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lundi 22 mars 2021

En Allemagne, le Land de Basse-Saxe s'apprête à recourir à l'intelligence artificielle afin de prévenir les tentatives de suicide en prison

Intelligence artificielle
En Allemagne, l'intelligence artificielle pourra aider à surveiller les détenus

Comment surveiller sans faillir ? En Allemagne, le Land de Basse-Saxe s'apprête à recourir à l'intelligence artificielle afin de prévenir les tentatives de suicide en prison. Plus globalement, par la mise en place d'un système de reconnaissance par vidéosurveillance, il s'agit en réalité d'améliorer la sécurité en milieu carcéral. Selon ses partisans, la technologie promet d'être plus respectueuse de la vie privée que l'intervention humaine. Big Brother verrait tout mais n'en garderait que peu de souvenirs. La machine omniprésente permettra-t-elle de mieux protéger ou de mieux punir ?

Les prisonniers susceptibles d'être réveillés dans les centres de détention allemands sont ceux qui sont considérés comme les plus vulnérables, car diagnostiqués comme suicidaires.

Dormir en paix est un droit autant qu'une nécessité. Le prisonnier Alexeï Navalny en a témoigné il y a quelques jours : la colonie pénitentiaire dans laquelle a été envoyé l'opposant russe est selon ses dires "un véritable camp de concentration", où les détenus sont en permanence surveillés par des caméras et où un gardien le réveille toutes les heures chaque nuit pour le prendre en photo et attester de sa présence. Une déshumanisation qu'il juge digne du roman 1984 de George Orwell.

Les réveils intempestifs n'ont pas seulement cours dans les dystopies totalitaires, et c'est en partie pour remédier à cette pratique qu'une motion déposée le 9 mars 2021 au parlement du Land allemand de Basse-Saxe propose de recourir à des systèmes de vidéosurveillance basés sur l'intelligence artificielle, "afin de prévenir le suicide et d'améliorer la sécurité dans les prisons". Une expérience du même type est déjà en cours en Rhénanie-du-Nord-Westphalie depuis un an et la reconnaissance intelligente de situations et de comportements à l'aide de caméras est également à l'œuvre dans les postes de sécurité de certaines grandes gares, à Berlin comme à Mannheim.

Détecter des comportements suspects à un stade anticipé

L'Allemagne n'étant pas la Russie, les prisonniers susceptibles d'être réveillés dans les centres de détention allemands sont en réalité ceux qui sont considérés comme les plus vulnérables, car diagnostiqués comme suicidaires. Toutes les 15 minutes, y compris pendant la nuit, un surveillant vient s'assurer qu'aucune tentative n'est en cours et pour cela lève le loquet de la porte de la cellule, allume la lumière, puis referme le loquet. Il est impossible de bien dormir ainsi, estime le ministre de la Justice de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Peter Biesenbach, même si le droit au repos des prisonniers suicidaires n'est pas sa seule préoccupation. Plus globalement, il s'agit surtout de mettre en place en milieu carcéral un système de sécurité plus vaste et plus fiable que le regard humain, qui puisse déceler aussi bien dans les cellules qu'en extérieur des comportements déterminés comme atypiques, des gestes reconnus comme suspects ou bien des objets considérés comme dangereux. La surveillance intelligente assurerait donc une fonction de détection, afin de prévenir les tentatives de suicide certes, mais aussi les actes délictueux au sein de la prison : remise d'objets interdits, altercations, violences.


La vidéosurveillance intelligente : un système d'alerte

En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, c'est la société FusionSystems, spécialisée dans le développement de logiciels d'automatisation et de systèmes intelligents, qui a décroché le contrat pour développer le logiciel de reconnaissance.

Cette spin-off de l'Université Technique de Chemnitz a décidé de procéder en deux phases pour constituer l'algorithme qui servira de base au logiciel d'analyse automatisée. Après avoir aménagé dans ses locaux une salle test, réplique d'une cellule de détention, les chercheurs ont eux-mêmes alimenté le logiciel afin de le rendre capable de reconnaître des séquences de mouvements spécifiques et de les différencier des moments non critiques. Il devra à terme savoir déterminer si un geste ou un déplacement est normal ou potentiellement dangereux, il saura quels sont les endroits les plus sensibles dans la pièce, il avertira qu'un objet dangereux a franchi une limite ou a été déposé dans une zone prédéfinie comme non autorisée. La deuxième phase de l'apprentissage, actuellement en cours, a lieu en fonctionnement réel dans le centre correctionnel de Düsseldorf.

Une fois que le logiciel aura intégré toutes ces données, il sera capable d'évaluer le degré de danger de certaines situations selon une échelle de valeur. La caméra disposée dans la cellule filmera donc le détenu en continu, les images seront analysées en temps réel par l'intelligence artificielle, mais l'écran de contrôle dans le centre de surveillance restera éteint ; il ne s'allumera que lorsque l'algorithme déclenchera l'alarme, informant qu'une intervention humaine est sans doute nécessaire. Le surveillant prévenu, par messagerie, par un signal visuel ou par une sonnerie, évaluera à son tour la situation d'après les images à l'écran et décidera d'intervenir ou non. Il s'agit donc d'un système d'alerte en cas de comportement "suspect".

Un complément au travail humain

Sauver des vies (on compterait 50 à 100 suicides dans les prisons allemandes chaque année), veiller à la qualité du sommeil, les ambitions du système de vidéosurveillance avancées par le ministre Biesenbach sont louables. Ce dernier ne considère pas pour autant l'intelligence artificielle comme une panacée, mais comme une manière de soulager le travail humain. Il existe en effet tout un panel de dispositifs préventifs d'aide et d'écoute des détenus angoissés ou malades : télémédecine, soutien spirituel, codétenus "auditeurs"… Pour Volker Bajus, membre du parti des Verts au parlement de Basse-Saxe, une prise en charge psychosociale ne peut toutefois être évincée par la technologie moderne, "car la technologie vidéo ne peut pas remplacer le travail social, elle peut au mieux le soutenir."

Un système compatible avec la protection des données ?

Mais le parlement de Basse-Saxe est favorable à la motion déposée, et a donc l'intention de créer les conditions juridiques préalables à l'utilisation de l'intelligence artificielle par caméra dans les prisons du Land. Pour ce qui est de la protection des données, les défenseurs du projet estiment que la surveillance intelligente est plus respectueuse du droit individuel que les systèmes de surveillance conventionnels, car il n'y a pas ou peu d'enregistrement de données personnelles. En l'absence de stockage de données et sans observation continue en temps réel, un détenu, même surveillé 24 heures sur 24, peut ainsi, à leurs yeux, bénéficier d'une vie privée. Dans sa colonie pénitentiaire, Alexeï Navalny rêve très certainement de conditions de détention aussi idylliques.

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