs éventuelles difficultés et pouvoir les prévenir le plus tôt possible. Ensuite pour mettre en place des actions afin d’encourager des comportements favorables à la santé avant l’entrée dans l’adolescence puis dans la vie adulte », justifie Geneviève Chêne , directrice générale de Santé publique France.

L’étude nationale Enabee, se déroulera de mai à juin 2022 et a pour objectif d’interroger environ 30 000 enfants scolarisés de la petite section de maternelle (PSM) au CM2 tirés au sort aléatoirement au sein de 600 écoles publiques et privées sous contrat en France métropolitaine. Au cours de celle-ci, à la fois, les enfants, leurs parents et leurs enseignants seront interrogés, à l’aide de questionnaires spécifiques.

Anonymes, les résultats devraient être présentés d’ici la fin de l’année 2022. En complément des indicateurs existants, ils « fourniront une vue d’ensemble sur l’état de santé des enfants en France ».

18-30 ans : un état d’esprit positif chez seulement 46% d’entre eux

Tout n’est pas rose non plus pour les jeunes adultes, comme en témoigne la 6ème édition du baromètre sur la jeunesse du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) [3]. Réalisée en ligne, du 8 mars 2021 au 8 avril 2021, auprès d’un échantillon représentatif de 4 644 jeunes âgés de 18 à 30 ans résidant en France (y compris en outre-mer), l’enquête montre que la crise sanitaire a pesé sur le moral des jeunes. En 2020, avant la crise sanitaire, 53% des jeunes déclaraient un état d’esprit positif. Ils ne sont plus que 46% en 2021 et presque autant (45%) à déclarer un état d'esprit négatif, celui-ci progressant particulièrement chez les femmes (56%, contre 33% chez les hommes). La crise Covid-19 est mise en cause : au total, 42% des 18-30 ans estiment que les difficultés qu’ils ont pu rencontrer en 2021 y sont liées. Les jeunes mettent en avant les difficultés d’ordre psychologique, devant les difficultés socio-économiques (perte d'argent ou de logement). La crise sanitaire et les mesures de distanciation ont mis à mal les mécanismes de sociabilité des jeunes : 63 % des 18-30 ans déclarent souffrir d’un manque de contact avec leurs amis et connaissances, et un jeune sur deux (50 %) indique que les membres de sa famille lui manquent. Un sentiment fréquent de solitude est relaté par 41 % des jeunes en 2021. Enfin, ces derniers ont plus de mal qu’avant avec leur vie présente. Six jeunes sur dix (59 %) considèrent en 2021 que leur vie actuelle correspond à leurs attentes. Cette proportion est en recul de 6 points par rapport à 2020 et à son plus bas niveau depuis l’introduction de la mesure il y a six ans. Et se projeter dans l’avenir est aussi plus compliqué : en 2021, 60% des jeunes de 18-30 ans se montrent confiants face à l’avenir, soit 7 points de moins qu’en 2020.

 

  1. Santé mentale des adolescents : Santé publique France rediffuse et renforce sa campagne #JenParleA, SPF, 2022.

  2. Berhuet S., Brice Mansencal L., Hoibian S., et al. (CREDOC), 2021, Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2021, INJEP Notes & rapports/rapport d’étude. Janvier 2022.

  3. Santé mentale des jeunes : une surveillance renforcée pour suivre et mesurer son évolution, SPF, 2022.

 

https://francais.medscape.com/voirarticle/3608512?reg=1#vp_1 


Sur le même sujet  : 

 
Santé mentale. Point mensuel, avril 2022.
Publié le 7 avril 2022
Mis à jour le 7 avril 2022

Points clés
  • Aux urgences :

Chez les 11-17 ans et les 18-24 ans, les passages pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur se maintiennent à des niveaux élevés, comparables (pour les 11-14 ans) voire supérieurs (pour les 15-17 ans et les 18-24 ans) à ceux observés début 2021. Les passages pour idées suicidaires restent également à un niveau élevé, observé depuis début 2022, chez les adultes de 25-64 ans et dans une moindre mesure 65 ans et plus. Dans des effectifs faibles on retient également une hausse des passages pour troubles alimentaires chez les 15-17 ans.

  • Dans le réseau SOS Médecins :

L’ensemble des indicateurs reste dans des niveaux comparables à ceux des années précédentes.

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