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samedi 19 octobre 2019

INTERVIEW Boris Cyrulnik À la tête de la toute nouvelle commission des 1000 premiers jours de l’enfant

«Le suicide de l’enfant, une pulsion instantanée face à des émotions insupportables»
Le Figaro vendredi 18 octobre 2019  Prigent, Anne

INTERVIEW - Le psychiatre Boris Cyrulnik décrypte les raisons qui peuvent pousser un enfant ou un adolescent à se donner la mort.

À la tête de la toute nouvelle commission des 1000 premiers jours de l’enfant, le Dr Boris Cyrulnik, psychiatre, a publié il y a quelques années Quand un enfant se donne «la mort» (Odile Jacob).

LE FIGARO. - Le suicide est une réalité chez les adolescents, mais aussi chez les enfants. Pourquoi un enfant ou un adolescent veut-il se donner la mort?

Boris CYRULNIK. - Un petit enfant qui va sauter par la fenêtre, ce n’est pas un véritable désir de mort. En effet, un enfant n’a pas une conception de la mort comparable à celle d’un adulte. Il cède à une pulsion instantanée face à des émotions insupportables auxquelles il répond par une auto-agression. Il peut alors se taper la tête contre les murs, se griffer, se mordre ou sauter par la fenêtre. Chez l’adolescent, il n’y a pas non plus de véritable désir de mort. Même si leur perception de la mort rejoint celle des adultes, il s’agit plutôt d’un désir de vivre autrement, d’échapper à un problème que la société ou l’affectivité leur pose.

Y a-t-il des vulnérabilités particulières chez les enfants qui passent à l’acte?

Ce sont des enfants qui ont acquis une vulnérabilité émotionnelle dans les premiers mois de la vie, en raison d’un appauvrissement de leur niche sensorielle. La neuro-imagerie a montré comment les deux lobes préfrontaux du nourrisson s’éteignent. Les circuits limbiques de la mémoire et de l’émotion sont moins actifs alors que l’amygdale rhinencéphalique, socle neurologique des émotions comme la colère, l’angoisse et la mélancolie, grossit. Ces changements interviennent lorsque la mère de l’enfant est malheureuse. Principalement en raison de son isolement, de violences conjugales ou de précarité sociale. Pour ces enfants, une simple réprimande ou une mauvaise note peut prendre la valeur d’une agression immense et déboucher sur le suicide. Cette instabilité émotionnelle peut-être compensée par l’école, les rencontres. Mais elle ne disparaît pas.

Si cette vulnérabilité reste présente, cela signifie qu’elle peut resurgir à tout moment?

La vulnérabilité émotionnelle peut réapparaître à l’adolescence et lors des bouleversements sociaux qui sont vécus comme de véritables agressions. Cette vulnérabilité oblige à prendre des mesures préventives comme ne pas rester seul, s’engager dans des associations ou des activités sportives, artistiques ou culturelles qui, souvent, suffisent à la prévention. Par ailleurs, les crises sociales et culturelles, en modifiant les structures familiales, créent des périodes où les enfants et adolescents se suicident plus car on appauvrit leur enveloppe sécurisante.

https://www.lefigaro.fr/sciences/le-suicide-de-l-enfant-une-pulsion-instantanee-face-a-des-emotions-insupportables-20191018