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lundi 12 février 2018

CANADA témoignage d'une psychoéducatrice On parle rarement du décès par suicide d'un client dans la pratique des professionnels de la santé

Myriam Lefebvre Psychoéducatrice à l’Institut Universitaire en santé mentale de Montréal

Suicide: Ne passez pas sous le radar
On parle rarement du décès par suicide d'un client dans la pratique des professionnels de la santé, mais c'est une réalité malheureuse qui existe.
06/02/2018  quebec.huffingtonpost.ca*

Il faut encourager la prise de parole. Que ce soit pour verbaliser sa souffrance ou pour venir en aide à un proche.
Chaque année, lors de la semaine de la prévention du suicide, j'ai une pensée pour ces gens de passage dans ma vie, qui en raison d'une immense souffrance, ont fait le choix de commettre un geste irréversible et de mettre fin à leur trop jeune existence.
Évidemment, je pense à Pierre-Olivier. Un gars avec qui j'allais au secondaire qui s'est enlevé la vie à 14 ans. Le moment où le mot suicide est entré précocement dans mon vocabulaire de jeune adolescente. Je repense à cet instant où, en sanglots, sa mère m'a prise dans ses bras au salon funéraire et m'a fait prendre conscience de tout le drame derrière le geste. Je me souviens encore, quelques jours auparavant tu m'avais dit que tu aimais mon nouveau look. Tu étais bien le seul à apprécier mes croix dessinées au crayon noir sur le côté de mes yeux qui me donnaient une allure Emo !
Je pense aussi à Maryse. Une collègue d'un ancien travail qui s'est enlevé la vie pendant qu'elle était partie en congé maladie. Elle était ma colocataire de bureau ou plutôt de notre placard à balais. On se marchait sur les pieds et je rêvais qu'un bureau se libère sur l'étage.
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À la suite de son décès, je suis restée seule avec ses souliers qui l'attendaient à côté de sa chaise et les photos de ses enfants accrochées sur nos murs.
Notre placard est devenu soudainement si grand et vide.
Je pense à des amis; Sophie, J-F, qui ont posé ce geste totalement inattendu, mais qui après avoir fouillé de fond en comble leur profil Facebook, avaient laissé quelques messages et signaux de détresse. Des commentaires étranges qui subitement prenaient une tout autre signification.
Puis dans les derniers mois, il y a eu ce client au travail. Celui, qui dans le jargon, est passé sous le radar. Celui qui à peine quelques jours après avoir accepté les services de mon équipe, a mis fin à ses jours. Celui qui nous a laissé un petit mot... Parce qu'il le savait bien que c'est nous qui le retrouverions chez lui.
On parle rarement du décès par suicide d'un client dans la pratique des professionnels de la santé, mais c'est une réalité malheureuse qui existe. Lorsqu'on travaille avec l'être humain, on doit apprendre à tolérer l'incertitude, l'ambiguïté. On doit jongler avec une science qui est inexacte et avec des gens différents qui évidemment ont des émotions, des réactions et des comportements distincts. On se doit d'être particulièrement empathique et attentif à l'autre.
Confronté à un certain deuil de la toute-puissance thérapeutique, on apprend rapidement que ça prend beaucoup d'humilité pour bien faire ce travail.
Le décès par suicide d'un client, ça ébranle un peu les convictions et les illusions. Cela nous ramène à un sentiment d'impuissance et à la violence de l'expérience de la maladie mentale.
J'ai repassé l'entrevue que j'ai faite avec cette personne des dizaines et des dizaines de fois dans ma tête. Est-ce que j'ai dit les bons mots au bon moment? Est-ce qu'il y avait des signes? Qu'est-ce que je n'ai pas vu? Est-ce que j'aurais dû faire l'entrevue dans un lieu différent? Est-ce que j'ai abordé trop rapidement ses antécédents? Je ne sais pas. Par contre, ce que je sais, c'est qu'à ce moment précis, il n'a rien mentionné de sa souffrance. C'est qu'à aucun moment, je n'ai pu percevoir qu'il avait l'intention de passer à l'acte.
Si cela avait été le cas, on aurait pu l'aider différemment.
Mon équipe et moi, on aurait pu mettre en place les interventions nécessaires pour lui assurer un filet de sécurité, pour susciter l'espoir, pour faire grandir la partie de lui qui veut vivre et pour essayer d'apaiser ses émotions douloureuses, mais qui sont temporaires.
Cette année, le thème de la campagne lancée par l'Association québécoise de prévention du suicide est : « Parler du suicide sauve des vies. » Parce qu'effectivement, il faut encourager la prise de parole. Que ce soit pour verbaliser sa souffrance ou pour venir en aide à un proche.
Évidemment, je sais que l'accessibilité aux soins de santé et de services sociaux n'est pas optimale et que le processus est périlleux. Les listes d'attente sont interminables à bien des endroits et il est facile de se perdre dans le système.
Par contre, il existe des services de crise, des lignes d'écoute, des urgences remplies de professionnels qui savent entendre les cris du cœur.
C'est un privilège de pouvoir accompagner une personne en détresse, de l'aider à réaliser qu'elle était sur le point de commettre un geste irréversible et de la soutenir dans la réflexion qui lui permettra de retrouver un sens à sa vie. Malgré la difficulté et le courage que cela demande, permettez à un professionnel ou à un proche de faire partie du dénouement. Demandez de l'aide et parlez. Ensemble, on peut trouver des solutions.
Bonne semaine de la prévention du suicide !
Besoin d'aide pour vous ou un proche ?
Communiquez avec votre centre de prévention du suicide ou avec les intervenants de la Ligne québécoise de prévention du suicide : 1-866-APPELLE (277-3553).

http://quebec.huffingtonpost.ca/myriam-lefebvre-1/suicide-ne-passez-pas-sous-le-radar_a_23352214/