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mardi 1 août 2017

ETUDE RECHERCHE USA Ketamine comme traitement pour la dépression chez l'adolescent: étude de de cas

D'après article "La kétamine, remède miracle pour soigner les enfants suicidaires ?"
28/07/2017 sur www.cerveauetpsycho.fr*
Les premières recherches sur l'usage thérapeutique de cette drogue montrent des bénéfices rapides et spectaculaires pour certaines personnes vulnérables.
Jack Turban 


A l’âge de 14 ans, Nicole voulait mettre fin à ses jours. Elle le répétait quotidiennement à sa mère, et cela dura des années. Entre deux tentatives de suicide, la jeune fille enchaînait tellement de visites en hôpital psychiatrique qu’elle ou sa mère ne peuvent même plus les compter. Nicole refusait d’aller au lit, de prendre sa douche ou d’aller à l’école. Une année, elle a raté 60 jours de cours. Lors d’une visite chez son thérapeute, elle a avoué prier chaque soir pour ne pas se réveiller le lendemain matin. Après qu’un nombre incalculable de psychiatres et de psychothérapeutes eurent échoué à la sortir de sa dépression, sa mère transforma la salle de bain en un coffre-fort, qui contenait tous les objets pointus et les médicaments de la maison. Ses parents étaient certains que ce n’était plus qu’une question de temps avant que Nicole se tue.

Aujourd’hui âgée de 17 ans, Nicole me salue avec un grand sourire. Ses longs cheveux attachés révèlent ses yeux d’un bleu vif. Elle m’assure ne plus rater aucun jour d’école et se prépare pour l’université. Non sans une certaine gène, elle me raconte que son premier rendez-vous amoureux approche à grands pas, un rendez-vous pour son bal de promo. Pour la première fois depuis des années, elle est heureuse et veut vivre.

Comment en sommes-nous arrivés à ce changement radical ? En décembre, Nicole a commencé des injections d’une drogue psychédélique, la kétamine. Alors que tous les traitements pour combattre sa dépression avaient échoué jusque-là (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, mirtazapine, topiramate, antipsychotiques et lithium pour n’en citer que quelques-uns), la kétamine effaça sa dépression en quelques heures. Les effets ont duré pendant deux semaines avant qu’elle ait besoin d’une nouvelle injection.

La kétamine est une drogue aux multiples facettes. Pour les anesthésistes, c’est un sédatif pour les interventions douloureuses. Pour les fêtards, c’est un moyen cool d’avoir des hallucinations et d’éprouver une expérience de sortie du corps. Pour ses détracteurs, il s’agit d’une drogue dangereuse et addictive qui peut causer des problèmes de mémoire, des maladies de la vessie et des psychoses lorsqu’on en abuse. Ces dernières années, une nouvelle facette a été mise en évidence : celle d’un remède miracle pour les troubles psychiatriques qui agit en quelques heures. Cette utilisation comme médicament psychiatrique est relativement récente et il est possible que des injections régulières entraînent des effets secondaires à long terme. Nous manquons pour l’instant de données sur la durée pour le savoir. Toutefois, l’institut national américain de la santé mentale parle « de la découverte la plus révolutionnaire dans les traitements antidépresseurs depuis des décennies ».

L’histoire de la kétamine comme traitement contre les maladies mentales a commencé dans les années 1980 lorsque les neuroscientifiques ont examiné le cerveau de personnes qui s’étaient suicidées. Ils ont alors découvert que les victimes de suicide avaient en commun une anomalie sur une protéine appelée NMDAR, un récepteur de neurotransmetteurs présent un peu partout dans notre cerveau. Cette protéine se trouve aussi être le récepteur sur lequel se fixe la kétamine. Même si des tests sur les animaux ont suggéré que la kétamine améliorait les symptômes de dépression chez les souris, ce n’est pas avant les années 2000 que les chercheurs ont essayé d’administrer cette drogue aux adultes dépressifs. Avec des résultats surprenants, puisque beaucoup de patients virent leur dépression s’évanouir en quelques heures ! La rapidité et l’efficacité du traitement étaient sans précédent pour un antidépresseur.

Depuis, les physiciens ont prescrit de la kétamine à des milliers d’adultes dépressifs. Ils ont réalisé huit essais cliniques avec de bons résultats à la clef. Mais peu d’entre eux ont osé injecter de la kétamine dans les veines de patients mineurs. L’école de médecine de Yale est une exception. J’ai récemment vu quelques adolescents recevoir des injections de la part de l’équipe d’essais cliniques de Yale. Ce n’était pas aussi terrible que je l’imaginais, mais les jeunes étaient tout de même dans un état second. Ils ricanaient beaucoup, leur perception du temps était perturbée et ils expliquaient que leur corps leur semblait « drôle » et parfois engourdi. « Je ne vais pas mentir, j’aime cette sensation », a confié Nicole.

Les discussions avec les adolescents, une fois qu’ils étaient « redescendus » étaient encore plus impressionnantes que le trip en lui-même, qui était par ailleurs très bien encadré, dans une pièce avec des psychiatres et des anesthésistes prêts à intervenir. Je pouvais voir les patients être délestés du poids de leur dépression en moins de quelques heures. Des adolescents qui voulaient, un peu plus tôt, mettre fin à leurs jours devenaient rayonnants et plein d’espoir. Les psychiatres n’avaient jamais vu un traitement aussi puissant et rapide. Là où les traitements antidépresseurs classiques mettent des semaines pour agir et conduisent à un résultat plutôt modeste, la kétamine offrait des améliorations colossales en moins d’une journée.

Suite aux premiers succès de la kétamine sur des patients adultes, le nombre d’essais cliniques sur les adolescents a explosé. Frustré par le manque de traitements efficaces pour les jeunes souffrant de maladies psychiatriques sévères et handicapantes, les médecins ont débuté de nouveaux essais cliniques. Ils s’adressent aux adolescents dépressifs, souffrant d’anxiété ou de troubles obsessionnels compulsifs, et même à certains adolescents souffrant une forme d’autisme appelé le syndrome de Rett. Le docteur Gerard Sanacora, de l’école de médecine de Yale, explique : « Nous savons qu’une pression sanguine trop élevée est responsable de beaucoup de problèmes physiologiques : attaques cardiaques, AVC, troubles de la vision et maladies rénales. Nous traitons donc tout cela avec des médicaments régulant la pression sanguine. La kétamine pourrait être l’équivalent de ces médicaments en psychiatrie – à savoir qu’elle agit sur la physiologie fondamentale [des connexions neuronales] et peut apporter des bénéfices dans beaucoup de cas. »

Il y a cependant des raisons de rester prudent avec ce nouveau traitement. Jusqu’à présent, la kétamine a seulement été utilisée pour endormir les patients, sous forme d’une seule injection. La FDA a approuvé les essais dans lesquels la drogue était injectée une seule fois. Toutefois, pour soigner la dépression, les injections doivent être répétées de façon mensuelle, voire hebdomadaire et on ne sait pas de manière précise quand le patient sera guéri et n’en aura plus besoin. La prise répétée de kétamine va-t-elle révéler de nouveaux risques ? Des études menées sur des souris adolescentes montrent que cette drogue peut causer des problèmes cognitifs à long terme. Les souris sous kétamine peuvent aussi développer des maladies semblables à la schizophrénie. Cependant, il est important de noter que, dans la majorité de ces études, les doses de kétamine administrées aux souris étaient équivalentes à 10 fois celles données aux patients humains.

Le docteur Michael Bloch, pédopsychiatre à Yale et l’un des principaux chercheurs travaillant sur des essais contrôlés d’injection de kétamine chez des adolescents, souligne que cette drogue est utilisée seulement sur certains patients qui présentent des problèmes mentaux sévères et qui n’ont pas réagi de façon satisfaisante aux autres traitements. Les injections sont réalisées dans le cadre d’essais cliniques. Ainsi, les docteurs récupèrent un grand nombre de données et peuvent surveiller avec attention les effets secondaires. Pour chaque patient, les risques théoriques liés à la kétamine sont consciencieusement mis en balance avec les risques de suicide. Pour Nicole, qui allait probablement se suicider, le calcul n’était pas difficile.

Mais tous les médecins ne sont pas aussi précautionneux que le docteur Bloch. Des médecins faisant preuve d’une éthique discutable donnent des doses importantes aux patients, qu’ils doivent s’injecter eux-mêmes, à domicile. Des pharmacies proposent des produits à base de kétamine qui attirent les enfants, par exemple des sucettes et des sprays nasaux. La kétamine deviendra-t-elle la nouvelle thalidomide, créant une génération d’enfants exposés à des effets secondaires dévastateurs, à cause de médecins qui se sont enthousiasmés un peu trop vite ? La kétamine peut être addictive et ses abus peuvent causer de graves problèmes de mémoires ainsi qu’une maladie de la vessie pouvant mener jusqu’à son ablation. Créerons-nous des enfants dépendants aux bonbons à la kétamine ? Certains patients prenant de la kétamine à la maison souffriront-ils de laryngospasme – une incapacité à respirer suite à une contraction musculaire involontaire rapprochant les cordes vocales - une complication rare, mais potentiellement mortelle des injections de kétamine ?

Lorsque l’en ai parlé au docteur Jennifer Dwyer, un autre chercheur de l’équipe menant les essais cliniques à Yale, sa réaction à propos de ce qui se passait en dehors du cadre de la médecine académique a été cinglante : « Le cauchemar est déjà en marche. La kétamine devrait être utilisée uniquement sous la surveillance de médecins attentifs avec un suivi adapté. »

Mais même si Dwyer et Bloch insistent bien sur le fait que les médecins doivent faire très attention, ils soulignent aussi le potentiel très prometteur de ce traitement. Le docteur Bloch note : « Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les adolescents. 40 % des adolescents dépressifs ne répondent pas aux traitements classiques. Parmi eux, la moitié ne répond pas non plus au couplage traitement-psychothérapie. Mis à part la thérapie par électrochocs, qui comporte ses propres risques de perte de mémoire, les médecins n’ont pas d’autre choix. » De plus, en sortant de l’hôpital, les patients suicidaires ont de gros risques de vraiment passer à l’acte. Les traitements antidépresseurs existant comme le Prozac prennent des semaines à agir, alors que la kétamine peut faire effet en moins de 24 heures. Cela pourrait donc réduire les suicides en sortie d’hôpital.

Toutes les personnes connaissant Nicole, qui faisait partie de ces adolescents suicidaires, sont convaincues que la kétamine lui a sauvé la vie. Selon elle, sa famille et ses médecins, le risque théorique des effets à long terme était bien moins effrayant que d’affronter, chaque jour, son désespoir chronique et ses tendances suicidaires.

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