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mardi 14 mai 2019

TEMOIGNAGE Je me suis automutilée, parler m’a sauvée

Je me suis automutilée, parler m’a sauvée
Il y a quelques mois, Hilda s’est mise à se blesser volontairement. Les problèmes d’argent de sa famille, le lycée, les questionnements sur son avenir... Parler de son mal-être à ses parents lui a permis d'éviter le pire.
Par Hilda4 mai 2019 sur https://www.la-zep.fr/*

( La Zone d’Expression Prioritaire LA ZEP est un dispositif media innovant d’accompagnement des jeunes de 14 à 28 ans à l’expression par des journalistes professionnels.
Des jeunes + des journalistes pros – La force de la ZEP est d’associer des journalistes avec des jeunes issus de tous les territoires, notamment des quartiers populaires, pour qu’ils se racontent, qu’ils partagent leurs expériences sur des sujets dont ils sont acteurs ou témoins, qu’ils partagent leurs regards sur la société et qu’ils renforcent leurs pratiques médiatiques et leur esprit critique.)

Quand tu as des problèmes à la maison et au lycée, c’est pas évident. Ces derniers mois, mes parents se disputaient très souvent à cause des dettes et des factures. Ma sœur aînée dort dans la même chambre que moi et elle m’empêchait de dormir le soir. Elle ne va pas à la fac et reste à la maison toute la journée, du coup elle ne se soucie pas vraiment des autres. Je ne suis pas du genre à m’énerver pour un rien et je n’avais pas envie de me disputer, donc je la laissais faire. À cause de mon manque de sommeil, j’avais des mauvaises notes…
Un jour, je devais aller à une sortie scolaire pour voir une pièce de théâtre, donc je devais me lever plus tôt que d’habitude, à 6h45, et j’avais très mal dormi la veille. En rentrant chez moi après la sortie, j’avais envie de dormir mais ma sœur faisait beaucoup de bruit. J’ai pété un câble. J’ai cassé des choses, j’ai crié, bref… J’ai juste pété un câble. Ma mère a essayé de me calmer, mais j’étais folle de rage.
C’est là que j’ai commencé à faire une grosse connerie. Je suis allée dans la salle de bain pour me mettre de l’eau sur le visage parce que je pleurais. J’avais l’impression que ma famille n’en avait rien à faire de moi, je me sentais seule et misérable. Je rêvais de devenir actrice et mes parents ne me soutenaient pas dans mes choix de carrière, ça me déchirait le cœur.
C’est à ce moment-là que je me suis mise à me mutiler. J’ai honte de dire ça, mais c’est la vérité. Au début, c’était quelques coupures mais plus le temps passait, plus elles étaient visibles. Je portais des haut à manches longues pour aller à l’école et j’enroulais mon poignet d’un tissu pour cacher mes blessures. Un jour, il y a eu une autre sortie dans un musée et pendant le pique-nique, je suis allée dans un coin avec une amie en qui j’ai réellement confiance et je lui ai montré mes marques. Elle était choquée et elle avait peur que j’aille plus loin, du coup elle m’a conseillé d’en parler avec ma mère. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai formellement interdit à ma mère d’en parler à qui que ce soit, même à mon père.
Quand je lui ai montré mes marques, sa main a tremblé
Quelques semaines plus tard, en rentrant après les cours, j’avais une envie folle de me mutiler. Ce jour-là, ça allait tellement mal que je voulais carrément me couper les veines. Mais j’avais fait la promesse à mon amie de ne plus recommencer et c’était dur. Alors, sans réfléchir, j’ai appelé mon père. Je pleurais beaucoup et je n’arrivais pas à m’exprimer au téléphone. Il avait l’air paniqué alors il a quitté son travail pour venir me voir à la maison et aujourd’hui encore je me souviens exactement de ce que je lui ai dit : « Papa, viens vite. Je vais faire une connerie. »
Trente minutes plus tard, mon père était à la maison. J’ai décidé de tout lui dire ce jour-là. Forcément, je lui ai d’abord parlé de mon avenir, ensuite on a parlé des factures et des problèmes d’argent et finalement, j’ai fini par lui dire ce que j’avais fait. Je pensais qu’il allait me battre jusqu’au sang mais non, il a pleuré. Il a dit qu’il était brisé de l’intérieur. On a pleuré ensemble et ça m’a fait du bien. Quand je lui ai montré mes marques, sa main a tremblé et il a caressé mes blessures avec son pouce. Je suis allée voir une de mes sœurs et j’ai encore beaucoup pleuré car j’avais l’impression d’avoir déçu mes parents. Finalement, mon père a décidé de financer mes études de cinéma et ça m’a fait plaisir.
Maintenant, quand je veux être seule, je ferme ma porte à clé et j’écoute de la musique ou des vidéos d’ASMR. L’ASMR, c’est une méthode de relaxation très répandue sur Internet avec des sons ou bien des jeux de rôle qui aident à se détendre. Franchement, il y a certaines vidéos qui me font vraiment du bien. Dernièrement, je me suis tournée vers un youtubeur américain qui traite de situations comme le suicide, la mutilation ou la dépression.
Hilda écoute par exemple la voix de CardlinAudios, un youtubeur spécialisé dans les jeux de rôle apaisants qui font voyager ! (une chaîne en anglais.)
Jusqu’à présent, j’ai réussi à ne plus jamais me mutiler. Ce que j’ai retenu de toute cette histoire, c’est qu’il faut parler. Parler à nos parents ou à un médecin car j’aurais pu perdre la vie ce jour-là. Et surtout, il faut éviter de tout garder pour soi. La mutilation n’arrange pas les problèmes mais ça les empire. La preuve, j’ai fait du mal à mes parents et pour moi, c’est la chose la plus horrible qui soit.

Hilda, 16 ans, lycéenne, Gonesse

* https://www.la-zep.fr/textes/je-me-suis-automutilee-parler-ma-sauvee/