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vendredi 30 juillet 2021

Gironde Prévention du risque suicidaire, un impératif éthique Une prévention stratégique multimodale du risque suicidaire

Extrait de La Lettre n° 2 / juillet - août 2021 du Conseil Départementale de Gironde de l'Ordre des Medecins

conseil33.ordre.medecin.fr*

L'éthique au quotidien

Prévention du risque suicidaire, un impératif éthique
Une prévention stratégique multimodale du risque suicidaire

 Madame Doriane MARY

Psychologue Clinicienne
 

Docteur Florian GIRON

Praticien Hospitalier

Le suicide, défini comme le décès consécutif à un acte délibéré accompli par une personne qui en connaissait parfaitement ou en espérait l'issue fatale, est à l’origine chaque année de plus d’un million de décès dans le monde (14e cause de décès), et on estime que ce chiffre va augmenter de 50 %, pour devenir la 12e cause de décès d’ici 2030 si nous n’agissons pas. Cause majeure de mortalité prématurée évitable, l’OMS en a fait une urgence mondiale depuis 2013. C’est également un enjeu prioritaire de la politique nationale en Santé Publique, réaffirmé par la feuille de route « santé mentale et psychiatrie » de juin 2018.

Le contexte épidémiologique
 

Chaque année en France on dénombre environ 200 000 tentatives de suicide, à l’origine de plus de 8 500 décès (soit 15,7 pour 100 000 habitants). Pour mémoire, c’est plus de deux fois et demi le nombre de victimes d’accidents de la circulation. Ce taux de suicide est parmi les plus élevés de l’OCDE (22e rang).
 

Avec un taux de 18,2 décès pour 100 000 habitants, la Nouvelle-Aquitaine se place au 7e rang des 13 régions françaises, avec une surmortalité́ observée par rapport au niveau national. La Gironde, avec 14,8 décès pour 100 000 habitants par an en moyenne, paraît relativement moins impactée, mais ces chiffres sont en trompe l’œil puisque tirés vers le bas par les taux très faibles retrouvés au sein de la métropole bordelaise : dès lors que l’on s’éloigne de l’agglomération de Bordeaux, on retrouve des taux de mortalité supérieurs voire très supérieurs à la moyenne nationale ou même régionale (Médoc, Blayais, Libournais, Sud-Gironde).
 

Le suicide est un phénomène multifactoriel qui résulte de l’interaction complexe de divers facteurs génétiques, psychologiques et environnementaux. Si le suicide est imprédictible, il n’en est pas pour autant imprévisible et peut donc être évité dans bon nombre de cas. Il faut à ce titre rappeler le poids considérable de la pathologie mentale dans la problématique suicidaire :

  • Parmi les principaux facteurs précipitants retrouvés lors des autopsies psychologiques des patients décédés par suicide, on retrouve un trouble mental dans 90 % des cas, dont 60 % de troubles dépressifs.
  • 10 à 15 % des personnes ayant une schizophrénie ou un trouble bipolaire décèdent par suicide.
  • La dépendance à l'alcool aggrave le risque suicidaire.


Outre les pathologies psychiatriques, d'autres déterminants interviennent, comme les antécédents familiaux, l'appartenance à un groupe vulnérable, la précarité des conditions de vie ou l'isolement.


Les idées suicidaires et des antécédents personnels de comportement suicidaire comptent parmi les facteurs de risque les plus importants. C’est ainsi que le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), chargé de l’évaluation du programme national d’actions contre le suicide 2011-2015 (PNACS), recommande de centrer les actions de prévention du suicide, d’une part sur les personnes vivant avec un trouble psychiatrique (schizophrénie, dépressions, troubles bipolaires…), et d’autre part sur les personnes ayant fait une tentative de suicide.


Un plan national de lutte contre le suicide, qui doit se décliner en régions


Si le suicide est un phénomène complexe, il peut être évité dans une majorité de situations par la mise en place d’actions au niveau de la population générale, des populations vulnérables ainsi qu’au niveau individuel. Une stratégie de prévention régionale adaptée au contexte et aux ressources locales est en cours de déploiement dans le pays avec un objectif commun : repérer et maintenir le lien avec les personnes à risque suicidaire au plus près de leur lieu de vie.
 

Ainsi, le Ministère de la Santé a fait le choix de mettre en œuvre un ensemble d’actions de prévention intégrées, simultanées et territorialisées, avec comme objectif commun de faire en sorte de repérer et de maintenir le lien avec les personnes en souffrance et de les orienter vers les ressources appropriées. Il s’agit :
 

  • Du maintien du contact avec la personne qui a fait une tentative de suicide, avec l’implantation au sein de chaque territoire d’une antenne du réseau VigilanS,
  • De la formation actualisée au repérage, à l’évaluation et à l’intervention de crise suicidaire,
  • De la prévention de la contagion suicidaire. Le programme national, multimodal et intégré Papageno lancé en 2014 et soutenu par la Direction Générale de la Santé soutient cet axe. Il vise à la fois la prévention de la contagion de masse (encore appelée l’effet de Werther) et celle de la contagion localisée (par exemple au sein d’une institution touchée par un cas de suicide) mais aussi la promotion d’un meilleur accès aux soins pour tous, en s’appuyant sur les médias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication,
  • De la mise en place d’un numéro national de prévention du suicide, accessible 24h/24 et 7J/7, dont la mise en service est prévue le 10 septembre 2021,
  • Du soutien aux endeuillés par suicide (interventions de post-vention ; soutien téléphonique aux endeuillés – dispositif SUVAPSY Famille en Gironde, soutenu par l’ARS Nouvelle-Aquitaine),
  • D’une meilleure information du public.

Dans cet article nous détaillerons principalement l’axe du maintien du contact avec les personnes ayant fait une tentative de suicide et de la formation des professionnels et bénévoles à la prévention du risque suicidaire.

Le dispositif VigilanS pour prévenir la réitération suicidaire : une expérimentation lilloise en passe de s’implanter sur tous les territoires du pays
 

Parmi tous les facteurs de risque de suicide, les antécédents personnels de tentative de suicide nécessitent une attention particulière : on considère qu’après une tentative de suicide, le risque de nouvelle tentative de suicide est multiplié par 3,6 et le risque de décès par suicide est multiplié par 2. Ce sur-risque n’est cependant pas linéaire au cours de la vie, et est particulièrement important pendant les semaines et les mois qui suivent la tentative de suicide. De ce fait, diverses initiatives se sont développées pour renforcer la prévention auprès des patients qui sortent des urgences ou d’une hospitalisation pour tentative de suicide.
 

Parmi elles, le dispositif téléphonique VigilanS, porté par le Pr Guillaume VAIVA au CHU de Lille, a reçu un écho très favorable de par sa logique d’implantation territorialisée, et est en train de se disséminer progressivement à tout le pays. S’adressant aux patients sortant des urgences ou d’hospitalisation suite à une tentative de suicide mais aussi aux professionnels de santé (médecin traitant, psychiatre) qui vont le prendre en charge, son principe est d’organiser une veille post-hospitalière, de favoriser le lien entre les différents professionnels de santé et au besoin de coordonner la réponse à la crise suicidaire, pendant quelques mois. La veille commence avec la remise d’une carte ressource au patient à la sortie des urgences/de l’hôpital, comportant un numéro vert afin de lui permettre de contacter l’équipe d’intervenants de crise s’il se retrouve en difficulté. Les professionnels de santé suivant le patient sont informés de la mise en place de cette veille et peuvent aussi contacter l’équipe sur une ligne dédiée. Pendant les 6 mois suivants, le patient sera recontacté à un rythme défini, et des cartes postales pourront lui être envoyées pour maintenir le lien, encourager à la prise en soins et rompre l’isolement. En cas de nouvelle crise suicidaire, l’équipe d’intervenants pourra évaluer plus précisément la situation et coordonner une réponse appropriée, allant parfois jusqu’à l’intervention du SAMU-Centre 15 en cas d’urgence. Toute action de l’équipe VigilanS auprès du patient suivi donne lieu à un courrier de liaison aux intervenants de soins identifiés.
 

Depuis 2 ans et demi, le Centre Hospitalier Charles Perrens a mis en place sur son secteur d’intervention un dispositif de veille et de recontact téléphonique pour les patients ayant fait une tentative de suicide. Ce dispositif, baptisé SUVA-Psy (pour Suicide Unité de Veille Ambulatoire – Psychiatrie) coopère fortement avec l’équipe de coordination nationale du dispositif VigilanS depuis sa mise en service. Fort de cette collaboration et de l’expérience accumulée par l’’équipe, SUVA-Psy évolue pour devenir un dispositif VigilanS et s’implanter très prochainement sur l’ensemble du territoire girondin.
 

La formation en prévention du suicide : un élément clé de l’approche intégrée de prévention du suicide
 

La formation en prévention du suicide a pour objectif de structurer le repérage des personnes à risque (personnes en souffrance, personnes isolées) et leur accompagnement vers le soin, grâce à un réseau de personnes-relais, en lien avec les professionnels qui réalisent la prise en charge et organisent le lien avec eux.
 

Les premières formations à la prévention de la crise suicidaire, dispensées dès l’an 2000 ont été largement déclinées sur le territoire national et ont permis une indispensable acculturation des acteurs professionnels et non professionnels impliqués dans la prévention du suicide en alliant information, sensibilisation, repérage, évaluation du risque suicidaire. Toutefois, en 2016, l’évaluation par le Haut Conseil de Santé Publique du Plan National d’Actions Contre le Suicide (2011-2014) conduit à une refonte de ces formations dont l’élaboration est confiée au Groupement d’Etudes et de Prévention du Suicide (GEPS). Le GEPS, société savante francophone de suicidologie, a ainsi concrétisé la création de trois modules de formations distincts en prévention du risque suicidaire à partir des travaux récents de la professeure Monique Seguin au sein du Réseau Québécois pour le Suicide, les troubles de l’Humeur et troubles Associés (RQSHA).
 

Le contenu de ces nouvelles formations a été adapté aux missions assurées par les acteurs français dans la crise suicidaire en identifiant trois rôles : la sentinelle, l’évaluateur du potentiel suicidaire et l’intervenant de crise.
 

  • La formation « sentinelle » (formation d’une journée) s’adresse à des citoyens ou professionnels, volontaires, en mesure et disposés à repérer, appréhender la souffrance psychologique et la problématique suicidaire au sein de leur milieu de vie (travailleur social, auxiliaire de vie, professeur des écoles, élu, gardien d’immeuble, etc.) Elle vise à promouvoir et faciliter l’accès aux soins de personnes en souffrance.
  • La formation « évaluateur du potentiel suicidaire » (formation sur deux jours) s’adresse à des professionnels de santé (médecins généralistes, cadres de santé, infirmiers diplômés d’état) ou psychologues, formés à l’entretien clinique travaillant en soins primaires, en médecine scolaire ou universitaire, ou en services de santé au travail par exemple. Elle s’appuie sur une évaluation clinique, car il s’agit avant tout d’évaluer la probabilité d’un passage à l’acte suicidaire en se basant sur des éléments cliniques, qui permettent de graduer le niveau d’urgence.
  • La formation « intervenant de crise » est quant à elle spécifique à la prise en charge de la phase aiguë de la crise suicidaire. Elle s’adresse à des professionnels de santé ou des psychologues, formés à l’entretien clinique qui réalisent, de manière régulière, de l’intervention de crise (SAMU, urgences psychiatriques, psychiatrie de liaison, CUMP, unités d'hospitalisation de crise, CMP etc.).

En Gironde, l’association Rénovation – spécialisée dans la prise en charge d’adolescents et d’adultes affectés par des troubles du comportement et des maladies psychiques - s’est vue confier par l’Agence Régionale de Santé la coordination de ces actions de formation. Depuis 2013, c’est plus d’un millier de personnes qui ont pu être formés au repérage et à l’évaluation du risque suicidaire.

Pour ce faire, l’Association Rénovation organise sur les différents territoires de la Gironde des formations gratuites « Sentinelle » et « Evaluateur » ouvertes à tous les professionnels et bénévoles du territoire. L’objectif du projet Prévention du risque suicidaire porté par l’association Rénovation est non seulement de constituer et d’animer un réseau girondin de personnes formées au repérage et à l’évaluation de la crise suicidaire, mais aussi de renforcer le maillage territorial, la visibilité et l’accessibilité de l’offre de prise en charge pour les personnes en souffrance psychique.

Véritable dispositif stratégique, ce projet s’inscrit dans la politique de santé publique (inscription de ce travail dans les différents « Contrat Local de Santé » et « Conseil Local de Santé Mentale » de Gironde), et s’articule avec l’offre de soins, en lien avec les différents Centres Hospitaliers et Centres Hospitaliers Psychiatriques et les partenaires locaux. Ce travail de partenariat a notamment donné lieu à la création de différents annuaires territorialisés de ressources locales sur la prise en charge de personnes en souffrance (Guide ressource), mais aussi des temps de sensibilisation à destination du grand public et des journées de formation autour de thèmes spécifiques (journée focus « adolescents » en partenariat avec la Maison Des Adolescents, « troubles psychiques » en partenariat avec des professionnels du Centre Hospitalier Charles Perrens), etc.
 

Conclusion : ce qui est fait… et ce qu’il reste à faire

Aujourd’hui, alors que le monde peine à sortir de la crise sanitaire de la Covid-19 et que des conséquences économiques et sociales dramatiques se dessinent, les enjeux autour de la prévention du risque suicidaire semblent s’accélérer. Car si le nombre de passage à l’acte suicidaire n’a pour l’heure pas été impacté, la littérature montre un décalage entre les temps de crise et les réactions des personnes les plus affectées sur le plan individuel et collectif. En outre, les indicateurs montrent que la santé mentale des personnes interrogées reste dégradée depuis le premier confinement - avec notamment une prévalence des pensées suicidaires (Coviprev).
 

Ces éléments nous font donc craindre une recrudescence des passages à l’acte suicidaire dans les mois ou années à venir. La forte hausse des admissions aux urgences en Gironde pour geste suicidaire et troubles de l’humeur chez les jeunes de moins de 15 ans ces dernières semaines semblent s’en faire l’augure (données Oscour, mars 2021).
 

Ainsi, si les différents axes de prévention du risque suicidaire s’articulent déjà entre eux, il sera nécessaire de structurer et de continuer à coordonner les initiatives – nouvelles ou anciennes – qui impliquent de multiples acteurs, professionnels ou bénévoles, depuis plusieurs années. L’inauguration le 10 septembre 2021, à l’occasion de la journée mondiale de prévention du suicide, du numéro national de prévention du suicide, marquera sans doute une nouvelle étape dans la prise en compte des enjeux par les pouvoirs publics. Et cela, dans l’unique objectif que toute personne en grande souffrance psychique puisse avoir toutes les chances de rencontrer une oreille attentive et un accompagnement vers des ressources qui pourraient accueillir, évaluer et apaiser la crise, pour ainsi, peut-être, permettre de renouer avec la vie.

Madame Doriane MARY

Psychologue Clinicienne

Coordinatrice du Projet Prévention du Risque Suicidaire de la Gironde

Direction Générale – Association Rénovation

Tél : 07 85 99 19 17

Doriane.Mary@renovation.asso.fr

Docteur Florian GIRON

Praticien Hospitalier

Coordonnateur du dispositif VigilanS Gironde

Pôle de Psychiatrie d’Urgence et des secteurs du Médoc et du bassin d’Arcachon – Centre Hospitalier Charles Perrens

Tél : 06 65 29 92 43 

mail_outlinefgiron@ch-perrens.fr

https://conseil33.ordre.medecin.fr/content/lettre-ndeg-2-juillet-aout-2021