Face aux suicides dans la police, le protocole "6C" comme solution
Cette méthode venue d'Israël a pour objectif d'empêcher le traumatisme de s'installer après un drame ou un accident par exemple.
Par Paul Guyonnet , ACTUALITÉS 18/02/2022 huffingtonpost.fr
Pour lutter contre le syndrome de stress post-traumatique, largement responsable des suicides dans la police, certaines associations plaident pour l'enseignement du protocole "6C", une méthode venue d'Israël (photo d'illustration prise à Lille en juin 2016).
POLICE - C’est une méthode qui a fait ses preuves à l’étranger, et que les associatifs veulent voir adoptée en France. Alors que ce début d’année est marqué par une vague inquiétante de suicides dans les rangs de la police nationale, le protocole “6C” est vu par certains connaisseurs du problème comme une solution qui mérite d’être essayée.
Parmi eux l’association Pep’s (pour Police entraide prévention et lutte contre le suicide), dont le HuffPost vous a raconté les débuts en 2019, et qui a rencontré la direction de la police nationale courant janvier. Les policiers qui constituent la direction de ce groupe de soutien à destination de leurs collègues désemparés se sont formés à cette méthode venue d’Israël.
“Chez nous, la première cause d’appel de policiers, c’est soit parce qu’une intervention les a traumatisés, soit du fait de l’usure du métier et de l’accumulation des traumas, explique Christophe Girard, vice-président et porte-parole de Pep’s. Or le protocole 6C permet de diminuer de moitié le stress post-traumatique dans ses formes graves, et il est encore plus efficace contre les formes légères.”
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Mais comment fonctionne cette méthode, mise au point par le maître de conférences à l’Université de Tel-Hai Moshe Farchi, et aujourd’hui approuvée et utilisée par l’armée et le Samu israéliens, l’US Army ou les militaires allemands?
Ne pas céder au traumatisme
L’idée générale est d’activer, après un drame ou un événement choquant, par un processus neuroscientifique les réactions naturelles du corps les plus utiles pour ne pas céder au traumatisme et ne pas se laisser déborder par ses émotions. Voilà pour la théorie.
Après une agression, un viol, un accident de la route ou une autre tragédie du même acabit, la réaction naturelle peut-être l’hystérie, la sidération ou d’autres comportements contre-productifs qui laissent la détresse et l’incapacité à agir prendre le dessus sur l’être humain, expliquait récemment au micro de Sud Radio Emmanuelle Halioua, la seule formatrice agréée en France.
Dès lors, l’enjeu du protocole 6C est de former les professionnels intervenant dans ces situations (pompiers, urgentistes, policiers...) à casser ce schéma de réaction chez les victimes et les témoins. Et chez leurs propres coéquipiers. Toujours avec cette idée de les faire passer de l’état de sidération à celui d’individu actif capable d’aider et de gagner la lutte interne contre le trauma.
Moins d’empathie, plus de “recrutement”
C’est à ce moment-là qu’interviennent les fameux six “C”. Six mots commençant par la lettre C donc, dont certains sont en anglais: Commitment (engagement), Cognition, Challenge (éprouver), Contrôle, Continuité et Communication. Soit les piliers de ce qui n’est pas un traitement, mais plutôt une méthode de réaction qui s’utilise à chaud et dans les 48 heures qui suivent le drame.
Et cela prend des formes parfois contre-intuitives. L’empathie n’est ainsi pas franchement au cœur du protocole. A l’inverse, il cherche à activer l’adrénaline, cette hormone sécrétée par le corps et qui permet une transmission d’information plus rapide qu’en temps normal et donc une faculté à agir décuplée lorsqu’elle est bien cadrée.
En ce sens, les personnes formées apprennent à créer rapidement un lien personnel avec la victime du traumatisme pour la sortir de sa torpeur en lui posant des questions et en la mettant en action. Sur un accident de voiture, “recruter” un rescapé en lui demandant de compter les victimes ou de distribuer des couvertures interdit à la sidération de s’installer et transforme l’individu en soutien supplémentaire.
Empêcher des troubles chroniques de s’installer
De la même manière, aider la personne à reconstruire la chronologie de ce qu’il vient de se passer pour la faire parvenir par elle-même à la conclusion que la menace est écartée participe à faire disparaître le sentiment d’impuissance ou de détresse, et à plus long terme à lutter donc contre le syndrome de stress post-traumatique si pénible à vivre.
En effet, ces troubles qui se créent, comme leur nom l’indique, à partir d’un traumatisme extrême, peuvent avoir des conséquences à très long terme. Pertes de mémoire, troubles anxieux et dépressifs, flashes-back récurrents, pensées intrusives, hypervigilance ou troubles de l’humeur font partie des symptômes les plus fréquents. Et peuvent se manifester de manière chronique pendant des années.
En théorie, le protocole pourrait être enseigné à n’importe quel individu, mais on comprend bien pourquoi les professionnels les plus exposés à des situations de danger imminent pourraient en être les premiers bénéficiaires. C’est la raison pour laquelle les associations de lutte contre le suicide dans les rangs des forces de l’ordre veulent le faire reconnaître médicalement de manière à ce qu’il devienne une pratique admise et encouragée au sein de la police et de la gendarmerie. Avec à terme la volonté d’en faire un outil qui serait utilisé après des interventions particulièrement difficiles, de manière à endiguer l’émergence possible d’un syndrome de stress post-traumatique.
Et en attendant cet éventuel agrément pour ce qui est des forces de l’ordre, il est déjà présenté en France. En Charente par exemple, les sapeurs-pompiers ont récemment été formés, comme l’a raconté France Bleu. Avec pour objectif donc d’apprendre à agir plutôt qu’à subir, et cela en mobilisant le cortex préfrontal, cette zone du cerveau qui permet à l’humain de planifier ses actions, plutôt que l’amygdale cérébrale, siège des émotions pouvant être surchargées dans le cas d’un traumatisme. En clair de quitter le registre émotionnel pour mobiliser les capacités de réflexion et d’action.
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