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mercredi 11 décembre 2019

DOSSIER Les leviers dont disposent les CSE face aux risques psychosociaux & Quel est le rôle des elu.e.s (d'entreprises) après un acte suicidaire ?

 Les leviers dont disposent les CSE face aux risques psychosociaux
 Dossier des.editions-legislatives.fr
Intro :
Exit le comité d'entreprise, le CHSCT ou encore les délégués du personnel. Les ordonnances Travail imposent d'ici le 31 décembre 2019 au plus tard l'élection d'une instance unique : le comité social et économique (CSE). Heures de délégation, réunions, expertises, etc. le point sur les bouleversements à venir. 
Le CSE (comité social et économique) devient le modèle de référence pour la représentation du personnel. Le CSE s'impose à toutes les entreprises d'au moins 11 salariés et remplace d'autorité toutes les instances existantes (comité d'entreprise, CHSCT, ICCHSCT, délégués du personnel, ancienne délégation unique du personnel et DUP "Rebsamen"). Il n'est pas possible, même par accord collectif, de conserver des instances séparées.
L'essentiel des missions "classiques" de représentation du personnel sont préservées (la disparition du CHSCT est partiellement compensée par la création dans les plus grandes entreprises d'une commission santé sécurité et conditions de travail) mais avec des moyens, sauf accord plus favorable, revus à la baisse (réduction du nombre d'élus et des heures de délégation, suppléants exclus des réunions plénières, assiette de calcul des budgets moins favorable, extension de l'obligation de co-financer les expertises, etc.).
source https://www.editions-legislatives.fr/dossiers-speciaux/les-missions-et-moyens-du-cse-credits-d-heures-commission-ssct-etc

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[2/5] Les leviers dont disposent les CSE face aux risques psychosociaux
Les élus du comité social et économique (CSE) ont un rôle d'analyse et d'alerte concernant les risques professionnels auxquels sont exposés les salariés. Mais comment ce rôle peut-il être exercé ? Nos explications.
Que peut faire le CSE en cas de problème immédiat lié à un risque psychosocial ?
En réaction à un événement ou une situation précise, les élus peuvent actionner un droit d'alerte pour faire réagir l'employeur. Deux cas et deux procédures existent.
Si le droit d'alerte vise, selon l'article L2312-59, une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise (harcèlement moral et sexuel, discrimination, etc.), l'employeur doit procéder immédiatement à une enquête avec le représentant du CSE qui a signalé le danger. Il doit prendre les dispositions nécessaires pour remédier à ce danger. Si rien n'est fait ou s'il y a divergence entre l'élu et l'employeur, l'élu peut saisir le bureau du jugement du conseil des prud'hommes qui statue en référé. Le juge peut ordonner toute mesure propre à faire cesser cette atteinte (voir par exemple l'arrêt du 31 mai 2017 de la Cour de cassation).
Si le droit d'alerte vise un cas de danger grave et imminent (art. 4131-2), l'élu doit consigner son alerte par écrit. L'employeur doit procéder immédiatement à une enquête avec le représentant du personnel et prendre les dispositions nécessaires pour remédier au danger. S'il y a blocage, le CSE est réuni d'urgence dans les 24 heures. L'employeur doit informer immédiatement l'inspection du travail et le service prévention de la caisse régionale d'assurance maladie, qui peuvent assister à la réunion du CSE. En cas de nouveau blocage, le responsable de la Direccte (direction régionale du travail) peut, sur demande de l'inspecteur, mettre l'entreprise en demeure d'agir.
Sur le plan des pratiques, on peut aussi suggèrer aux élus du CSE de favoriser l'inscription sur le registre des accidents bénins du travail des situations de travail pouvant laisser penser à une situation de souffrance au travail et de RPS, afin que ces risques deviennent lisibles et soient pris en compte.
Dans quels cas le CSE peut-il lancer des expertises  ?
Les élus peuvent également faire appel à un expert en cas de risque grave pour la santé mentale, avéré et circonstancié (art. L. 2315-96). Le CSE doit se référer à des faits précis (malaise survenu dans un contexte de harcèlement, tentative de suicide, par exemple). Cette expertise vise à identifier les causes du risque et à proposer des changements pour supprimer ce risque. Cette expertise est entièrement financée par l'employeur.
En cas de projet important modifiant les conditions de travail, la question des risques psychosociaux doit être posée. Les élus peuvent lancer une expertise sur ce sujet (art. L.2315-96), sachant que le CSE doit supporter 20% de son coût (voir notre infographie).
Que peut faire le CSE à moyen et long terme ?
Le comité peut pousser l'employeur à adopter une démarche de prévention des risques, en sollicitant des organismes comme la Direccte (direction régionale du travail), les Carsat (caisses d'assurance retraite et santé au travail), les Aract (agences régionales pour l'amélioration des conditions de travail), les médecins du travail ou les services de santé au travail, ces derniers proposant parfois une politique contractuelle avec les employeurs (lire notre article).
Ces organisations ont en interne des compétences en matière de RPS (psychologues, ergonomes, ingénieurs conseil, contrôleurs et inspecteurs) et elles disposent des référentiels et outils éprouvés. Mais leurs possibilités d'action sont limitées au regard de leurs effectifs. Il faut donc s'y prendre très en amont pour que ces acteurs coordonnent leur action et puissent, par exemple, assister à une réunion du CSE. Dans le cas d'employeurs qui refusent de voir en face la réalité, ou qui la nient, l'intervention de ces personnes neutres peut aider à débloquer les choses. Ces intervenants recommandent en effet une approche paritaire du sujet avec la mise en place d'un comité de pilotage associant la direction, les représentants de la direction, les professionnels de santé, etc. Le but est de s'accorder sur un diagnostic puis sur un plan d'action.
Les élus ont intérêt à se documenter auparavant, en sollicitant les ressources de l'Anact et de l'INRS, par exemple, mais aussi en réfléchissant à la situation des salariés dans l'entreprise et à ce que pourrait être une politique sociale de prévention. A titre d'exemple, les élus peuvent demander une mesure précise de la charge de travail, une action de formation des managers aux risques psychosociaux, etc.
Le CSE a également le pouvoir de mener des enquêtes, une possibilité à ne pas négliger pour rester à l'écoute des salariés et de toute évolution du climat social. Ces enquêtes sur les conditions de travail peuvent révéler l'existence ou l'intensification de risques psychosociaux (lire notre article). Toute la difficulté consiste alors à dresser de façon objective un tableau de la situation et des risques. Une enquête de terrain apporte souvent des éléments qualitatifs très utiles concernant les conditions de réalisation d'un travail par un salarié, les relations entre le salarié et le management, etc. Cette enquête peut permettre de savoir si telle crise de larmes ou tel conflit entre salarié ou telles démissions dans un service reflètent ou non une problématique de RPS.
L'INRS propose sur son site un guide sur la démarche d'enquête paritaire que peut décider de voter un CSE après un suicide ou une tentative.
La consultation sur la politique sociale est-elle une opportunité ?
La consultation annuelle du CSE sur la politique sociale peut représenter l'occasion d'aborder de façon approfondie les RPS et leur prévention. A l'occasion de cette consultation, le CSE peut formuler des critiques sur les défauts de la politique de prévention suivie par l'entreprise et présenter des recommandations, en s'appuyant sur des indicateurs précis : taux d'absentéisme pour raisons de santé, turn over, nombre d'accidents et de maladies professionnels, troubles divers touchant les salariés (perte de sommeil, épuisement, conflits entre salariés, violences verbales), etc.
Cette consultation, comme le rappellent souvent des cabinets d'expertise comme Syndex, peut aussi être l'occasion pour les élus du CSE de solliciter une expertise afin que celle-ci nourrisse les débats sur les conditions de travail. Cette expertise est prise en charge par l'employeur.
Enfin, les représentants du personnel peuvent tenter de négocier la prévention des risques psychosociaux dans le cadre d'un accord sur la qualité de vie au travail (QVT), mais il faut que ce texte dépasse un stade purement formel et débouche sur des actions concrètes dont le suivi est assuré par les élus.
Le CSE peut-il faire évoluer le contenu du document unique ?
Le CSE ne rédige pas le document unique d'évaluation des risques (DUER), obligatoire dans les entreprises (art. R. 4121-1 du code du travail). Mais si le préventeur le souhaite, ce qui est conseillé comme une bonne pratique, les élus sont associés à sa réalisation. Le comité peut demander à ce que ce document souvent technique soit présenté en réunion du CSE, notamment lorsqu'il est actualisé. Il faut savoir que toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de travail doit provoquer une mise à jour du document unique.
Ce DUER, qui doit comprendre une évaluation des risques psychosociaux, doit être tenu à disposition des membres du CSE souhaitant le consulter, mais aussi de l'ensemble des salariés (art. R.4121-4). C'est un document très important. Il sert à établir le programme de prévention de l'entreprise (art. R.4121-3).
Le CSE peut aussi s'appuyer sur le bilan des inspections menées sur le terrain pour demander à l'employeur d'apporter des changements à ce document unique.
Quelles autres actions le CSE peut-il mener pour que les risques soient réduits ?
On retrouve ici les différents facteurs qui peuvent réduire le risque psychosocial, à commencer par ce qu'on appelle le soutien social, l'idée d'appartenir à une même communauté de travail. Le CSE peut inciter le personnel à développer une forme de soutien social en organisant des lieux de rencontres et d'expressions (permanences du comité, arbres de Noël, moments conviviaux, etc.).
De nombreux observateurs pensent que les organisations syndicales gagneraient à relancer l'idée du droit d'expression des salariés sur leur travail au sein des entreprises, une idée qui remonte aux lois Auroux du début des années 80 mais qui n'a guère connu de succès depuis. Nous reviendrons, dans un prochain article, sur ce que peut donner la mise en pratique de cette expression des salariés sur leur travail avec un exemple étonnant...
Quels sont les outils théoriques et pratiques à connaître en matière de RPS ?
Citons-en quelques uns :
  • le modèle de Karasec : ce questionnaire, qui porte le nom du psychologue américain qui l'a mis au point en 1985, est très utilisé pour l'évaluation des facteurs de risques psychosociaux au travail. Il a par exemple été utilisé pour l'enquête Sumer sur les conditions de travail. Il combine 3 dimensions : la demande psychologique (charge quantitative et mentale du travail, par exemple), la latitude décisionnelle (possibilité d'utiliser ses compétences et marge de manoeuvre pour faire son travail en prenant part aux décisions qui s'y rattachent), et le soutien social au travail (relations avec la hiérarchie et les collègues). Selon Karasek, c'est lorsque les salariés ont une demande psychologique élevée combinée à une latitude décisionnelle faible que le risque de tension au travail est forte ("job strain"). Ce risque est encore aggravé si le salarié bénéficie d'un faible soutien social;
  • le questionnaire Siegrist : comme le modèle karasec, il s'agit d'un outil d'évaluation des facteurs psychosociaux au travail basé sur la notion de déséquilibre entre les efforts et les récompenses (voir le questionnaire sur le site de l'INRS);
  • 10 questions sur la charge de travail : un document téléchargeable sur le site de l'Anact;
  • la souffrance au travail et les RPS en entreprise : un document très pédagogique téléchargeable sur le site de la Carsat Normandie;
  • Démarche d'enquête paritaire du CSE concernant les suicides ou les tentatives : un guide téléchargeable sur le site de l'INRS;
  • Un mot sur l'arbre des causes : il s'agit d'une méthode visant à rechercher les causes d'un accident de travail, qui se prête sans doute moins à l'analyse des RPS mais dont la méthodologie doit être connue. L'arbre des causes permet d'analyser les facteurs de risque (contraintes physiques, tâche inhabituelle, matériel modifié, milieu dangereux ou encombré, interférences, manque d'informations, etc.) afin de concevoir un plan d'action pour les supprimer ou les réduire. Cette approche nécessite d'abord de recueillir des faits via des entretiens, avec une méthode qui peut servir aux élus du personnel (voir ici la brochure de l'INRS).
Un ingénieur qui connaît très bien le domaine de la prévention a ajouté à cette liste ce conseil de bon sens : le meilleur outil de l'élu CSE reste de connaître ses collègues ainsi que l'entreprise. C'est par le maillage des élus et des représentants de proximité éventuels que le comité peut détecter symptômes et signes précurseurs des RPS, et qu'il peut aussi demander à être associé aux actions de prévention du préventeur de l'entreprise.
A lire demain : S'emparer des risques psychosociaux reste un défi pour les élus des CSE


Nos articles déjà parus sur le sujet
  • L'essentiel à savoir sur les RPS, les risques psychosociaux (article du 9/12/2019)
  • "Les représentants du personnel doivent pouvoir continuer à développer leur capacité à interroger le travail" (article du 28/2/2019)
  • La solitude des salariés, objet de réflexion pour le CE et le CHSCT (article du 17/1/2017)
  • Les élus du personnel davantage exposés aux RPS, une étude de Secafi (article du 9/6/2015)
  • Jean-Paul Vouillé : "Le délégué social, un rôle formidable pour les représentants de proximité" (article du 12/7/2019)
  • "Élus, comment faire face à la souffrance au travail des salariés ? Pour se protéger, il faut se mettre en situation d'écoute, mais ne pas être un sauveur " (article et vidéo du 3/10/2014)
https://www.editions-legislatives.fr/gestion-du-personnel/representants-du-personnel/

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Autre outil que le document de L'INRS  Démarche d'enquête paritaire du CSE concernant les suicides ou les tentatives de suicide http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%206125

Un webinaire de Syndex ( cabinet d’expertise spécialisé). Webinaire - L'enquête suite à un suicide ou tentative de suicide dans l'entreprise Quel est le rôle des elu.e.s après un acte suicidaire ?
(Présente leur offre et services de cabinet mais donne également des éléments repères sur la question)




9/12/2019 Comment agir en cas de suicide ou de tentative de suicide sur le lieu de travail ? Dans le cadre de notre campagne sur la prévention des risques psychosociaux, nos intervenantes spécialisées SSCT Marianne Cattani et Laurence Guéret donne à en voir plus sur la méthode et le rôle des représentants des salarié·e·s dans ces situations de crise.

Voir également le mag 5 novembre 2019 Regards croisées - Suicide : mener l’enquête pour engager des mesures de prévention