ENTRETIEN. Mémona Hintermann, une voix pour briser la honte sur le suicide
Publié le 03/07/2021 https://www.lanouvellerepublique.fr*
Mémona Hintermann : "Il ne faut jamais croire que ça ne va pas nous arriver."
© (Photo Hugo Doc)
Témoigner pour ne pas sombrer et aider. Face à la tentative de suicide de son mari, l'ancienne grand reporter vedette de France 3 Mémona Hintermann a décidé de briser l’omerta avec "Je n’ai pas su voir ni entendre".
Mémona Hintermann n’a peut-être pas su voir ni entendre mais elle a su trouver les mots et les porter pour transpercer le halo de honte qui entoure le suicide. Dans Je n’ai pas su voir ni entendre (Hugo Doc), la journaliste raconte, avec une sincérité poignante, l’avant, le pendant et l’après tentative de suicide. Celle de son mari Lutz Krusche, journaliste allemand rencontré lors de la chute du mur de Berlin alors qu’elle était déjà grand reporter pour France 3.
Avant la tentative, Lutz s'enfonce progressivement, dans l'alcool et dans la solitude imposée par la pandémie. Il a pris ses quartiers dans leur maison de Capbreton (Landes), alors qu’elle est restée à Paris.
"Si on regarde un tableau de trop près, on voit flou", dira-t-elle en analysant sa cécité face à l'état de la santé mentale de son mari. Jusqu’à l’électrochoc. Quelques mots en réponse à un "ça va ?" : "Non. Pas du tout. Je ne vais pas bien. Amour. Je t’aime." Puis, le silence. La boîte de pandore de l’inquiétude est ouverte. Elle le restera bien après que Lutz soit retrouvé, le lendemain, jeudi 17 septembre 2020, au volant de sa voiture, poignet ensanglanté, taux d’alcoolémie au sommet et cocktail médicamenteux dans le sang.
"C'était un coup de poignard"
Au gouffre de l’incompréhension, succèdent les questions, nombreuses, et la culpabilité, inéluctable. "J’ai beaucoup encaissé dans ma vie et j’ai cru que j’étais capable d’encaisser encore. Tout le monde me croit forte mais se trompe. Il y a des fois où j’ai dégringolé", concède Mémona Hintermann lors d’une rencontre qu’elle rend immédiatement chaleureuse, dans les locaux parisiens de sa maison d’édition. "Je ne suis pas sortie d’affaire mais je remonte la pente", enchaîne-t-elle avec un sourire franc surmonté d'un regard lumineux.
Il s'agit du cinquième livre de la journaliste. Elle en a coécrit trois avec son mari, Lutz Krusche.
© Couverture Hugo Doc
L’écriture lui a permis de ne pas sombrer. "Si je n’avais pas fait le livre, peut-être que mon couple aurait éclaté, lâche-t-elle. Pendant des mois, je n’ai pas admis qu’il m’ait fait ça. C’était un coup de poignard."
C’est son fils Julien, qui a mis sa carrière de vétérinaire entre parenthèses pour s’occuper de Lutz et d’elle, qui l’a incitée à poser ses mots. "Au départ, ce n’était pas forcément pour être publiée. C’était cathartique, thérapeutique, analyse-t-elle. Je suis redevenue journaliste et ça m’a beaucoup aidé."
Le pouvoir des mots
Elle rembobine pour revenir sur sa découverte "du pouvoir d’insurrection des mots". Elle dont le père était Indien, parlait un français approximatif, et dont la mère ne parlait que le créole. C’est à l’école, à La Réunion où elle a grandi, qu’elle a appris le français. "C’est là que j’ai compris que les mots permettent d’exister, de montrer votre dignité." Alors elle s’empresse de dire : "J’encourage les gens qui vivent ce genre d’événement à prendre un papier et à écrire, car on ne sait jamais ce qui va venir à la treizième ou à la vingtième ligne."
Si la journaliste a finalement décidé de publier son récit, c’est parce qu’elle a découvert "toute la foule cachée derrière Lutz", dont elle prononce toujours le nom avec beaucoup de tendresse. Elle poursuit et se figure : "On pourrait imaginer Lutz, que je distingue distinctement, et derrière toute une foule sans visage, qui ne parle pas, qui s’étouffe dans son silence."
Chaque année, environ 200.000 personnes tentent de se suicider. Mais l’Inserm estime qu’environ 40 % des tentatives ne sont pas répertoriées. Comme 10 % du nombre de morts par suicide, officiellement aux alentours de 9.000 décès par an. Déjà trois fois plus que le nombre de morts sur la route. Sans oublier l’entourage : sept personnes, en moyenne, sont directement atteintes par la tentative de suicide d’un proche.
"Je veux être utile"
Après des parenthèses chiffrées, elle en ouvre d’autres. Elles sont faites de détails affectueux sur les gens qu’elle aime ou de souvenirs qui s’imposent. Comme celui de cet homme qui lui a écrit, quelques jours auparavant. Jointe à sa lettre manuscrite ponctuée de remerciements à l’égard de sa destinataire, celle des adieux de son beau-fils dont le suicide remonte à quelques mois. Mémona Hintermann le promet, secouée à nouveau par les quelques bribes qu’elle lit à haute voix, elle ne manquera pas de lui répondre. Elle attend d’ailleurs impatiemment de pouvoir aller dans les libraires ou les salons pour parler, écouter, apprendre.
"Je veux aller aux devants des gens, je veux être utile", affirme celle qui consacre une partie de son temps et de son énergie à des ONG comme Reporters d’espoir, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage ou encore la Fondation Don Bosco "qui vient en aide aux enfants cabossés par la vie".
Lorsque les services de secours portent assistance ou découvrent un corps, il faudrait qu’ils aient tout de suite des numéros à donner aux familles pour qu’elles puissent joindre un professionnel rapidement.
Mémona Hintermann, journaliste
Elle concède : "Je sais bien qu’on ne va pas régler d’un claquement de doigts un problème qui remonte à aussi loin que l’Antiquité, mais ce n’est pas possible qu’on ne tende pas la main."
L’auteure défend en parallèle une meilleure prise en charge médicale de la problématique du suicide. Pour cela, elle s’appuie évidemment sur sa propre expérience : il aura fallu attendre deux mois et accepter de faire des dizaines de kilomètres pour trouver le premier rendez-vous psy de Lutz.
Dans une tribune du Monde, le psychiatre Daniel Zagury et l’économiste de la santé Jean de Kervasdoué avancent une donnée chiffrée : il manque 1.000 psychiatres dans le public.
En septembre, se tiendront les premières assises de la psychiatrie. Mémona Hintermann y sera avec une proposition : "Lorsque les services de secours portent assistance ou découvrent un corps, il faudrait qu’ils aient tout de suite des numéros à donner aux familles pour qu’elles puissent joindre un professionnel rapidement." Quand on sait que 75 % des récidives se produisent dans les six mois après une première tentative, ça paraît essentiel.
L’importance des images
Dans une autre mesure, la visibilité et la représentation le sont aussi. "Il faut qu’il y ait des fictions réalisées sur le sujet", défend la journaliste qui a passé quelques années au CSA. Cette visibilité par la fiction serait d’autant plus essentielle qu’elle viendrait s’imprimer dans les rétines après d’autres images, qui ont laissé des traces dans l’esprit de Mémona Hintermann. Comme elle ne pense pas être la seule, elle aborde volontiers le sujet.
La multitude d’images dégradantes de la vieillesse que le Covid a trimbalé n’est pas sans conséquence. "C’est comme si on vous disait chaque jour : voilà ce qui t’attend. Et Lutz, il l’a vu tout ça." Alors elle accélère le rythme de son phrasé pour enchaîner : "Bien sûr que nous sommes tous affectés par la mort des jeunes, c’est un scandale bien plus que pour des gens qui, comme moi, ont une vie derrière eux. Mais se tuer parce qu’on se trouve vieux, je trouve ça aussi scandaleux."
Et de conclure, en pointant les endroits de son corps qui font face à quelques pépins, avec une joie communicative : "Malgré nos douleurs, nos rides, plein de choses qui déraillent, la vie peut être belle."
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