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jeudi 30 janvier 2020

Suicide des forces de l’ordre: ces policiers qui viennent en aide à leurs pairs

Suicide des forces de l’ordre: ces policiers qui viennent en aide à leurs pairs
TÉMOIGNAGE - Près de 5000 policiers ont rejoint la page Facebook SOS policiers en détresse, association qui lutte contre les suicides dans la police.
Par MARGAUX D ADHEMAR DE CRANSAC
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Plus de suicides dans la police» scandent les manifestants lors d’une «marche de la colère» des policiers à Paris, le 2 octobre 2019. AFP
Depuis le début de l’année 2020, déjà trois fonctionnaires se sont donné la mort. En 2019, selon un décompte de la police nationale, 59 policiers se sont suicidés, soit une hausse de 60% par rapport à l’année précédente. Une page Facebook créée par des policiers vient en aide à ceux susceptibles de passer à l’acte - une structure montée par des policiers pour des policiers.
«J’étais dans le vestiaire, mon arme à la main, et si tu ne m’avais pas répondu…», confie une collègue à Christophe, vice-président de l’association SOS policiers en détresse. Un aveu que le fonctionnaire de la brigade anticriminalité de Dijon entend souvent de la part de ses confrères. Le dernier appel qu’il a reçu était celui d’une femme d’une quarantaine d’années, le soir, à 23h: «Elle m’a dit: “Christophe, dis-moi un mot. Je suis en voiture, là. Dis-moi un mot qui prouve que le métier que je fais a encore un sens”. J’ai répondu: “Pense aux victimes, pense à toutes ces personnes qui ont été victimes d’infraction et que tu as aidées”. Le lendemain, j’ai rappelé pour savoir comment ça allait. Elle m’a dit: “Tu sais , tu te serais trompé de mot, je me serais mise dans un arbre”.»

Des suicides à répétition
Avec 59 suicides l’année dernière, le bilan est presque aussi élevé que «l’année noire» de 1996, lorsque 70 suicides avaient été recensés. Bien souvent, ces suicides adviennent sur le lieu de travail, dénonçant ainsi un management défaillant. Christophe en est persuadé, «les collègues ne font plus attention les uns aux autres». «Dans mon commissariat, un jeune ADS (Adjoint de sécurité) de 24 ans s’est suicidé», explique le policier membre de l’association. «C’est son père, qui était aussi un collègue, qui l’a retrouvé au sein même du commissariat. Le lendemain de l’enterrement, j’ai été choqué par l’indifférence générale du service. La vie reprenait son cours, comme si rien ne s’était passé. Pourtant, on savait que c’était lié à ses supérieurs, qu’il y avait eu un vrai problème de management.».
Seulement quelques mois après cet événement, le service du commissariat de Christophe a fait face à une nouvelle tentative de suicide: «Le commissaire nous a dit: “On est d’accord, c’est un appel au secours, c’est un problème personnel” , alors que la tentative de suicide s’était produite sur le lieu de travail. (...) Il avait son arme à la main, il était soûl. Il avait laissé trois lettres - deux pour le côté professionnel et une pour le personnel». Christophe a alors le déclic et s’engage aux côtés de Yohan, fondateur de la page Facebook, créant une association pour venir en aide aux policiers à bout de nerfs.
En 1996, 71 policiers se sont suicidés. Depuis, les différentes mesures mises en place n'ont pas fait baissé la courbe des suicides. Résultat ? Entre 1996 et 2018, 1054 policiers ont mis un terme à leur vie. Et ce taux ne baissera pas en 2019.

Peur d’être désarmé
Pourtant, depuis 1996, les policiers ont à leur disposition une cellule d’écoute. Un service officiel peu utilisé dans la profession: «Il y a une vraie rupture entre l’administration et les collègues», témoigne le vice-président de l’association SOS policiers en détresse. Pour Christophe, cette défiance vis-à-vis des psychologues est liée à la peur d’être désarmé: «Le problème, c’est la confidentialité: si on parle au psy en expliquant ce qui ne va pas bien, les collègues craignent que le psychologue avertisse la hiérarchie et le désarme. Or, le psychologue fait son travail en alertant. (...) Cette peur est très ancrée dans les mentalités. Le but de notre association est de rendre leur légitimité aux psychologues, parce que nous connaissons nos limites, nous sommes juste policiers, donc, à un moment donné, il faut passer le relais à un psychologue professionnel. C’est pourquoi notre travail est de s’attacher à faire le lien entre l’administration et nos collègues».

Une alternative qui séduit les gardiens de la paix. Selon les informations communiquées par l’association au Figaro, du 28 septembre au 31 décembre 2019, la cellule d’écoute officielle a reçu seulement 300 appels, alors que SOS policiers en détresse a été sollicité environ 6000 fois. Un écart lié, selon Christophe, au fait que les psychologues de la cellule d’écoute ne connaissent pas le métier: «Il faut d’abord que les policiers expliquent leur profession. Alors qu’avec nous, il y a un “transfert d’identification”. Ils nous disent simplement dans quel service ils sont, puis on se tutoie tout de suite, une confiance s’installe rapidement, ils parlent tout de suite de leurs problèmes. On se confie plus facilement à des pairs qu’à des professionnels extérieurs. Nous, nous connaissons les spécificités du métier. Les policiers qui nous appellent nous font confiance. Et puis, on arrive à se reconnaître grâce à notre propre jargon».
Une violence quotidienne «qui pousse à presser la détente»
Au-delà de la confiance mutuelle et du vocabulaire commun, les policiers qui contactent SOS policiers en détresse savent que ceux qui leur parlent connaissent leur quotidien et la violence à laquelle ils sont bien souvent confrontés. Un sujet tabou au sein de la profession: rares sont les cas où les forces de l’ordre s’expriment sur cette violence, «ayant intégré en école policière qu’on ne parle pas de ce qu’on fait ou de ce que l’on voit au travail». Une façon également de protéger leurs familles. «Nous n’avons pas le droit de parler, c’est ce qu’on nous inculque en école policière (...). Le vase se remplit un peu tous les jours, on attend qu’il soit plein pour le vider», ajoute Christophe.
Un silence sur la violence quotidienne qui se retourne finalement contre eux: «À force d’y être confrontés, on banalise la violence, même celle vis-à-vis de nous. Tous les jours, on doit faire preuve de courage, et, bien souvent, c’est ce courage quotidien qui pousse à presser la détente», explique le cofondateur de l’association.
Début octobre, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, avait annoncé la mise en place d’un nouveau numéro vert (0805 230 405) pour lutter contre ce phénomène de suicides au sein de la profession.