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mardi 18 décembre 2018

ARTICLE PRESSE Sans désir comment peut-on avoir envie de vivre ?

Sans désir comment peut-on avoir envie de vivre ?

Francis Carrier * 7 décembre 2018
sur http://grey-pride.blogs.liberation.fr**



Toute notre vie nous choisissons avec qui nous mangeons, rions, baisons, dormons, discutons... alors pourquoi cela changerait-il en vieillissant ?

Une des manifestations la plus terrible de l’exclusion des vieux, c’est le suicide. Partie émergée de l’iceberg du mal-être de notre vieillesse.

La France a le triste privilège du record européen de suicides de personnes âgées.

Trois mille personnes de plus de 65 ans se sont donné la mort en 2014, 70% à leur domicile et majoritairement des hommes vivant seuls.

Et pourtant qui en parle ?

Le nombre de tués sur les routes est de 3300 personnes ; le gouvernement propose régulièrement de nouvelles dispositions pour diminuer ce nombre, mais que fait-on pour lutter contre le suicide des vieux ?

Les vieux qui en finissent ne sont généralement pas dépressifs mais désespérés. Désespérés par perte du goût de vivre et la promesse d’une vie qui ne correspond pas à leurs attentes

En vieillissant le désir de vivre devient plus fragile et il suffit parfois d’un regard, d’un changement dans la vie, l’acte d’un proche pour le faire disparaître. Un acte qui ne semble pas à priori d’une grande violence mais qui suffit pour faire vaciller la flamme.

La violence faite aux personnes âgées ne se réduit pas aux violences que la loi sait réprimée : violence physique, privation, abus de faiblesse, etc...

La violence est avant tout une violence que l’on peut qualifier de douce... Violence que l’on ne veut pas voir et qui n’est pas punie par la loi.

Une violence «naturelle» qui me fait penser au regard de la société il y a une trentaine d’années sur les violences conjugales... A l’époque battre sa femme était un fait privé, quelque chose dont les voisins ne voulaient pas se mêler, et même si malheureusement beaucoup de femmes subissent encore la violence, la loi a profondément évoluée et a même reconnu le viol entre époux.

Pour les vieux, nous en sommes encore à considérer que la violence qu’ils subissent est une fatalité liée à leur situation de vieux.

Être vieux, devient peu à peu une identité... qui induit pour l’entourage de progressivement faire des choix à sa place, et de le considérer comme incompétent pour décider de ce qui est bien pour lui ou pour elle.

Etre vieux, devient un délit... délit de sale gueule, délit de lenteur, délit de maladresse, délit d’exhibition pour les personnes désinhibées... ainsi ça ne choque personne de regrouper les vieux ensemble, de les mettre en dehors des villes dans une ambiance sans âme avec des règlements qui interdisent d’avoir un animal de compagnie, d’avoir ses propres meubles s’ils ne sont pas ignifugés, d’être soumis au rythme imposé par l’établissement et avec très souvent l’impossibilité de sortir à l’extérieur..

Ça ne choque personne que des mesures de contention physique ou chimique soient décidées en privant de leurs droits fondamentaux les personnes qui dérangent...

Être vieux devient une pathologie... entouré d’un personnel avec des blouses, dans une ambiance aseptisée, pathologie qui permet de désigner le vieux comme un malade et donc de le réduire progressivement à sa maladie...

Vieux ou jeune, ce qui nous permet de vivre et de nous lever chaque matin c’est le désir. Le désir produit du plaisir et le plaisir entretient le désir. Plaisir que l’on reçoit en rencontrant des amis, en s’occupant des autres, en faisant un bon repas, en faisant l’amour, en évoquant des souvenirs heureux...

Pour pouvoir bien vieillir, il est essentiel de conserver un champ du désir le plus large possible et bien sûr de pouvoir continuer à aimer et à faire l’amour.

Notre perception de la sexualité des vieux est imprégnée de tout un tas de fausses idées :

«Il y aurait une limite physiologique au désir sexuel...

Les personnes âgées ne s’intéresseraient plus au sexe...

Avec l’âge, la tendresse remplacerait la sexualité...»

Toutes ces affirmations sont fausses et font que la sexualité est un sujet qui reste soit tabou, soit déconsidéré, soit ridiculisé.

L’arrêt de la sexualité a pour cause principalement l’absence de partenaire, le regard dévalorisant ou réprobateur de notre environnement, ou une auto-censure liée a l’impossibilité de faire sa révolution narcissique pour accepter son propre corps.

Les personnes appartenant a des minorités sexuelles ou les personnes trans sont totalement invisibilisées. Par crainte d’être discriminées, toutes ces minorités sont condamnées à se cacher, à ne pas montrer leur désir et à taire l’histoire de leur vie.

Comment imaginer une seule seconde que l’on puisse se préoccuper de la qualité de vie des personnes âgées sans prendre en compte leurs désirs d’aimer et d’être aimé-e ?

La campagne que GreyPRIDE a lancé, #REVOLUTIONSENIOR est faite pour pouvoir sensibiliser tous les acteurs du bien vieillir à la nécessité de changer de regard. Parler de sexualité, de désir, de plaisir, devrait être au centre de l’accompagnement des personnes âgées.

Il y a une urgence à former tous les acteurs du monde médico social à la sexualité, aux orientations sexuelles, à l’identité de genre et au VIH.

50 000 personnes séropositives arrivent à l’âge de la retraite et si rien n’est fait elles subiront les mêmes discriminations que nous avons connues dans les années 80 dans le secteur hospitalier.

S’il est une preuve que les seniors restent sexuellement actifs c’est, malheureusement, les statistiques de contaminations par le VIH des plus de 50 ans homos ou hétérosexuels. 20% des cas enregistrés concernent cette classe d’âge, et ce pourcentage est en constante progression.

Alors vous qui me lisez, changez de regard. Ne regardez pas les vieux comme des objets de soin, mais comme des êtres pétris de désirs.

On ne peut pas être bienveillant en décidant à la place de ceux qui sont concernés. On ne peut pas être bienveillant en créant des structures dans lesquelles les personnes ne veulent pas aller. On ne peut pas être bienveillant si on est incapable de les écouter et de veiller à entretenir leur désir de vivre.

Nous devons prendre en compte les personnes âgées dans leur globalité et leur diversité, ainsi cela nous permettra de moins craindre, pour nous-même, de vieillir.

Le désespoir et l’exclusion ne sont pas une fatalité, pensons différemment, pour construire un modèle de société dans laquelle nous pourrons vieillir sereinement.

*Extrait d'Un blog écrit par : Francis Carrier, militant de la première heure de la lutte contre le sida est le fondateur de l’association GreyPRIDE. Son parcours militant et son engagement comme bénévole aux Petits Frères des Pauvres l’ont conduit à se préoccuper des conditions de vie des seniors et plus particulièrement des seniors LGBT+ (Lesbienne,Gay,Bi,Trans).
GreyPRIDE pose le problème de l’accueil des minorités dans les dispositifs existants (aide à domicile, maisons de retraite, EHPAD…) et travaille sur de nouvelles solutions.
S’inspirant du modèle militant de la lutte contre le SIDA, Francis Carrier propose la formation de groupes de pression militants pour faire évoluer les politiques publiques et les dispositifs existants.
contact@greypride.fr

** http://grey-pride.blogs.liberation.fr/2018/12/07/sans-desir-comment-peut-avoir-envie-de-vivre/