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mardi 29 janvier 2019

Rhône Agri-sentinelles, le futur dispositif

d'après article Cinq suicides en 2018 : « Le monde agricole ne parle pas »
D. M. D’après : Le Progrès , mercredi 23 janvier 2019 714 mots, p. Rhône11

Un nouveau dispositif, baptisé Agri'sentinelles, verra le jour en 2019. Mais la prévention du suicide des agriculteurs occupe déjà les organismes depuis plus de quinze ans, depuis les premières crises viticoles.
L'un des signes annonciateurs est la pile de courriers non ouverts qui grandit au coin d'une table ou sur le frigo. Cinq agriculteurs se suicident, en moyenne, par an dans le Rhône. Cinq de trop, mais cinq seulement. Grâce à une intervention extérieure, d'autres ne commettent pas le geste ultime. Les filières bovine et viticole sont les plus touchées. La majorité des suicides est le fait d'hommes entre 40 et 50 ans. « As-tu pensé à passer à l'acte ? » La campagne d'Agri'écoute, service en ligne de la Mutuelle sociale agricole (MSA), a parfois choqué. « Mais nous savons que parler du suicide n'augmente pas sa probabilité. En revanche, cela permet d'objectiver le degré de mal-être », livre Nathalie Moore, directrice des territoires et des politiques sociales et familiales à la MSA.
« Il y a une pudeur, la peur du regard des autres, le sentiment d'échec est très fort »
Une cinquantaine d'exploitants agricoles bénéficient, chaque année dans le Rhône, d'un suivi par l'organisme dans le cadre d'une cellule de prévention du suicide, constituée de médecins du travail, de psychologues, de conseillers en prévention, de travailleurs sociaux, etc.
« On observe une baisse de leur nombre par rapport à dix ans en arrière. Agri'écoute porte ses fruits. L'épuisement professionnel est cerné plus tôt, ce qui permet aux travailleurs sociaux de travailler plus en amont », détaille encore Nathalie Moore.
Dans un contexte agricole en pleine mutation, la MSA et la Chambre d'agriculture du Rhône ont, en outre, mutualisé leurs compétences et leur expérience via le dispositif Rebond 69, qui propose diagnostic et accompagnement.
« D'abord, il faut entrer chez la personne. Qu'elle retrouve confiance. Après, tous les deux mois, le dossier est examiné, toujours de façon confidentielle », décrit Philippe Bonnet, responsable du pôle installation, transmission, emploi et formation à la Chambre d'agriculture du Rhône. Aucun accompagnement (en moyenne de 6 mois à un an, parfois plus) ne se fait sans le consentement de la personne qui a été jugée à risque par un proche, un voisin, le maire du village, etc. Une stratégie se met alors en place, via des regards croisés.
« Un maillage de compétences est nécessaire car il n'y a jamais un problème », souligne Ingrid Mialon, responsable d'équipe des travailleurs sociaux à la MSA. Moral, santé, état de l'exploitation, situation des finances, tout est pris en compte. Ce fut le cas pour ce producteur laitier qui avait repris derrière ses parents, mais n'était pas fait pour ça. « Jusqu'à ce qu'il n'arrive plus à produire un lait de qualité et qu'il se retrouve coincé par de gros investissements effectués. En jeu également, le chantage affectif de la mère encore en vie », rapporte Philippe Bonnet.
« Le monde agricole ne parle pas. Il y a une pudeur, la peur du regard des autres, le sentiment d'échec est très fort. Il est lié aussi au fait qu'il y a transmission d'un patrimoine dont on ne se sent pas à la hauteur », rapporte Patricia Bissardon, coordinatrice du réseau Solidarité paysan Rhône/Ain. L'association réalise environ 70 prises en charge par an. Avec de bons résultats.
« Nos agriculteurs travaillent bien, bien mieux qu'ailleurs »
Contrairement à ce qui est mis en place par la Chambre d'agriculture et la MSA, le travail réalisé par Solidarité paysans est gratuit. Les intervenants sont des bénévoles, le plus souvent agriculteurs eux-mêmes, mais pas que, prêts à donner de leur temps sans compter. Certains sont prêts à passer chaque semaine chez la personne qu'ils suivent.
« Ce qui a changé aussi, c'est que les agriculteurs doivent faire face à un marché mondialisé. Ils peuvent se sentir submergés. L'informatisation contribue aussi à faire perdre pied à certains. Dans le même temps, les services publics se sont raréfiés en zones rurales. L'isolement, le dénigrement entrent en jeu. C'est injuste. Nos agriculteurs travaillent bien, bien mieux qu'ailleurs. Ils sont soumis à des réglementations plus fortes qu'ailleurs en Europe par exemple. Ils travaillent aussi de mieux en mieux », livre encore Patricia Bissardon.
Dominique MENVIELLE

Le Progrès - Lyon mercredi 23 janvier 2019 395 mots, p. Rhône11
« Je retiens des larmes de soulagement »
D. M.
« Un ami m'a proposé de faire équipe avec lui sur un dossier. J'ai accepté. C'était il y a cinq ou six ans », livre Pierre Thizy, agriculteur à Sainte-Catherine. Quelque temps après, Françoise, son épouse, est devenue bénévole à son tour, au sein du réseau Solidarité paysans. Avant cela, en 2009, une vague de suicides dans leur village et deux autres, les avait sensibilisés à la réalité du suicide. « Cette année-là, on a perdu des agriculteurs qui n'étaient pas vieux », détaille Françoise. Dans la foulée, des groupes de parole avaient été mis en place par la Mutuelle sociale agricole. « Tout ça a compté dans notre cheminement », rapporte encore l'agricultrice.
« Ne jamais juger »
Se rendre auprès d'un collègue en difficulté, l'écouter, évaluer les problèmes, les besoins, trouver des solutions, fait partie du job. « Et surtout ne jamais juger », rappelle Pierre. « Il faut savoir doser son investissement. Il ne s'agit pas de faire à la place de la personne, même si on a tendance à beaucoup s'investir. On apprend à aller à sa vitesse. Même si on trouve que ça ne va pas assez vite, c'est à elle de prendre les décisions », ajoute Françoise.
« Quand une relation se crée, elle est profonde », dit encore Pierre, qui a déjà accompagné un agriculteur chez son banquier, devant un tribunal. « Dans ces situations, nous sentons que notre présence compte. Après, on se sent utile, mais on doute aussi », explique Pierre, qui fait état des rencontres fortes. « En ce moment, je suis une famille dans laquelle je sens tellement d'amour, que j'ai vraiment envie qu'ils s'en sortent. » 
Françoise, gestionnaire de formation, est à l'aise pour étudier une situation financière. Pierre possède les compétences techniques pour évaluer et optimiser une exploitation. « Nous pouvons aussi nous appuyer sur des assistantes sociales. Elles sont un appui précieux. Et nous bénéficions aussi de formations », souligne encore Françoise.
« Derrière chaque histoire, il est question de dignité et il est essentiel que les gens ne la perdent pas. Dans notre société, avoir des difficultés, c'est être mis au ban. On n'a pas le droit de connaître des échecs », regrette Pierre, interrogé sur son expérience. « Moi je garde en mémoire des larmes de soulagement. Elles disaient, "Ça y est, je tiens une bouée. Je vais être aidée" », se rappelle Françoise.
D. M.


Le Progrès - Lyon
mercredi 23 janvier 2019  p. Rhône11
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Agri-sentinelles, le futur dispositif
FRANCOIS Virginie
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Ce qui existe déjà
Agri'écoute MSA est disponible au 09.69.39.29.19 et permet de dialoguer de façon confidentielle avec un professionnel.
Rebond 69 au 04.78.92.32.01, dispositif de la Chambre d'agriculture et de la MSA entre autres, pour les agriculteurs et salariés fragiles.
Solidarité paysans défend et accompagne les agriculteurs en difficulté au 04.78.19.06.52 ou au 04.78.59.61.87 ou à 01-69@solidaritepaysans.org
À venir en 2019
Le dispositif national à ancrage local baptisé Agri-sentinelles prévoit la mise à disposition d'un répertoire des dispositifs d'accompagnement des éleveurs existants, des formations, des outils, des temps d'échanges. Ce réseau multi-partenarial s'adressera aux techniciens, conseillers, vétérinaires et agriculteurs volontaires pour s'impliquer dans la prévention du suicide et mieux repérer ceux qui sont en difficulté ou en détresse psychologique.