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jeudi 29 novembre 2018

ARTICLE the economist Pourquoi le suicide baisse dans le monde, et comment le faire baisser davantage

Rester en vie
Pourquoi le suicide baisse dans le monde, et comment le faire baisser davantage
Sur https://www.lenouveleconomiste.fr*

Parmi les explications à cette baisse : l’urbanisation, la diminution des mariages forcés et un accès plus difficile aux moyens d’autodestruction © Freepik
The Economist

Vous savez, dit un trader dans ‘Margin Call’, un film sur la crise de 2008, alors qu’il parle perché au sommet d’un immeuble qui domine Wall Street, “le sentiment que les gens ressentent quand ils se tiennent au bord du vide comme ça, ce n’est pas la peur de tomber, c’est la peur d’avoir envie de sauter”. Le suicide nous fascine. C’est épouvantable et pourtant, dans les recoins les plus sombres de notre esprit, cela peut paraître séduisant. C’est la forme de mort la plus dommageable. Le suicide d’un enfant est le pire cauchemar d’un parent, et celui d’un parent marque ses enfants à vie. C’est la marque d’une détresse individuelle et aussi celle d’un échec collectif : si la vie en société est trop pénible, nous sommes peut-être tous coupables.

Le taux de suicide en Amérique est en hausse de 18 % depuis 2000. Ce n’est pas seulement une tragédie, c’est aussi un problème politique. Cette augmentation concerne surtout des hommes blancs, d’âge moyen et peu instruits, dans des régions laissées pour compte par le boom économique et écrasées par les crises. Certains voient le président Trump comme une solution aux problèmes dont ces morts sont le symptôme. Des problèmes qui ne devraient pas être ignorés.

“C’est la marque d’une détresse individuelle et aussi celle d’un échec collectif : si la vie en société est trop pénible, nous sommes peut-être tous coupables.
Le taux de suicide en Amérique est en hausse de 18 % depuis 2000. Ce n’est pas seulement une tragédie, c’est aussi un problème politique”

Néanmoins, au-delà de cette triste tendance en Amérique, il y a des chiffres plus positifs : au niveau mondial, le suicide a diminué de 29 % depuis 2000. En conséquence, 2,8 millions de vies ont été sauvées pendant cette période, soit trois fois plus que le nombre de morts dans des conflits. Il n’y a pas une explication unique. Cette baisse se produit à des rythmes différents selon les groupes et les régions concernées. Cette baisse est particulièrement sensible chez trois groupes de personnes.

L’un de ces groupes est formé par les jeunes femmes en Chine et en Inde. Dans la plupart des pays du monde, les personnes âgées se tuent plus souvent que les jeunes, et les hommes plus que les femmes. Mais en Chine et en Inde, les jeunes femmes ont été particulièrement sujettes au suicide. C’est de moins en moins le cas. Un autre groupe est composé d’hommes d’âge moyen en Russie. Après l’effondrement de l’Union soviétique, l’alcoolisme et le suicide ont explosé dans cette catégorie. Les deux phénomènes sont désormais en recul. Une troisième catégorie est celle des personnes âgées dans le monde entier. Le taux de suicide chez les personnes âgées demeure, en moyenne, plus élevé que dans le reste de la population, mais il a également diminué plus rapidement depuis 2000 que dans les autres groupes.

Pourquoi ces personnes sont-elles désormais moins susceptibles de se suicider ? L’urbanisation et une plus grande liberté y ont contribué. Les récits de ceux qui ont tenté de se suicider et des proches de ceux qui réussissent à mourir laissent penser que de nombreuses jeunes femmes asiatiques ont été poussées au désespoir par des maris violents et des beaux-parents dominateurs. Quand ces gens s’installent dans des villes, quand l’emprise de la tradition se relâche, les femmes ont plus de liberté dans le choix de leur conjoint ou de leur compagnon, ce qui rend la vie plus supportable. Quitter leur village est aussi un facteur positif. Parce que l’agriculture implique de tuer des animaux, les ruraux ont plus de probabilités d’avoir les moyens de se suicider – qu’il s’agisse d’armes à feu ou de pesticides – à portée de main.

“Parce que l’agriculture implique de tuer des animaux, les ruraux ont plus de probabilités d’avoir les moyens de se suicider – qu’il s’agisse d’armes à feu ou de pesticides – à portée de main”

La stabilité sociale est également un facteur. Dans les turbulences qui ont suivi l’effondrement de l’Union soviétique, de nombreuses personnes d’âge moyen ont vu leurs revenus et leur statut s’effondrer. Les chômeurs se suicident deux fois et demie plus que les actifs. On estime que le krach financier de 2007-2008 et les récessions qui en ont résulté ont provoqué environ 10 000 suicides supplémentaires en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Au fur et à mesure que les crises se résorbent et que le chômage baisse, le suicide a tendance à diminuer. Et la baisse du taux de pauvreté chez les personnes âgées, qui a été plus rapide que dans d’autres groupes sociaux à l’échelle mondiale, aurait contribué à la baisse du nombre de suicides chez les seniors.

Mais ce déclin n’est pas seulement la conséquence de grandes tendances sociales. La politique joue également un rôle. Lorsque Mikhaïl Gorbatchev a diminué la production et la vente d’alcool au milieu des années 1980, consommation d’alcool et suicides ont fortement diminué. Cette réglementation n’a pas survécu à la chute de l’Union soviétique, la consommation d’alcool et le suicide se sont de remis à augmenter. Les restrictions décidées par Vladimir Poutine en 2005 auraient contribué à ce récent déclin.

Les gouvernements peuvent également contribuer à limiter les conséquences des problèmes économiques et sociaux. Les politiques actives pour l’emploi, qui aident les chômeurs à se recycler et à retrouver un emploi, préviennent de nombreux suicides. Et les dépenses en matière de santé, en particulier celles qui profitent le plus aux personnes âgées et aux malades, peuvent faire une grande différence : la peur de la douleur chronique est l’une des choses qui poussent les gens à chercher une fin rapide. La chute remarquable et récente du taux de suicide chez les Britanniques âgés s’explique peut-être en partie par le fait que le système britannique de soins palliatifs est le meilleur au monde.

“La chute du taux de suicide chez les Britanniques âgés s’explique peut-être en partie par le fait que le système britannique de soins palliatifs est le meilleur au monde”

Les efforts visant à limiter l’accès aux moyens de se suicider peuvent également être utiles. Le suicide est étonnamment impulsif. Une étude menée auprès de jeunes femmes chinoises qui avaient tenté de se suicider a montré que les trois cinquièmes d’entre elles envisageaient de se suicider depuis moins de deux heures, et une sur dix depuis moins d’une minute. Sur 515 personnes qui ont survécu à un saut depuis le pont Golden Gate de San Francisco entre 1937 et 1971, 94 % étaient encore en vie en 1978, ce qui suggère qu’un suicide reporté est probablement un suicide évité.

Les gouvernements peuvent faire beaucoup pour diminuer un peu plus les tentatives d’autodestruction. Les pesticides les plus toxiques représentent le moyen utilisé dans un suicide sur 7. Lorsque la Corée du Sud a interdit l’un d’eux, le paraquat, en 2011, elle a enregistré une baisse du nombre de suicides, mais la production agricole n’a pas baissé. Exiger que les médicaments potentiellement mortels ne soient vendus qu’en petites quantités, comme certains pays le font pour l’aspirine et le paracétamol, s’est également révélé utile. Mais la mesure la plus efficace de toutes est de limiter l’accès aux armes à feu. La moitié de tous les Américains qui se suicident le font avec une arme, et le taux global de suicide par arme à feu en Amérique est environ deux fois plus élevé qu’en Grande-Bretagne, où le contrôle des armes à feu est très strict. Le taux de possession d’armes à feu explique en grande partie la variation des taux de suicide d’un État américain à l’autre.

Les médias ont aussi leur part de responsabilité. Le suicide est étrangement contagieux. Lorsque l’acteur Robin Williams s’est suicidé en 2014, sa méthode et ses motifs ont été décrits en détail. Les chercheurs estiment qu’il y a eu 1 800 suicides supplémentaires au cours des quatre mois qui ont suivi, souvent selon la même méthode. Les journalistes devraient évoquer ces tragédies avec moins de détails et plus de retenue.

“Le taux de possession d’armes à feu explique en grande partie la variation des taux de suicide d’un État américain à l’autre”

Pour quelques personnes – celles qui sont en phase terminale, qui souffrent beaucoup et qui sont déterminées à mourir – le suicide peut paraître la moins terrible des solutions. Dans de telles circonstances, et en s’entourant de règles strictes, les médecins devraient être autorisés à leur apporter leur aide. Mais un grand nombre des 800 000 personnes qui se suicident chaque année agissent à la hâte, et il serait possible d’en sauver davantage en améliorant les services de santé, les politiques en matière d’emploi et en réduisant la consommation d’alcool, d’armes, de pesticides et de médicaments. L’Amérique, en particulier, pourrait éviter beaucoup de souffrance en s’appuyant sur des progrès réalisés dans d’autres pays.
* https://www.lenouveleconomiste.fr/pourquoi-le-suicide-baisse-dans-le-monde-et-comment-le-faire-baisser-davantage-66170/
© 2018 The Economist Newspaper Limited. All rights reserved. Source The Economist, traduction Le nouvel Economiste, publié sous licence. L’article en version originale : www.economist.com.



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COMPLÉMENT ARTICLE SUR

www.economist.com titre original : Defeating despair Suicide is declining almost everywhere
Edition | International
24 novembre 2018 | BEIJING, DELHI, MOSCOU ET SEOUL

ZOZH EST un néologisme russe, né d'un acronyme pour un mode de vie sain. Il est visible sur Instagram, où des millions de messages célèbrent des corps nouvellement tonifiés. le boom des clubs de santé dans les villes russes; dans la
prolifération des cafés où les jeunes sirotent des sodas et grignotent du muesli. Il est si populaire que le groupe de rock le plus célèbre de Russie, Leningrad, en a fait la satire: «Ils disent que boire n’est pas à la mode, c’est une sorte de zozh. Avant il était ivre, et maintenant il est muscleman. »La vidéo de la chanson décrit des hommes en train de mourir de manière horrible pendant l’exercice.

Zozh est peut-être risible pour un groupe qui pratique le cynisme dégénéré, mais pour le reste de la Russie, c'est une excellente nouvelle. Cela fait partie d’une transformation sociale qui a contribué à bannir les démons de la Russie. Alors que l'exercice et les smoothies ont remplacé le désespoir et l'alcool, le taux de suicide en Russie s'est effondré. Et cette tendance n’est pas propre à la Russie (voir graphique).


À l'échelle mondiale, ce taux a diminué de 38% par rapport à son sommet de 1994. En conséquence, plus de 4 millions de vies ont été sauvées, soit quatre fois plus de personnes que de personnes tuées au combat au cours de cette période. Le déclin a eu lieu à des rythmes et à des époques différents selon les régions du monde. En Occident, cela a commencé il y a longtemps: en Grande-Bretagne, par exemple, le taux masculin atteignait environ 30 pour 100 000 habitants par an en 1905, puis au même niveau en 1934, pendant la Grande Dépression; chez les femmes, il a culminé à 12 en 1964. Dans la plupart des pays occidentaux, il est resté stable ou a diminué au cours des deux dernières décennies.

Dans d'autres régions du monde, les taux ont baissé plus récemment. La Chine a commencé à baisser dans les années 90 et a régulièrement décliné, pour se stabiliser ces dernières années. Les taux de la Russie, du Japon, de la Corée du Sud et de l’Inde, toujours élevés, ont tous baissé.

L'Amérique est la grande exception. Jusqu'au début du siècle, ce taux a baissé avec celui d'autres pays riches. Mais depuis lors, il a augmenté de 18% à 12,8%, soit bien au-dessus du taux actuel de sept pour la Chine. Les baisses enregistrées dans ces autres grands pays dépassent toutefois de loin la hausse en Amérique.

Bien que les chiffres américains soient probablement fiables, il y a lieu de traiter certaines de ces données avec prudence. Certains pays où des religions puissantes interdisent le suicide ont historiquement sous-déclaré l'acte; certains le font encore. Par exemple, une étude récente menée en Iran sur les tentatives de suicide révèle un taux dix fois supérieur à celui du ministère de la Santé. Mais les tendances sont probablement globalement correctes. Les experts estiment généralement que les données s’améliorent plutôt que d’empirer, ce qui (compte tenu de la sous-déclaration passée) aurait tendance à pousser les taux à la hausse plutôt que de les baisser, alors que l’inverse se produit.

Pourquoi?

L'une des principales raisons semble être l'amélioration du sort des femmes asiatiques. Dans la plupart des pays, les hommes sont plus susceptibles de se suicider que les femmes et les personnes plus âgées plus que les plus jeunes. Mais en Chine et en Inde, le taux de suicide chez les jeunes femmes a longtemps été exceptionnellement élevé.

Ça a changé. Parmi les femmes chinoises dans la vingtaine, ce taux a diminué de neuf dixièmes depuis le milieu des années 90; ce groupe représente environ un demi-million de ces 4 millions de vies sauvées.

Jing Jun, professeur à l’Université Tsinghua de Beijing, a déclaré: «L’indépendance des femmes a sauvé beaucoup de femmes», a déclaré Jing Jun.  Dans une étude de 2002 portant sur les taux élevés chez les jeunes femmes rurales, les deux tiers de celles qui ont tenté de se suicider ont cité des mariages malheureux, les deux cinquièmes ont dit avoir été battues par leur conjoint et un tiers se sont plaintes de conflits avec leur belle-mère. Le professeur Jing explique : "Elles se mariaient dans la famille de leur mari ; elles quittaient leur ville natale ; elles allaient dans un endroit où elles ne connaissaient personne." De nos jours, la pénurie peut accroître la valeur et le pouvoir des femmes rurales : dans les villages chinois, chez les 30 à 34 ans, il y a trois hommes célibataires pour chaque femme célibataire.

Il se peut qu'il se passe quelque chose de similaire en Inde. «En Inde, les jeunes femmes sont confrontées à des normes de genre particulièrement difficiles, a déclaré Vikram Patel, de la faculté de médecine de Harvard. Si les parents désapprouvent une relation, ils diront à la police que leur fille a été enlevée. Les policiers éloigneront alors un jeune homme de 21 ans d’une relation consensuelle. En conclusion, conclut-il, de nombreux suicides en Inde «sont liés au manque d’organisme pour que les jeunes choisissent leur propre partenaire romantique». Avec la libéralisation des mœurs sociales, cela change. Les taux chez les jeunes femmes ont diminué plus rapidement que chez tout autre groupe depuis 1990; M. Patel pense qu'ils vont continuer à s'améliorer à mesure que la libéralisation sociale se poursuit.

L'urbanisation a probablement aidé à la fois en Chine et en Inde.
Cela semble contre-intuitif dans la mesure où il est associé à l'affaiblissement des liens sociaux qui, selon Emile Durkheim, sociologue et théoricien du suicide du XIXe siècle, a contribué à protéger les personnes contre les pulsions suicidaires. Pourtant, partout dans le monde, les taux de suicide tendent à être plus élevés dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Les liens sociaux contraignent parfois les personnes tout en les maintenant; fuir un mari violent ou une belle-mère tyrannique est plus facile dans une ville que dans un village. Et les moyens de se tuer sont plus difficiles à trouver en ville qu'à la campagne.

En Chine et en Inde, le taux élevé chez les jeunes femmes constituait la curiosité démographique, mais en Russie, le taux était élevé chez les hommes d'âge moyen. Ils semblaient être les victimes de l'énorme bouleversement social survenu après l'effondrement de l'Union soviétique. Cette période est animée par «Second-Hand Time», une histoire orale de Svetlana Alexievich, auteure récompensée par un prix Nobel, qui se distingue par un motif sinistre: ses personnages continuent de se suicider.

Porté par la faim et la pauvreté, un homme s’est immolé par le feu dans son potager. Un ancien combattant vieillissant a survécu à la Seconde Guerre mondiale, avant de se jeter dans un train en 1992. Un officier qui a pris part à la tentative de coup d'État contre Mikhail Gorbatchev en 1991 s'est par la suite pendu au Kremlin. «Tout ce que j’ai considéré jusqu’à présent comme le sens de ma vie est en train d’être détruit», écrit-il dans une note de suicide.

L'hyperinflation, la baisse des revenus et le chômage endémique dans les premières années de transition ont laissé de nombreuses personnes dans la misère et le besoin . La crise financière de 1998, au cours de laquelle le gouvernement russe a été en défaut de paiement de ses dettes, a anéanti l’épargne de nombreuses familles. Depuis le début des années 2000, toutefois, les tendances se sont inversées. Le taux de suicide en Russie se situe maintenant à 25, ce qui est très élevé par rapport aux normes mondiales, mais a diminué de moitié par rapport à son sommet. La baisse s’est produite de manière disproportionnée chez les hommes d’âge moyen, le groupe qui a le plus souffert dans les années 90.

Une des principales raisons est probablement que la société se stabilise après le bouleversement de l'ère post-soviétique. Selon Olga Kalashnikova, psychologue au département de psychiatrie du suicide et des crises de l'hôpital numéro 20 de la ville de Moscou, «les gens savent maintenant comment se débrouiller et se débrouiller sans l'État». Depuis 2000, le PIB par habitant a presque doublé. Les salaires ont récupéré leurs pertes des années 1990 et plus. Le chômage est inférieur à 5%. L'hypothèse socio-économique est renforcée par les taux de suicide relativement élevés observés chez les hommes des zones rurales, qui ont tendance à être moins aisés. Ilnur Aminov, un démographe, souligne que près de 40% de tous les suicides dans sa région d'origine de Bachkirie sont dus à des chômeurs.

Il existe des parallèles entre la montée du suicide dans la Russie post-soviétique et la «mort du désespoir» en Amérique identifiée par Anne Case et Sir Angus Deaton, économistes à l'Université de Princeton. Les taux de suicide chez les Blancs américains sont plus élevés et ont augmenté plus rapidement depuis 2000 que chez tout autre groupe, à l'exception des Amérindiens (voir graphique). La même tendance peut être observée chez les personnes d'âge moyen. Au tournant du siècle, les personnes âgées étaient beaucoup plus susceptibles de se tuer que celles âgées de 50 ans, mais ce n'est plus vrai. Les taux parmi les habitants des zones rurales sont plus élevés et ont augmenté plus rapidement que ceux des habitants des villes et des villages.



Il est difficile de conclure que l’explication n’est qu’une simple explication économique: revenus médians stagnants et taux d’emploi en baisse. Les Noirs et les Hispaniques ont connu des problèmes économiques similaires à ceux des Blancs et les taux d'emploi des jeunes ont tendance à être inférieurs à ceux des personnes d'âge moyen. Mme Case et Sir Angus ont expliqué que «des histoires familières sur la mondialisation et l'automatisation, les changements de coutumes sociales qui ont permis des changements dysfonctionnels dans les modèles de mariage et d'éducation des enfants, le déclin des unions et autres. En fin de compte, nous considérons que notre histoire a trait à l'effondrement de la classe ouvrière blanche après son heure de gloire au début des années 1970 et aux pathologies qui accompagnent ce déclin. »

L'augmentation du taux de suicide aux États-Unis a précédé le krach économique, mais s'est accélérée lors de la récession qui a suivi. Les recherches suggèrent qu'après la crise économique mondiale, une hausse des taux de suicide en Europe, en Amérique et au Canada a entraîné 10 000 décès supplémentaires entre 2007 et 2010. La dette, la forclusion et le chômage sont tous impliqués dans le suicide: des chômeurs se suicident à un taux de 2,5 fois plus élevés que ceux qui travaillent. La pointe des suicides en Corée du Sud a suivi la crise financière asiatique de 1997-1998.

La politique peut atténuer les effets de la récession. Selon les recherches de David Stuckler de l'Université Bocconi de Milan, le nombre de suicides n'a pas augmenté en Suède, que ce soit durant la récession de 1991-1992 ou après 2007. M. Stuckler attribue cela en partie à l'amélioration des services de santé. à tous que dans des pays tels que l’Amérique où il est lié à l’emploi - et aux efforts du gouvernement pour ramener les gens au travail. Une étude menée dans 26 pays européens a montré une corrélation inverse entre les taux de suicide et les dépenses consacrées aux politiques actives du marché du travail. Les observateurs de suicide du Japon attribuent cette baisse en partie au succès des Abenomics dans la réduction du chômage. Michiko Ueda, de l’Université de Waseda, pense que l’économie est la «raison numéro un» du déclin du suicide.

L’alcool est également clairement lié au suicide - du moins dans les cultures de «
dry drinking», telles que la Russie, l’Europe orientale et la Scandinavie, où les gens boivent pour se saouler, mais pas dans les lieux de «wet drinking», comme l'Europe centrale et du Sud, où ils boivent socialement pendant un repas. En Russie, l'alcool et le suicide ont augmenté et diminué en même temps. La consommation d'alcool a diminué de moitié entre 2003 et 2016; à ce moment-là, les Russes buvaient moins par tête que les Français ou les Allemands. Alors que les Russes adoptent des modes de vie plus sains, la part du marché de la bière augmente et celle des spiritueux est en baisse.

Suicide et alcool semblent aller de pair, mais les deux pourraient être l’effet de la turbulence sociale. Les preuves antérieures à l'effondrement de l'Union soviétique suggèrent toutefois que, dans une certaine mesure du moins, l'alcool mène au suicide. En 1985, M. Gorbatchev a imposé des règles strictes à la production et à la distribution d'alcool. Les ventes de vodka ont diminué de moitié entre 1984 et 1986. Au cours de cette période, le taux de suicide chez les hommes a diminué de 41% et le taux chez les femmes de 24%. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, le monopole de l’État sur l’alcool a été aboli et la réglementation a été abolie. La consommation d'alcool et le suicide ont tous deux augmenté.

L'intervention de l'État est probablement en partie responsable de la récente chute du suicide. En 2006, les nouvelles règles sur la production et la distribution d’alcool ont fait monter les prix. L'analyse statistique suggère que ces restrictions ont entraîné une baisse de 9% du nombre de suicides chez les hommes, ce qui a permis de sauver 4 000 vies par an. une politique similaire en Slovénie en 2003 a entraîné une baisse de 10%.

L'amélioration de la vie des personnes âgées aurait également contribué à réduire les taux de suicide. Globalement, le taux chez les personnes âgées a tendance à être plus élevé que chez les jeunes et les personnes d'âge moyen, mais il a également diminué plus rapidement dans la plupart des pays.

Cela peut s'expliquer en partie par le fait que, comme le souligne Diego de Leo, ancien directeur de l'Australian Institute for Suicide Prevention and Research, les taux de pauvreté des personnes âgées (souvent les plus pauvres de la société) ont diminué plus rapidement dans le monde que ceux des autres groupes. De meilleurs services de santé, plus utilisés par les personnes âgées que par les jeunes, peuvent être une autre raison. La maladie à long terme est une cause fréquente de suicide, et les efforts pour soulager la douleur des patients peuvent faire une grande différence. Le système britannique de soins palliatifs, considéré comme le meilleur au monde, contribue à expliquer une baisse remarquable du taux de suicide chez les personnes âgées.

Les soins à domicile peuvent également réconforter les personnes âgées. M. de Leo évoque l'afflux de badanti, des travailleurs migrants en Italie. Les enfants italiens sont réticents à confier leurs parents dans les maisons de retraite, mais ils n’ont souvent ni le temps ni la volonté de s’occuper eux-mêmes des personnes âgées. Les travailleurs migrants, explique le professeur de Leo, ont apporté «une amélioration considérable». (Trop souvent, râlent des Italiens d'âge moyen, consternés par la relation de leurs parents âgés avec des migrants supposés chercher de l'or.)

Jing Jun, de l'Université Tsinghua, estime que la Chine doit également s'attacher à réduire le nombre de suicides chez les personnes âgées.
Il blâme la tradition chinoise en matière de responsabilité parentale. Avec la politique de l'enfant unique, il y a trop peu d'enfants pour en supporter le fardeau, et s'il y en a plus d'un, les parents peuvent se retrouver en conflit. «En Occident, vos enfants ne se disputent que le temps qu’ils passent avec vous. En Chine, ils se battent pour l’argent qu’ils dépensent pour vous. »Mais il ajoute que les choses vont dans la bonne direction: les taux chez les personnes âgées ont baissé à mesure que les prestations de retraite et de soins de santé s’amélioraient.


Restreindre l'accès aux moyens de se tuer peut également faire une grande différence. Le suicide est un acte étonnamment impulsif, en particulier chez les jeunes. Selon cette étude réalisée en 2002 sur de jeunes Chinoises ayant tenté de se suicider, trois cinquièmes envisageaient de se suicider depuis deux heures ou moins, dont deux cinquièmes qui y pensaient depuis dix minutes ou moins, et une sur dix pour juste une minute. S'attaquer au poison à base de rat  - 88% d'entre eux avaient utilisé des pesticides agricoles - entraînera probablement beaucoup plus de décès que la saisie d'une bouteille de pilules. Cela peut aider à expliquer pourquoi la baisse des taux chez les femmes chinoises a été plus marquée que chez les hommes. Dans les zones urbaines, les hommes privilégient les moyens violents tels que suspendre ou sauter de bâtiments, tandis que les femmes ont tendance à préférer les médicaments, qui risquent moins de les tuer. Ainsi, s’éloigner des zones rurales a tendance à sauver plus de femmes que d’hommes.

Mieux vaut ne jamais tarder

Les gens ont tendance à croire que ceux qui ont l'intention de se suicider finissent par le faire. Dans une enquête réalisée par Matthew Miller de la Northeastern University, 34% des personnes interrogées pensaient que toutes les personnes ayant sauté du Golden Gate Bridge, ou la plupart d'entre elles, auraient trouvé un autre moyen de se suicider si une barrière les avait stoppées; 40% pensent que la plupart l’auraient. Mais une étude portant sur 515 personnes ayant survécu au saut entre 1937 et 1971 a montré que 94% d'entre elles étaient encore en vie lorsque l'étude a été réalisée en 1978, ce qui suggère que le suicide est souvent une impulsion éphémère plutôt qu'une intention bien établie.

La Grande-Bretagne dans les années 1960 illustre parfaitement ce qui peut arriver si l'accès à un moyen facile de se tuer est exclu. Lorsque le pays est passé du gaz de charbon toxique - le moyen de suicide préféré des femmes et des hommes âgés - au gaz inoffensif de la mer du Nord, les taux parmi ces groupes se sont effondrés. À l'époque, les taux étaient en hausse chez les jeunes hommes, ce qui conforte l'idée que le commutateur de gaz a joué un rôle.

C’était la conséquence fortuite d’une découverte d’énergie, mais une politique délibérée peut jouer un rôle dans la limitation de l’accès au suicide. Une série d'interdictions au Sri Lanka - la plus récente en 2008-2011 concernant le paraquat - a permis de ramener le taux de 45 au début des années 90 à 20 aujourd'hui. Lorsque la Corée du Sud a interdit le paraquat en 2011, on estime que la réduction du nombre de décès par suicide a contribué pour moitié à la diminution globale du nombre de suicides au cours des deux prochaines années. Le paraquat est maintenant interdit dans l'UE; La Chine a dit qu'elle l'interdirait. la distribution est restreinte en Amérique; mais dans de nombreuses régions du monde, il reste librement disponible.

En Europe occidentale, où les pesticides ne constituent plus un risque sérieux, l’accent a été mis sur la limitation de l’accès aux pilules dangereuses. En Grande-Bretagne, par exemple, une loi a été adoptée en 1998 pour limiter le nombre d’aspirines et de paracétamol pouvant être vendus dans un seul emballage. L'année suivante, les suicides liés à l'aspirine ont diminué de 46% et ceux au paracétamol de 22%. Les plaquettes sont également utiles, car les pilules doivent être expulsées péniblement une à une, ce qui permet à un soi-disant suicide de revenir en arrière. En Amérique, hélas, le paracétamol est toujours vendu en vrac, de sorte que 50 comprimés peuvent être gorgés en une fois.

Mais le principal moyen de suicide en Amérique sont les armes à feu. Ils représentent la moitié des suicides, et les suicides représentent plus de décès par arme à feu que les homicides. Les armes à feu sont plus efficaces que les pilules. Par conséquent, les personnes qui se tirent impulsivement risquent davantage de se retrouver à la morgue que dans le service des urgences. Selon Matthew Miller, de l’Université de Harvard, les niveaux de possession d’armes à feu expliquent en grande partie la variation des taux de suicide, allant de 26 pour 100 000 dans le Montana à cinq à Washington, DC. Si l’Amérique abandonnait ses armes, les suicides s’écraseraient.

La retenue  des médias peut également jouer un rôle. Même à la mort, les gens sont influencés par les célébrités. C’est ce que l’on appelle «l’effet Werther», après la série de suicides qui a suivi la publication en 1774 d’un roman de Goethe qui se termine par le suicide du héros éponyme. Particulièrement courant en Asie, le phénomène a été observé dans le monde entier. Après que le comédien américain Robin Williams se soit pendu en 2014, les chercheurs ont calculé qu'il y avait 1 841 suicides de plus, soit une augmentation de 10%, par rapport aux prévisions pour les quatre prochains mois. L’augmentation des pendaisons et des personnes d’âge moyen a été particulièrement marquée.

Les experts en suicide ont critiqué le shérif du comté de Marin pour avoir décrit en détail la méthode utilisée par Williams. Les rapports font clairement la différence. Paul Yip, de l'Université de Hong Kong, décrit les tendances sur le territoire après un article de première page en 1998 sur le suicide d'une femme s'empoisonnant au monoxyde de carbone. En un an, le nombre de suicides au charbon de bois était passé de zéro à 10% du total.
Quand un acteur sud-coréen, Ahn Jae-hwan, s'est tué en 2008 avec un fusain à charbon, la méthode est passée de moins de 1% des suicides sud-coréens à 8% en 2011, ce qui explique en grande partie la hausse globale du nombre de suicides. le taux dans cette période.

De nombreux pays ont des directives à l’intention des médias, qui disent essentiellement la même chose: n’écrivez pas les suicides de manière héroïque et n’indiquez pas le lieu ou la méthode en détail. La retenue des médias semble faire la différence. Après une vague de suicides dans le métro de Vienne, lorsque les gens se tuaient tous les six mois, les journaux ont été persuadés de cesser de signaler les suicides ou au moins de les empêcher de faire la une des journaux. Les nombres sont passés de un à quatre tous les six mois. Mais dans certains pays, les directives concernant les médias sont largement ignorées. Une étude sur les rapports de suicide de la Corée du Sud plus tôt cette année a montré que les trois quarts des articles donnaient des détails sur la méthode et l'emplacement, et que la moitié révélait le contenu de la note de suicide de la personne décédée. La fascination des lecteurs pour les détails sanglants du suicide l'emporte sur le journalisme responsable.

Face à l'horreur d'un ami ou d'une relation suicidaire, les gens se sentent effrayés et impuissants. Pourtant, les sociétés peuvent faire la différence - parler, écouter, aider les personnes qui traversent une période difficile. Donner aux femmes plus de contrôle sur leur vie, atténuer les effets du changement social, mieux soigner les personnes âgées, restreindre la façon dont le suicide est signalé, restreindre l'accès aux moyens de se tuer: tout cela peut rendre la vie un peu plus digne d'être vécue , ou du moins persuader les désespérés de s’y accrocher jusqu’à ce qu’il en soit ainsi.

Cet article a été publié dans la section internationale de l'édition imprimée sous le titre "Vaincre le désespoir".
https://www.economist.com/international/2018/11/24/suicide-is-declining-almost-everywhere