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lundi 6 février 2017

PARUTION ..Quand nos émotions nous rendent fous, Philippe Jeammet

Les fous ont-ils de bonnes raisons de l'être ?
Dans un essai stimulant, le psychiatre Philippe Jeammet affirme que les troubles mentaux ont leur utilité pour les malades.
Article de Arnaud Gonzague Publié le 03 février 2017 bibliobs.nouvelobs.com *

Dans le langage courant, «devenir fou» peut se dire de plusieurs manières: «perdre les pédales», «perdre la boule», «péter les plombs»… Il y a toujours l’idée de quelque chose qui nous échappe, qui rompt, qui nous file entre les doigts.

Mais les comportements en apparence les plus irrationnels pourraient être une manière de retrouver une certaine forme d’équilibre. C’est la théorie que Philippe Jeammet développe dans un essai iconoclaste, «Quand nos émotions nous rendent fous», écrit en collaboration avec notre très estimée consœur de «l’Obs» Caroline Brizard.

Les comportements insensés, Philippe Jeammet en connaît un rayon: pendant vingt ans, ce psychiatre et psychanalyste a dirigé le service qui prend en charge les adolescents et jeunes adultes à l’Institut Montsouris, à Paris. Des pathologies les moins graves (angoisses, phobies, désir de fugues, renfermement, troubles de la sociabilité) aux plus tragiques (anorexie, addictions aux drogues, schizophrénie, tentatives de suicide), il a eu à traiter sous toutes ses formes la souffrance mentale qui affecte la psyché des jeunes gens.

Sa théorie, inattendue, est que l’individu sujet aux dépressions, à des pulsions agressives ou autodestructrices, à la paranoïa ou à toute la gamme des troubles obsessionnels compulsifs n’est pas victime, mais acteur de ce qui lui arrive. Tous ces comportements - même une tentative de suicide – sont en effet pour lui un moyen de se donner le sentiment de renouer avec «l’homéostasie cérébrale», c’est-à-dire de remettre de l’équilibre dans son cerveau face à une situation jugée bancale, déplaisante, voire insupportable.

« S’opposer plutôt que subir»: telle est, résumée par Jeammet, la devise du névrotique comme du malade mental, qui redevient acteur de son destin, et se «fait du bien» en adoptant des comportements apparemment contraires au sens commun.

Cela ne signifie pas qu’ils soient anodins, bien au contraire. Ce n’est pas parce qu’ils procurent un «bien» apparent qu’elles ne contribuent pas à détériorer la santé mentale, voire la santé tout court, du patient. La «destructivité» étant, écrit le praticien, «la drogue humaine par excellence».

L’autre apport de cet ouvrage à la connaissance des pathologies mentales, c’est que, renouant avec l’intuition de plusieurs psychiatres des XIXe et XXe siècle, notamment Henri Ey (1900-1977), il insiste sur le rôle des émotions. «Ce ne sont pas les idées qui comptent, si folles soient-elles, mais la charge émotionnelle qui est véhiculée par elles et qui les transforme en contraintes.»

Autrement dit, avoir l’idée que Dieu nous ordonne de détruire la moitié du globe n’est pas en soi générateur de folie. Mais commencer à y croire sincèrement, parce que s’accrocher à cette croyance nous permet d’échapper à une situation de souffrance (toujours l’idée d’un apaisement), peut faire basculer un individu dans la maladie mentale, et l’y enfermer.

Comment, dès lors, extirper quelqu’un d’un processus de névrose ou de folie ? Pour Philippe Jeammet, il faut jouer sur deux tableaux: comprendre la «contrainte biologique», c’est-à-dire le fonctionnement de notre organisme face à une situation de stress ou d’angoisse, et tenter d’y remédier grâce à des médicaments. S’efforcer de recréer du lien relationnel par la parole, par les gestes.

Parfois, cela marche : les émotions négatives disparaissent et des jeunes filles qui ont frôlé la mort à cause de l’anorexie se demandent plus tard ce qui a pu leur passer par la tête. Parfois, ça échoue. Et c’est la dernière leçon de cet essai: «Il est plus ardu d’aller bien» que de s’enfoncer dans les sables de la destruction.

Arnaud Gonzague

Quand nos émotions nous rendent fous
par Philippe Jeammet et Caroline Brizard
Odile Jacob, 224 p, 22,90 euros.
Arnaud Gonzague

http://bibliobs.nouvelobs.com/les-ecrivains-de-l-obs/20170203.OBS4839/les-fous-ont-ils-de-bonnes-raisons-de-l-etre.html